Premier Garde, derrière le théâtre. – Conduis-nous, page… De quel côté?
Juliette. – Oui, du bruit! Hâtons-nous donc! (Saisissant le poignard de Roméo.) Ô heureux poignard! voici ton fourreau… (Elle se frappe.) Rouille-toi là et laisse-moi mourir! (Elle tombe sur le corps de Roméo et expire.)
Entre le guet, conduit par le page de Pâris.
Le Page, montrant le tombeau. – Voilà l'endroit, là où la torche brûle.
Premier Garde, à l'entrée du tombeau. – Le sol est sanglant. Qu'on fouille le cimetière. Allez, plusieurs, et arrêtez qui vous trouverez. (Des gardes sortent.) Spectacle navrant! Voici le comte assassiné… et Juliette en sang!… chaude encore!… morte il n'y a qu'un moment, elle qui était ensevelie depuis deux jours!… Allez prévenir le Prince, courez chez les Capulets, réveillez les Montagues… que d'autres aillent aux recherches! (D'autres gardes sortent.) Nous voyons bien le lieu où sont entassés tous ces désastres; mais les causes qui ont donné lieu à ces désastres lamentables, nous ne pouvons les découvrir sans une enquête. (Entrent quelques gardes, ramenant Balthazar.).
Deuxième Garde. – Voici le valet de Roméo, nous l'avons trouvé dans le cimetière.
Premier Garde. – Tenez-le sous bonne garde jusqu'à l'arrivée du Prince.
Entre un garde, ramenant frère Laurence.
Troisième Garde. – Voici un moine qui tremble, soupire et pleure. Nous lui avons pris ce levier et cette bêche, comme il venait de ce côté du cimetière.
Premier Garde. – Graves présomptions! Retenez aussi ce moine.
Le jour commence à poindre. Entrent le Prince et sa suite.
Le Prince. – Quel est le malheur matinal qui enlève ainsi notre personne à son repos?
Entrent Capulet, lady Capulet et leur suite.
Capulet. – Pourquoi ces clameurs qui retentissent partout?
Lady Capulet. – Le peuple dans les rues, ciel Roméo!… Juliette!… Paris!… et tous accourent, en jetant l'alarme, vers notre monument.
Le Prince. – D'où vient cette épouvante qui fait tressaillir nos oreilles?
Premier Garde, montrant les cadavres. – Mon souverain, voici le comte Pâris assassiné; voici Roméo mort; voici Juliette, la morte qu'on pleurait, chaude encore et tout récemment tuée.
Le Prince. – Cherchez, fouillez partout, et sachez comment s'est fait cet horrible massacre.
Premier Garde. – Voici un moine, et le valet du défunt Roméo; ils ont été trouvés munis des instruments nécessaires pour ouvrir la tombe de ces morts.
Capulet. – ô Ciel!… Oh! vois donc, femme, notre fille est en sang!… Ce poignard s'est mépris… Tiens! sa gaine est restée vide au flanc du Montague, et il s'est égaré dans la poitrine de ma fille!
Lady Capulet. – Mon Dieu! ce spectacle funèbre est le glas qui appelle ma vieillesse au sépulcre.
Entrent Montague et sa suite.
Le Prince. – Approche, Montague: tu tes levé avant l'heure pour voir ton fils, ton héritier couché avant l'heure.
Montague. – Hélas! mon suzerain, ma femme est morte cette nuit. L'exil de son fils l'a suffoquée de douleur! Quel est le nouveau malheur qui conspire contre mes années?
Le Prince, montrant le tombeau. – Regarde, et tu verras.
Montague, reconnaissant Roméo. – Malappris! Y a-t-il donc bienséance à prendre le pas sur ton père dans la tombe?
Le Prince. – Fermez la bouche aux imprécations, jusqu'à ce que nous ayons pu éclaircir ces mystères, et en connaître la source, la cause et l'enchaînement. Alors c'est moi qui mènerai votre deuil, et qui le conduirai, s'il le faut, jusqu'à la mort. En attendant, contenez-vous, et que l'affection s'asservisse à la patience… Produisez ceux qu'on soupçonne.
(Les gardes amènent Laurence et Balthazar)
Laurence. – Tout impuissant que j'ai été, c'est moi qui suis le plus suspect, puisque l'heure et le lieu s'accordent à m'imputer cet horrible meurtre; me voici, prêt à m'accuser et à me défendre, prêt à m'absoudre en me condamnant.
Le Prince. – Dis donc vite ce que tu sais sur ceci.
Laurence. – Je serai bref, car le peu de souffle qui me reste ne suffisait pas à un récit prolixe. Roméo, ici gisant, était l'époux de Juliette; et Juliette, ici gisante, était la femme fidèle de Roméo. Je les avais mariés: le jour de leur mariage secret fut le dernier jour de Tybalt, dont la mort prématurée proscrivit de cette cité, le nouvel époux. C'était lui, et non Tybalt, que pleurait Juliette. (À Capulet.) Vous, pour chasser la douleur qui assiégeait votre fille, vous l'aviez fiancée, et vous vouliez la marier de force au comte Pâris. Sur ce, elle est venue à moi, et, d'un air effaré, m'a dit de trouver un moyen pour la soustraire à ce second mariage; sinon, elle voulait se tuer là, dans ma cellule. Alors, sur la foi de mon art, je lui ai remis un narcotique qui a agi, comme je m'y attendais, en lui donnant l'apparence de la mort. Cependant j'ai écrit à Roméo d'arriver dès cette nuit fatale, pour aider Juliette à sortir de sa tombe empruntée, au moment où l'effet du breuvage cesserait. Mais celui qui était chargé de ma lettre, frère Jean, a été retenu par un accident, et me l'a rapportée hier soir. Alors tout seul, à l'heure fixée d'avance pour le réveil de Juliette, je me suis rendu au caveau des Capulets, dans l'intention de l'emmener et de la recueillir dans ma cellule jusqu'à ce qu'il me fût possible de prévenir Roméo. Mais quand je suis arrivé quelques minutes avant le moment de son réveil, j'ai trouvé ici le noble Pâris et le fidèle Roméo prématurément couchés dans le sépulcre. Elle s'éveille, je la conjure de partir et de supporter ce coup du ciel avec patience… Aussitôt un bruit alarmant me chasse de la tombe; Juliette, désespérée, refuse de me suivre et c'est sans doute alors qu'elle s'est fait violence à elle-même. Voilà tout ce que je sais. La nourrice était dans le secret de ce mariage. Si dans tout ceci quelque malheur est arrivé par ma faute, que ma vieille vie soit sacrifiée, quelques heures avant son épuisement, à la rigueur des lois les plus sévères.
Le Prince. – Nous t'avons toujours connu pour un saint homme… Où est le valet de Roméo? qu'a-t-il à dire?
Balthazar. – J'ai porté à mon maître la nouvelle de la mort de Juliette; aussitôt il a pris la poste, a quitté Mantoue et est venu dans ce cimetière, à ce monument. Là, il m'a chargé de remettre de bonne heure à son père la lettre que voici et entrant dans le caveau, m'a ordonné sous peine de mort de partir et de le laisser seul.