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« Vous avez fait une bonne affaire », dit le bonimenteur en tendant le parchemin au Grec. Menandros le déroula tout en s’éloignant. « Ce sont des lettres grecques, dit-il.

— En effet, acquiesça Maximilianus, la plupart de ces sornettes sont écrites en grec. C’est la langue de la magie par ici.

— Les lettres sont grecques, mais les mots non, dit Menandros, écoutez plutôt, et il prit une voix profonde : « BORKE PHOIOUR IO ZIZIA APARXEOUCH THYTHE LAILAM AAAAAA IIIII OOOO IEO IEO » » Il quitta le parchemin des yeux. « Et ça continue comme ça sur plusieurs lignes. Qu’est-ce que vous en dites, mes amis ?

— Je pense que vous avez bien fait de ne pas en lire davantage, dit Faustus. Vous auriez peut-être fini par disparaître sous notre nez.

— Il manque les excréments de scarabées, l’œil de chouette et tout le reste, nota bar-Heap. Et ce ne sont guère les premières lueurs de l’aube qui se glissent par cette cheminée, même si l’on prétend être dans le temple d’Apollon.

— IO IO O PHRIXRIZO EOA », continua Menandros, en gloussant de plaisir. Il rangea le parchemin dans sa bourse.

Faustus avait du mal à croire que le Grec pût accorder du crédit à ces sornettes, bien qu’il ait eu quelques doutes devant l’insistance de celui-ci à vouloir visiter le marché. C’était pourtant un client enthousiaste. Il voulait sûrement rapporter quelques souvenirs pittoresques à son empereur à Constantinopolis – quelques preuves amusantes de la naïveté des Romains modernes. Car Menandros avait à présent sûrement remarqué une vérité essentielle de cette salle, à savoir que la majeure partie des sorciers et leurs bonimenteurs venaient de la partie orientale de l’Empire, dont la réputation dans le domaine de la magie remontait aux temps lointains des pharaons et des rois babyloniens, tandis que leurs clients – et ils étaient nombreux – étaient tous des Romains occidentaux. De tels sortilèges étaient certainement disponibles dans l’autre partie de l’Empire. Ils ne devaient pas être inconnus des Orientaux. L’Empire d’Orient était riche. Tous les talents commerciaux y avaient été inventés. Les racines de l’Orient remontaient à l’Antiquité, à une époque bien antérieure à la création de Rome, et il convenait de garder un œil attentif lorsque l’on avait affaire à ses citoyens.

Ainsi Menandros essayait simplement d’amasser quelques preuves substantielles de la sottise des Romains. Sollicitant l’aide de bar-Heap pour les tractations avec les commerçants, il passait d’étal en étal, accumulant les articles. Il acheta les plans de fabrication d’un anneau donnant à son porteur le don d’obtenir ce qu’il voulait de qui il voulait, ou d’apaiser les humeurs des maîtres et des rois. Il acheta un sort empêchant le sommeil, un autre le provoquant. Puis un rouleau de parchemin offrant tout un catalogue de célèbres mystères dont il lut un extrait à ses compagnons : « Vous verrez les portes s’ouvrir avec fracas, et sept vierges en surgiront, habillées de lin, et aux visages de vipères. On les appelle les Destins du Paradis, et elles portent des sceptres d’or. Lorsque vous les verrez, voici comment les accueillir… » Il mit la main sur un sort qu’un nécromancien pouvait utiliser pour empêcher les crânes de parler à tort et à travers lorsque leur maître les manipulait pour leurs sortilèges. L’un d’eux pouvait invoquer Celui Qui n’a Pas de Tête, créateur de l’enfer et du paradis, le puissant Osoronnophris, afin d’exhorter les démons de libérer le corps d’un possédé. Un autre faisait revenir les objets perdus ou volés. Il tourna au premier étal pour y acheter le philtre d’amour infaillible pour une fraction de la somme initialement proposée. Enfin, il acheta un sort capable de faire croire à des buveurs au cours d’une soirée arrosée qu’il venait de leur pousser une gueule de singe à la place du visage.

Menandros, visiblement satisfait de ses achats, déclara qu’il était prêt à reprendre la route. À l’autre bout du hall, au-delà du territoire des vendeurs de sortilèges, ils marquèrent une pause dans le domaine des diseurs de bonne aventure et autres oracles. « Pour une ou deux pièces de cuivre, dit Faustus en s’adressant au Grec, ils vous liront les lignes de la main, ou celles du front, et vous diront votre avenir. Pour quelques pièces de plus, ils peuvent lire dans les entrailles d’un poulet, ou le foie d’un âne, et vous liront votre véritable avenir, voire celui de l’Empire. »

Menandros parut étonné. « L’avenir de l’Empire ? De vulgaires diseurs de bonne aventure sur une place de marché comme celle-ci proposent de telles prophéties ? Je pensais que seuls les oracles impériaux se chargeaient de ce genre de chose, et pour les seules oreilles de l’empereur.

— Les oracles impériaux fournissent de meilleurs pronostics, je suppose, dit Faustus. Mais nous sommes à Rome, où tout le monde peut tout acheter. » Il jeta un œil le long de la rangée, et aperçut celui qui avait affirmé détenir de nouvelles interprétations des Prophéties sibyllines, annonçant la fin proche de l’Empire – c’était un vieil homme, certainement un Romain, et non un Grec ou autre étranger, avec des yeux bleu pâle et une longue barbe blanche. « Voici, par exemple, l’un de nos plus audacieux prophètes, dit Faustus en le montrant du doigt. Si vous le payez, il vous racontera que l’époque de notre Empire est révolue, que le jour est proche où les sept planètes seront réunies dans la Maison du Capricorne et que l’univers tout entier sera consumé par le feu.

— Le grand ekpyrosis, dit Menandros. Nous avons aussi cette prophétie. Je me demande bien sur quelles bases ses calculs s’appuient…

— Qu’est-ce que cela peut bien faire ? s’exclama Maximilianus, s’emportant soudainement. Ce ne sont là que billevesées !

— Peut-être », dit Faustus d’une voix douce. Il se tourna vers Menandros, visiblement intéressé par le vieil homme et ses prédictions apocalyptiques. « Cela a un rapport avec cette vieille histoire du roi Romulus et des douze aigles qui passèrent dans le ciel pendant qu’il palabrait avec son frère Remus à propos de l’emplacement définitif de la ville de Rome.

— Je crois qu’il s’agissait de douze vautours », dit bar-Heap.

Faustus secoua négativement la tête. « Non, il s’agissait bien d’aigles. Et la prophétie de la Sibylle annonçait que Rome aurait un cycle de vie de douze Grandes Années, d’une durée de cent ans chacune, une pour chacun des aigles de Romulus, et d’un siècle au-delà. Nous sommes en l’an 1282 de sa création. Il nous reste donc dix-huit ans, si l’on en croit notre ami à longue barbe là-bas.

— Balivernes que tout cela, s’exclama de nouveau Maximilianus en les foudroyant du regard.

— Pouvons-nous tout de même nous entretenir avec cet homme ? » demanda Menandros.

César n’avait visiblement aucune envie d’approcher de près ou de loin le personnage. Mais il pouvait difficilement refusser la demande polie de son invité. Faustus observa Maximilianus lutter intérieurement contre sa rage tandis qu’ils se dirigeaient vers l’oracle, réussissant au prix d’efforts considérables à la contenir. « Voici quelqu’un venu visiter notre ville, dit Maximilianus, la mâchoire serrée, en s’adressant au vieil homme. Il souhaiterait t’entendre au sujet de la fin annoncée de Rome. Dis ton prix et raconte-lui tes fables. »

Mais l’oracle se tassa sur lui-même, tremblant de peur. « Non, César, laissez-moi tranquille, je vous en supplie !

— Tu m’as donc reconnu ?