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— Tu veux parler de Danielus bar-Heap ?

— C’est ça. Bar-Heap.

— Bien sûr. Plus on est de fous, plus on rit. »

Quand Faustus quitta Maximilianus, la soirée était trop avancée pour un détour par les thermes. Il préféra regagner ses quartiers, où il ordonna qu’on lui fasse couler un bain chaud. Après un bon massage, il enverrait chercher Olathea, la petite esclave numide au teint mat, seize ans, agile comme une anguille, avec laquelle il n’avait en commun que le langage d’Eros.

La journée avait été longue, dure, fatigante. À son retour d’Ostie en compagnie de l’ambassadeur d’Orient, la nouvelle de l’absence d’Héraclius l’avait pris au dépourvu. Étant donné la déplorable santé du vieil empereur Maximilianus, il était prévu que l’ambassadeur grec dîne avec le prince Héraclius pour son premier soir dans la capitale ; mais aussitôt après le départ de Faustus pour Ostie, Héraclius s’était empressé de quitter la ville sur la piètre excuse d’une inspection des troupes du Nord. L’empereur étant indisponible et Héraclius au loin, il ne restait aucun personnage de haut rang susceptible d’assumer le rôle d’hôte dans un dîner officiel en dehors du frère cadet, ce chenapan de Maximilianus, et aucun des dignitaires de la maison royale ne se serait risqué à proposer cette solution sans l’approbation préalable de Faustus. Le dîner officiel avait donc été purement et simplement annulé, ce que Faustus n’avait découvert qu’à son retour du port. Il était alors trop tard pour y remédier autrement qu’en envoyant au prince envolé un message l’implorant de regagner Rome le plus vite possible. Si Héraclius était effectivement allé chasser, le message l’atteindrait à son pavillon en forêt de l’autre côté du lac Nemorensis, et peut-être, peut-être en tiendrait-il compte. Si, contre toute probabilité, il était vraiment parti pour la frontière militaire, il n’était pas près de revenir. Ce qui ne laissait que César Maximilianus pour faire face – bon gré, mal gré. Un recours qui pouvait se révéler risqué.

Bon, la petite confession de l’ambassadeur concernant son penchant pour le vulgaire réglait la question de savoir comment on allait le divertir, du moins durant les deux ou trois prochains jours. Si c’était traîner dans les Bas-Fonds qui intéressait Menandros, Maximilianus devenait la solution plutôt que le problème.

Faustus se laissa aller dans son bain, savourant la chaleur de l’eau, se délectant de la suave odeur des huiles qui flottaient à la surface. C’était dans leur bain que les vrais Romains de l’ancien temps.

— Sénèque, disons, ou le poète Lucain, ou cette vieille harpie d’Antonia, la mère de l’empereur Claudius – choisissaient de s’ouvrir les veines plutôt que d’endurer la médiocrité et la corruption de la société où ils vivaient. Mais on n’était plus dans l’ancien temps ; Faustus ne se formalisait pas autant de la médiocrité et de la corruption de la société que ces nobles vieux Romains et, de toute façon, l’idée même du suicide ne l’attirait guère.

Et pourtant, quelle triste époque pour Rome ! L’empereur était au bord de la tombe, l’héritier du trône un imbécile qui s’offusquait pour un rien, l’autre fils de l’empereur, un propre à rien, et les Barbares, censés avoir été écrasés bien des années auparavant, se remettaient à frapper aux portes. Faustus n’était certes pas un exemple des anciennes vertus romaines – qui aurait pu se prétendre tel cinq siècles après Auguste ? Mais en dépit de ses faiblesses et de ses défauts, il ne pouvait s’empêcher de fustiger intérieurement la profonde inauthenticité de l’époque. Nous nous donnons le nom de Romains, songeait-il, et jusqu’à un certain point nous savons imiter les attitudes et prendre les airs de nos nobles aïeux. Mais c’est tout ce que nous faisons : nous composer des attitudes, nous donner des grands airs. Nous nous contentons de jouer les Romains et confondons parfois la réalité avec son imitation.

Oui, triste époque.

Il était lui-même de sang royal – plus ou moins. Son nom même l’indiquait hautement : Faustus Flavius Constantinus César. S’y trouvait enchâssé le surnom de son fameux ancêtre impérial, Constantinus le Grand, en même temps qu’il rappelait le prénom de l’épouse de Constantinus, Fausta, elle-même fille de l’empereur Maximilianus. La dynastie de Constantinus avait depuis longtemps disparu de la scène, bien sûr, mais par divers détours généalogiques Faustus pouvait y faire remonter sa famille, ce qui lui permettait d’ajouter l’illustre nom de « César » au tableau. Il n’en occupait pas moins un poste de second ordre à la chancellerie de Maximilianus II Augustus, de même, son père n’avait été qu’un officier subalterne dans l’armée du Nord, et le père de celui-ci… bah, se dit Faustus, mieux valait ne pas penser à lui. La famille avait connu des revers au cours des deux siècles qui avaient suivi le règne de Constantinus. Mais personne ne pouvait nier son ascendance, et il y avait des moments où il se surprenait à considérer secrètement l’actuelle famille royale comme de simples parvenus, jaillis de nulle part. Bien entendu, les premiers empereurs, Augustus César, Tiberius, Claudius et compagnie auraient considéré même Constantinus le Grand comme un parvenu ; et les grands hommes de la vieille république, Camillus, par exemple, ou Claudius Marcellus, auraient sans doute pensé la même chose d’Augustus et de Tiberius. Se prévaloir de son ascendance était une sottise, conclut Faustus. À Rome, le passé formait une série de couches superposées, un passé de près de treize cents ans, et chacun avait été un parvenu en son temps, y compris le fondateur de Rome lui-même, Romulus.

L’ère du grand Constantinus était venue pour disparaître à son tour, et on avait là son lointain descendant, Faustus Flavius Constantinus César, qui prenait de l’âge, du poids, se déplumait, tout en continuant à besogner dans les échelons intermédiaires de la chancellerie impériale. L’Empire lui-même semblait mal vieillir. Un ramollissement général avait marqué les dernières années du long règne de Maximilianus II. Les jours glorieux de Titus Gallius et de sa dynastie, de Constantinus et de la sienne, du premier Maximilianus, de son fils et son petit-fils semblaient déjà appartenir aux légendes de l’Antiquité, même si le deuxième Maximilianus occupait toujours le trône. Les choses avaient bien changé au cours des dix ou vingt dernières années. L’Empire ne paraissait plus aussi solide. Et cette année, dans les couloirs ténébreux du marché aux sorciers, à la suite de la récente découverte d’un manuscrit des Livres sibyllins, il avait beaucoup été question de prophéties oraculaires annonçant que Rome était entrée dans son dernier siècle, après quoi viendrait le feu, le chaos, l’écroulement général.

Dans ce cas, se dit Faustus, que cela attende encore vingt ou trente ans. Ensuite le monde peut bien finir, pour ce que j’en aurai à faire.

C’était quand même là quelque chose de nouveau que ces bruits sur la fin de Rome l’éternelle. Des centaines d’années durant, il y avait toujours eu un homme d’exception pour se manifester et sauver la situation en période de crise. Il y avait quelque trois cents ans de cela, Septimus Severus s’était trouvé là pour sauver l’Empire de la démence de Commodus. Une génération plus tard, après la nouvelle plaie qu’avait été le fils de Severus, Caracalla, un fou encore plus dangereux, c’était le magnifique Titus Gallius qui avait pris les rênes et réparé les dégâts. Les Barbares commençaient alors à s’agiter sérieusement aux frontières de l’Empire mais, chaque fois, de puissants empereurs les repoussaient : d’abord Titus Gallius, puis son neveu Gaius Martius, puis Marcus Anastasius, puis Dioclétianus, le premier à avoir réparti l’Empire entre deux Augustes, et Constantinus, le fondateur de la seconde capitale en Orient, et ainsi de suite jusqu’à maintenant. Mais aujourd’hui le trône était pratiquement vacant, et tout le monde pouvait voir que son héritier n’avait rien d’un aigle – et d’où, se demandait Faustus, était censé venir le nouveau sauveur du royaume ?