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Il leur fallut peu de temps avant d’avoir la confirmation qu’une cérémonie avait effectivement lieu : un claquement de cymbales, des roulements de tambour, les cris stridents des trompettes, les sifflements perçants des flûtes. Lorsqu’ils arrivèrent à l’endroit où l’on était le mieux à même de voir la scène qui se déroulait plus bas, Maximilianus leur fit signe de poser les lanternes afin que l’on ne repère pas leurs lueurs depuis l’autel et installa Menandros là où la vue était la meilleure. Faustus n’essaya même pas de jeter un œil. Il n’avait que trop assisté à ce genre de spectacle : les murs décorés de fresques érotiques tape-à-l’œil, l’imposant autel élevé en l’honneur du dieu du plaisir, et l’effigie de Priape, lui-même assis avec son énorme phallus dressé telle une colonne en travers des jambes. Une demi-douzaine d’adoratrices, principalement, dansaient devant l’imposante statue. Leurs corps peints et enduits d’huile ; une lueur folle se lisait dans leurs regards ; les narines étaient dilatées, les lèvres retroussées dans un infâme rictus, et les poitrines des danseuses se balançaient de ci de là tandis qu’elles dansaient et sautillaient sur place.

Des chants s’élevaient sur des rythmes saccadés :

« Viens à moi, ô Priape, telle la lumière du soleil à l’aube du jour. Viens, ô Priape, et accorde-moi tes faveurs, ta substance, ton élégance, ta beauté, tes délices. Dans les deux ton nom est LAMPTHEN

— OUOTH OUASTHEN

— OUTHIO AMENOTH

— ENTHOMOUCH. Je sais les formes que tu peux prendre : à l’est, celle d’un ibis, à l’ouest, celle d’un loup, au nord, celle d’un serpent, et au sud, celle d’un aigle. Viens à moi, Priape – viens à moi, Priape viens… »

Les femmes montaient vers l’autel une à une, embrassaient le bout du phallus tout en le caressant de manière lascive.

« Priape, je t’invoque ! Accorde-moi tes faveurs, tes formes, ta beauté ! Accorde-moi le plaisir. Car tu fais partie de moi et moi de toi. Tu portes mon nom et moi le tien. »

Un tonitruant et démoniaque grondement de tambour se fit entendre. Faustus savait ce que cela signifiait : l’une des adoratrices venait de chevaucher la statue du dieu. Menandros, le regard braqué, était un peu trop penché vers l’avant. À ce stade de la cérémonie, il y avait peu de chance que l’un des participants levât la tête en l’air et finît par le remarquer, mais il risquait de glisser et chuter au beau milieu de la mêlée. Ce genre de chose était déjà arrivé. La peine encourue pour avoir espionné les rites des adorateurs de Priape était une mort certaine. Faustus se pencha pour le saisir, mais Maximilianus l’avait devancé et le tira vers lui. Bien qu’une surveillance discrète fut interdite lors de ces rites, les hommes n’en étaient pas exclus pour autant. Faustus savait qu’un certain nombre d’esclaves vigoureux attendaient dans les coulisses. Bientôt la prêtresse de Priape leur ferait signe et l’orgie pourrait alors commencer.

Ils durent pratiquement traîner Menandros pour le retour. Il était accroupi devant l’ouverture tel un jeune garçon prêt à découvrir enfin les secrets les plus intimes de la féminité, et même lorsque les choses en étaient arrivées à un stade qui aurait satisfait plus d’un homme, Menandros voulait en voir toujours plus. Faustus était impressionné par sa soif insatiable. Il n’arrivait même plus à se souvenir lui-même du temps où il trouvait neuf et exotique ce qui se déroulait un peu plus bas, et il était difficile de comprendre la curiosité passionnée de Menandros pour quelque chose d’aussi banal que quelques copulations orgiaques. Faustus songea que la cour de l’empereur Justinianus devait avoir une haute considération des valeurs de chasteté et de propriété. Mais il avait cependant entendu dire le contraire.

Ils finirent par tirer l’ambassadeur de là, et se dirigèrent vers la destination suivante, choisie par ce dernier, le bassin du Baptai. « Je vais vous attendre ici, dit Faustus, alors qu’ils arrivaient devant l’escalier en colimaçon qui plongeait vers le sombre gouffre où se déroulaient les rites de ce culte d’immersion. Je suis trop gros et trop lent pour ce genre de sport. »

Il savait que c’était un endroit envoûtant : avec ses murs lisses taillés dans la roche, parsemés de mosaïques iridescentes en verre blanc, rouge et vert, mises en valeur par quelques touches ici et là de peinture dorée, représentant des scènes de Diane la chasseresse, de colombes lovées les unes contre les autres, de Cupidons se baignant parmi les cygnes, de nymphes voluptueuses et de satyres déchaînés. Mais l’air y était lourd et moite, l’interminable escalier en colimaçon en pierres humides et glissantes serait un calvaire pour ses vieilles jambes. Et le dernier palier épuisant de cette longue descente, celui qui allait de la salle des mosaïques à l’insondable bassin sombre situé au niveau le plus bas, serait sans aucun doute au-dessus de ses forces. Et bien entendu, la perspective de la remontée suffisait à anéantir ses dernières velléités.

Il patienta donc. Un rire perçant remonta jusqu’à lui du fond des ténèbres. Là-bas on vénérait la déesse Bendis de Thrace, un démon vulgaire aux cheveux plats dont les adorateurs étaient tous des dévergondés ; on pouvait d’ailleurs assister à une cérémonie à toute heure du jour ou de la nuit, un rituel qui comprenait le lot habituel d’orgies avec comme point d’orgue le plongeon du baptême dans le bassin glacial où Bendis se tient prête à absoudre les péchés récents et ceux à venir de tous ceux qui s’y trempent. Ce n’était pas un culte secret. Tous y étaient les bienvenus. Mais le culte de Bendis n’avait plus rien de mystérieux pour Faustus. Il avait suffisamment goûté à ce baptême glacial dans sa vie ; il pouvait aujourd’hui s’en passer. Et les soins prodigués par sa petite Numide Olathea suffisaient à assouvir ses ardeurs déclinantes.

Un long moment passa avant qu’il voie réapparaître Menandros et Maximilianus des profondeurs. Ils ne dirent pas grand-chose à leur sortie, mais il était clair d’après le regard triomphant et empourpré du petit Grec qu’il avait trouvé là les extases auxquelles il s’attendait en allant visiter l’autel du Baptai.

L’heure était maintenant aux putains de Chaldée, au plus profond de la cité souterraine, parmi la concentration de galeries sous le Circus Maximus. Menandros semblait avoir entendu dire beaucoup de choses sur ces femmes, dont une grande partie n’avait rien d’exact. « Il ne faut pas les appeler des putains, vous savez, expliqua Faustus. Ce sont des prostituées – des prostituées sacrées.

— J’apprécie la nuance, dit le Grec avec un sourire forcé.

— Ce qu’il veut dire, dit le César, c’est que ce sont toutes des femmes d’une certaine classe sociale, elles appartiennent à un culte qui nous vient de Babylone. Certaines d’entre elles sont même de descendance babylonienne, bien que la plupart ne le soient pas. Toujours est-il que les femmes appartenant à ce culte doivent à un moment donné de leur vie, entre – quel âge déjà, Faustus, seize ans et trente ans ? – dans ces eaux là – se rendre au sanctuaire de leur déesse pour y attendre qu’un étranger passe par là et les choisisse pour la nuit. Il lance une pièce d’argent et la femme doit l’accompagner, aussi laid ou repoussant soit-il. Et par cet acte elle remplit ses obligations envers sa déesse avant de retourner à une vie de pureté innocente.

— Je crois savoir que certaines d’entre elles retournent plusieurs fois accomplir leur devoir, ajouta Faustus. Par ferveur excessive, je suppose. À moins que, bien sûr, elles ne le fassent que par pur plaisir de rencontrer des inconnus.