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Je dois avouer que je m’étais bien gardé de lui dire que la maison était réputée être hantée. Friya, qui avait neuf ans à l’époque, était très courageuse pour une fille, mais la perspective de rencontrer des fantômes l’aurait sans doute découragée. Ce que je lui ai dit, en revanche, c’est que la vieille bâtisse devait certainement receler des trésors impériaux et que, si c’était le cas, elle pourrait garder certains des bijoux que l’on trouverait.

Pour être tout à fait tranquille, j’avais glissé quelques images sacrées dans nos poches – celle d’Apollon pour elle, afin qu’il nous guide de sa lumière à travers les ténèbres de la forêt, et de Woden pour moi, puisqu’il était le dieu préféré de mon père. (Ma grand-mère avait insisté pour qu’il vénère Jupiter Teutonicus, mais il avait toujours refusé, arguant que Jupiter Teutonicus était un dieu inventé par les Romains destiné à amadouer nos ancêtres. Ce qui, bien évidemment, mettait ma grand-mère en rage. « Mais nous sommes des Romains », disait-elle. « Peut-être, répondait mon père, mais nous sommes aussi des Teutons, du moins, moi, je le suis, et je n’ai pas l’intention de l’oublier. »)

C’est par une belle matinée, un samedi, que nous sommes partis, Friya et moi, juste après le petit déjeuner sans rien dire à personne. La première partie du chemin nous était familière : nous y étions souvent passés. Nous avons dépassé les chutes d’Agrippa, auxquelles on attribuait au Moyen Age des pouvoirs magiques, puis les trois statues rongées par les intempéries représentant le joli petit garçon supposé avoir été le premier amant de l’empereur Hadrianus deux mille ans plus tôt. Ensuite, nous sommes arrivés à l’arbre de Baldur qui, d’après mon père, était sacré, bien qu’il soit mort avant que je n’aie pu assister aux messes de minuit que lui et quelques-uns de ses amis organisaient à cet endroit. (Je crois que la génération de mon père fut la dernière à prendre les vieilles religions teutonnes au sérieux.)

Nous nous sommes ensuite enfoncés dans un territoire plus sombre et plus profond où les sentiers n’étaient plus que de vagues pistes. Marcus Aurelius m’avait dit qu’il fallait tourner après un immense chêne aux feuilles étrangement brillantes.

J’étais encore en train de le chercher lorsque Friya me dit : « C’est ici qu’il faut tourner », et le fameux chêne apparut. Je ne lui en avais pas parlé. Les filles du village devaient sans doute, elles aussi, se raconter mutuellement des histoires au sujet de la maison hantée ; mais je n’ai jamais su comment elle avait fait pour trouver le chemin.

Nous avons continué ainsi, toujours plus loin, jusqu’à ce que les pistes elles-mêmes disparaissent et que nous nous retrouvions en terrain sauvage. Il y avait effectivement de très vieux arbres, et leurs branches s’entrelaçaient au-dessus de nous, masquant presque entièrement la vue du ciel. Mais il n’y avait toujours pas de maison, hantée ou non, ni rien qui pût témoigner de la moindre présence humaine. Cela faisait des heures que nous marchions. Je serrais dans ma poche l’idole de Woden tout en m’efforçant de repérer tout arbre ou rocher inhabituel, pour retrouver plus tard le chemin du retour.

Il semblait inutile, et dangereux de surcroît, de poursuivre davantage les recherches. J’aurais déjà fait demi-tour si Friya ne m’avait pas accompagné, mais je ne voulais pas passer pour un lâche devant elle. Et de son côté, elle continuait de foncer sans répit, excitée, j’imagine, à l’idée de se trouver quelque belle broche ou collier dans la vieille maison, ne laissant paraître la moindre trace de peur ou d’appréhension. Quant à moi, je n’en pouvais plus.

« Si nous ne trouvons rien dans les cinq minutes…, dis-je.

— Là, dit Friya. Regarde. »

Je suivis la direction qu’elle indiquait du doigt. Au début je n’ai vu qu’un bout de forêt comme tant d’autres. Puis j’ai fini par repérer, masqué par un épais rideau de branches, ce qui pouvait fort bien être le toit en pente d’un pavillon de chasse rustique. Oui ! Oui, c’était bien ça ! Je discernais maintenant les pignons échancrés et les poutres artistiquement gravées.

Il existait donc vraiment, le pavillon de chasse secret, la vieille maison hantée. Pris d’une excitation fébrile, je me mis à courir dans sa direction, Friya essayant vaillamment de me suivre, à bout de souffle.

C’est alors que j’ai vu le fantôme.

C’était une vieille silhouette frêle et décharnée, avec line barbe blanche, de longs cheveux blancs collés les uns aux autres en des nœuds impossibles. Ses vêtements tombaient en lambeaux. Cette forme tremblante, voûtée, avançait lentement en direction de la maison, traînant des pieds, serrant dans ses bras un fagot de petit bois. Avant qu’il ne réalise ce qui se passait j’étais sur lui.

Nous nous sommes dévisagés un long moment, et il était difficile de dire à cet instant lequel des deux était le plus effrayé. Il lâcha ensuite un petit soupir et laissa échapper son fagot avant de s’effondrer sur le côté ; il demeura là, allongé, comme mort.

« Marcus Aurelius avait raison ! ai-je murmuré. Il y a bien un fantôme dans cette forêt ! »

Friya me lança un regard où se mêlaient le mépris, la moquerie et la colère, car c’était la première fois qu’elle entendait parler de cette histoire de fantôme, que je m’étais visiblement appliqué à lui cacher. Mais elle se contenta de dire : « Les fantômes ne tombent pas dans les pommes, andouille ! Ce n’est qu’un pauvre vieux terrorisé. » Et elle s’avança vers lui sans la moindre hésitation.

Nous avons tant bien que mal réussi à l’emmener à l’intérieur de la maison, bien qu’il ait titubé et trébuché une bonne partie du chemin, manquant une bonne douzaine de fois de tomber. L’endroit n’était pas complètement en ruine, mais n’en était pas loin : la poussière recouvrait tout, les meubles semblaient être sur le point de s’effriter au moindre contact, et les rideaux tombaient en lambeaux. Mais derrière toute cette crasse, on voyait bien à quel point cet endroit avait dû à l’époque être magnifique. Il y avait des tableaux décolorés accrochés aux murs, quelques sculptures, ainsi qu’une collection d’armes et d’armures qui devaient valoir une fortune.

Il était terrifié. « Vous êtes des questeurs ? » demandait-il à tout bout de champ. Il parlait latin. « Vous êtes venus m’arrêter ? Vous savez, je ne suis que le gardien. Je ne représente aucun danger. Je suis seulement le gardien. » Ses lèvres en tremblaient. « Longue vie au Premier Consul ! » criait-il d’une voix rauque à peine perceptible.

« Nous nous promenions seulement dans les bois, lui dis-je. Vous n’avez rien à craindre.

— Je ne suis que le gardien », répétait-il en boucle.

Nous l’avons étendu sur un divan. Il y avait une petite source près de la maison et Friya alla chercher de l’eau pour lui éponger le visage. Comme il avait l’air affamé, nous avons cherché quelque chose à lui donner à manger, mais il n’y avait pratiquement rien : quelques baies et quelques noix dans un bol, quelques tranches de viande séchée qui avaient l’air de dater d’un siècle, un morceau de poisson qui semblait un peu plus frais, mais guère plus. Nous lui avons préparé un repas qu’il avala lentement, très lentement, comme s’il avait perdu l’habitude de manger. Ensuite, il ferma les yeux sans dire un mot. J’ai cru quelques instants qu’il était peut-être mort, mais non, non, il s’était simplement assoupi. Nous nous sommes regardés, ne sachant comment réagir.