Выбрать главу

Quel lieu perdu que cette terre d’Arabie. Et le voyage pour venir jusqu’ici a lui aussi été long et décourageant.

Il y a, comme tu le sais déjà peut-être, plusieurs Arabie à l’intérieur du territoire que nous nommons ainsi. Au nord se trouve l’Arabia Petraea, une riche région commerciale le long de la frontière de la Syria Palaestina. L’Arabia Petraea est une province impériale depuis le règne du grand Augustus César, il y a six cents ans de cela. Ensuite c’est une vaste terre désolée – on l’appelle Arabia Deserta – une région aride et désertique peu habitée sinon par quelques nomades querelleurs. Et à son extrémité se trouve l’Arabia Félix, une terre assez peuplée où l’on semble être aussi heureux que son nom le laisserait supposer, une région au climat luxuriant et au niveau de vie élevé, réputée pour sa terre fertile et l’abondance de produits dont elle inonde les marchés du monde entier, de l’or et des perles, de l’encens et de la myrrhe, des baumes, des huiles aromatiques et des parfums.

Lequel de ces endroits César avait-il choisi comme terre d’exil pour moi, je l’ignorais. Je devais l’apprendre au cours de mon périple vers l’est. J’ai quelques racines familiales en Orient, car à l’époque du premier Claudius, mon arrière-grand-père Gnaeus Domitius Corbulo a été proconsul d’Asie à Ephèse, puis gouverneur en Syrie sous Néron, et d’autres Corbulo ont sévi depuis dans la région. Je me félicitais presque de perpétuer ainsi une tradition familiale, même si ce n’était pas au départ un choix de ma part. J’aurais volontiers accepté de m’installer en Arabia Petraea puisqu’il me fallait aller en Arabie : c’était là une destination tout à fait acceptable pour un notable romain ayant temporairement perdu les faveurs de son monarque. Bien entendu, tous mes espoirs s’étaient focalisés sur l’Arabia Félix, celle-ci étant la région la plus agréable à tous points de vue.

Quant au voyage de Rome en Syria Palaestina – ah, mon pauvre Horatius ! Un véritable cauchemar. Une torture. Malade tous les jours. Mon brave ami, je n’ai décidément pas le pied marin. Ce fut ensuite un court répit à Caelostat Maritima, le seul moment agréable du séjour, une merveilleuse ville cosmopolite, le vin y coule à flots, il y a de jolies filles pas farouches et, oui, Horatius, je dois l’avouer, de jolis garçons aussi. Je suis resté sur place aussi longtemps que possible. Mais on a fini par m’avertir que la caravane qui devait m’emmener en Arabie était prête, et il m’a fallu partir.

Ne te laisse jamais bercer par les fables de voyages dans le désert. Pour un homme civilisé ce n’est qu’une succession de supplices et d’agonies.

Dès que l’on quitte Jérusalem, on trouve une région qui en matière de fournaise n’a rien à envier au foyer d’Hadès. C’est à partir de là que les choses empirent. Chaque gorgée d’air te brûle les poumons comme l’intérieur d’un four. Le sable s’infiltre dans les narines, les oreilles et les lèvres. Le soleil brûle comme une plaque chauffante dans le ciel. Tu peux faire des kilomètres avant de rencontrer le moindre arbuste ou le moindre buisson, il n’y a que des cailloux et du sable rouge. Des fantômes moqueurs dansent dans l’air miroitant. La nuit, avec un peu de chance ou si l’on est suffisamment fatigué pour fermer les yeux quelques instants, on rêve de lacs, de jardins et de pelouses vertes, avant d’être réveillé par le grattement d’un scorpion dans le sable à deux doigts de la joue, on reste alors là à gémir dans cette fournaise, priant que la mort vienne nous délivrer avant les premières chaleurs de l’aube.

Quelque part au milieu de ce désert sans vie, le voyageur quitte la province de Syria Palaestina et entre en Arabie, bien que personne ne soit en mesure d’en situer la frontière. Une fois cette ligne imaginaire franchie, la première chose que l’on rencontre est une ville sublime, la Pétra des Nabatéens, une forteresse imprenable qui coupe la route de toutes les caravanes. C’est une ville riche, où l’on peut vivre tout à fait convenablement, si l’on fait exception de la chaleur étouffante qui y règne. Cela ne m’aurait pas déplu d’y passer mon exil.

Mais non, non, la lettre d’instruction de Sa Majesté qui m’attendait à Pétra m’informa que je devais continuer mon chemin plus au sud. L’Arabia Petraea n’était pas la région d’Arabie qu’il avait choisie pour moi. Je passai là deux ou trois jours de plaisirs civilisés avant de retrouver le désert, cette fois-ci à dos de chameau. Je t’épargnerai les horreurs de cette expérience. J’appris que nous nous dirigions vers le port nabatéen de Leuke Kome sur la mer Rouge.

Excellent, songeais-je. Leuke Kome est le principal port d’embarquement pour tous les voyageurs à destination d’Arabia Félix. On doit certainement m’envoyer dans cette terre fertile de brises tièdes, de fleurs aux doux parfums, d’épices et de pierres précieuses. Je me voyais déjà passant mes années d’exil dans une petite villa confortable sur le bord de mer, à savourer quelques dattes bien tendres et goûter les meilleurs cognacs de la région. Je pourrais peut-être même me lancer dans le commerce d’encens, ou me livrer à une petite activité lucrative dans celui de la cannelle, histoire de passer le temps.

Une fois à Leuke Kome, je me suis rendu auprès du légat impérial, un jeune freluquet, mielleux et prétentieux, du nom de Florentius Victor, pour lui demander quand était prévu le départ de mon navire. Il me répondit le regard vide : « Un navire ? Quel navire ? C’est à l’intérieur des terres que vous devez vous rendre, mon cher Leontius Corbulo. » Il me remit la dernière de mes lettres d’instruction, m’informant que ma destination finale était un endroit nommé Macoraba, où je devais y assurer les fonctions de représentant commercial du gouvernement de Sa Majesté, avec comme responsabilité particulière de résoudre les éventuels conflits commerciaux avec les représentants de l’Empire d’Orient qui résidaient là-bas.

« Macoraba ? Et où est-ce au juste ?

— Mais en Arabia Deserta voyons, dit Florentius Victor, d’une voix doucereuse.

— L’Arabia Deserta ? répétai-je, avec un serrement de cœur.

— Absolument. C’est une ville très importante, pour la région cela s’entend. Toutes les caravanes qui traversent l’Arabie sont obligées de s’y arrêter. Vous la connaissez peut-être sous son nom sarrasin. La Mecque, c’est ainsi qu’ils l’appellent. »

L’Arabia Deserta, Horatius ! L’Arabia Deserta ! Pour le crime dérisoire de m’être amusé avec ce petit serviteur britannique, l’empereur, cet être sans cœur et sans pitié, m’a condamné à cet enfer de chaleur étouffante et de dunes changeantes.

Je suis à Macoraba – je devrais dire La Mecque – depuis trois ou quatre jours. Et j’ai déjà l’impression que ça fait une éternité.

Que trouvons-nous dans cette Arabia Deserta ? Rien, à part une vaste étendue de sable brûlant entrecoupée de collines abruptes et arides. Il n’y a pas de rivières et il n’y pleut quasiment jamais. Le soleil y est implacable. Le vent permanent. Les dunes se déplacent comme les vagues d’un océan dans la tempête ; des légions entières pourraient y être ensevelies au bout d’une journée de bourrasques. Au lieu d’arbres, il n’y a que quelques petits tamariniers et acacias rabougris qui se nourrissent de la rosée matinale. Ici et là on trouve des mares saumâtres qui surgissent des entrailles de la terre, elles permettent à une maigre végétation de s’y développer et rendent parfois le sol suffisamment humide pour que poussent quelques dattiers et quelques vignes, mais c’est une trace de vie dérisoire pour ceux qui ont choisi de vivre en de pareils endroits.

Globalement, les Sarrasins sont un peuple de nomades qui passent leur temps à guider leurs troupeaux de chevaux, de moutons et de chameaux à travers cette terre aride à la recherche de quelques pâturages pour leurs bêtes. Ils suivent le rythme des saisons, des bords de mer aux montagnes en passant par les plaines, profitant du peu de pluie qui tombe à certaines périodes de l’année, comme c’est souvent le cas dans ce genre de région. De temps en temps, ils s’aventurent un peu au-delà – jusque sur les rives du Nil ou vers les villages fermiers de Syrie ou de la vallée de l’Euphrate – pour fondre sur les paisibles paysans de ces régions et leur piller leurs réserves de blé.