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Le prince Maximilianus avait raison : il appartenait à une lignée de puissants guerriers. Maximilianus Ier, un homme du Nord, non un Romain de Rome, mais quelqu’un qui pouvait se prévaloir de descendre des anciens Étrusques, avait fondé cette lignée lorsqu’il avait pris la succession du grand Theodosius sur le trône impérial. Jeune général plein d’ardeur, il avait refoulé les Goths quand ceux-ci menaçaient la frontière du nord de l’Italie et, à l’automne de sa vie, il s’était associé avec Theodosius II, de l’Empire d’Orient, pour écraser les Huns conduits par Attila. Puis était venu le fils de Maximilianus, Héraclius Ier, qui avait fait front sur toutes les frontières, et quand une nouvelle vague de Goths et autres Vandales s’était mise à saccager la Gaule et les terres germaniques, le fils d’Héraclius, le jeune empereur Maximilianus II, les avait taillés en pièces à l’occasion d’une féroce contre-attaque dont on pouvait penser qu’elle avait mis fin à leur menace pour toujours.

Mais non : on n’en avait jamais fini, semblait-il, avec les Goths, les Vandales et les tribus nomades de cette espèce. Quarante ans après la défaite que Maximilianus, fort des vingt légions auxquelles il avait fait traverser le Rhin pour entrer en Gaule, leur avait infligée, voilà qu’ils se rassemblaient pour ce qui semblait la plus grande attaque depuis le règne de Theodosius. Sauf qu’à présent, Maximilianus II n’était plus qu’un frêle vieillard, probablement mourant. Au mieux, on pouvait supposer qu’il vivait reclus, en la seule compagnie de ses médecins, mais des rumeurs aussi peu dignes de foi les unes que les autres circulaient quant au lieu de sa retraite : peut-être se trouvait-il ici, à Rome, peut-être plus au sud, sur l’île de Capri, voire à Carthage, Volubilis, ou quelque autre cité africaine inondée de soleil. Pour ce qu’en savait Faustus, il était déjà mort, et ses ministres, prompts à l’affolement, craignaient de divulguer la nouvelle. Une situation qui n’aurait rien d’inédit dans l’histoire de Rome.

Et après Maximilianus ? Le prince Héraclius monterait sur le trône, certes. Mais quel genre d’empereur serait-il ? Il n’y avait pas de quoi se montrer trop optimiste. Faustus n’imaginait que trop bien l’enchaînement des événements : les Goths, impossibles à arrêter, déferlent depuis le nord et envahissent l’Italie, mettent la cité à sac, massacrent l’aristocratie et proclament un de leurs rois monarque de Rome. Tandis qu’à l’ouest, les Vandales, ou quelque autre tribu de cet acabit, s’emparent des riches provinces de la Gaule et de l’Espagne, qui deviennent alors des royaumes indépendants, et voilà l’Empire dissous.

« Notre meilleur et, en fait, unique espoir, avait entendu dire Faustus de la bouche du chancelier impérial Licinius Obsequens, c’est le mariage royal. Justinianus, pour sauver le trône de son beau-frère, mais aussi parce qu’il ne tient pas à ce qu’un tas de royaumes barbares indisciplinés surgissent le long de ses frontières à la place de l’Empire d’Occident, envoie une armée épauler la nôtre, et avec l’aide de quelques généraux grecs compétents, on finit par régler leur compte aux Goths. » Mais même cette solution ne résout rien pour nous. On voit bien un des généraux de Justinianus proposer de rester à titre de « conseiller » de notre jeune empereur Héraclius, qui se retrouve rapidement empoisonné tandis que le général en question fait savoir qu’il acceptera volontiers l’invitation du sénat à occuper le trône. À partir de là, l’Empire d’Occident passe complètement sous la domination de celui d’Orient, tout l’argent des impôts file à Constantinopolis, et Justinianus est maître du monde.

Notre meilleur et, en fait, notre seul espoir… Je devrais vraiment me trancher les veines, songea Faustus. Opter pour la seule issue logique face à des circonstances insurmontables, à l’exemple de bien des héros romains avant moi. Les précédents ne manquent pas. Il pensait à Lucain, mort en récitant tranquillement sa propre poésie. À Pétrone Arbiter, qui avait procédé de même. À Cocceius Nerva, qui s’était laissé mourir de faim en expression de son dégoût pour les actes de Tibère. « La mort la plus laide, disait Sénèque, est préférable au plus bel esclavage. » Rien de plus vrai ; mais peut-être ne suis-je pas un vrai héros romain.

Il sortit de son bain. Deux esclaves se précipitèrent pour l’envelopper de serviettes moelleuses. « Amenez-moi la petite Numide », dit-il en se dirigeant vers sa chambre à coucher.

« Nous entrerons, expliqua Danielus bar-Heap, par la porte de Titus Gallius, le moyen d’accès le plus connu aux Bas-Fonds.

Il y a beaucoup d’autres entrées, mais celle-ci est la plus impressionnante. »

On était en milieu de matinée, un peu tôt, peut-être, pour descendre dans les souterrains, et du point de vue d’un viveur comme le prince Maximilianus, trop tôt pour être déjà sur pied. Mais Faustus avait voulu partir au plus vite pour cette excursion. Distraire l’ambassadeur était désormais pour lui une priorité.

L’Hébreu s’était rapidement chargé de l’entreprise – de son organisation comme de l’essentiel des commentaires à fournir. C’était un des compagnons les plus chers du prince. Faustus avait déjà rencontré plus d’une fois cet homme à la voix profonde, aux épaules carrées, aux pommettes saillantes, au nez fortement crochu, dont les cheveux aile de corbeau, aux reflets bleutés, étaient tressés en une multitude de frisettes. Il y avait bien des années que la mode romaine voulait un visage glabre pour les hommes, mais bar-Heap arborait une barbe voyante, très fournie, qui s’accrochait en rouleaux serrés à ses joues et à son menton. Au lieu d’une toge, il portait une tunique de lin écru qui s’arrêtait au genou et dont l’ourlet était brodé d’audacieux motifs d’un vert vif en forme d’éclairs.

L’ambassadeur Menandros, tout oriental qu’il était, n’avait apparemment jamais rencontré d’Hébreu et il avait fallu lui donner quelques explications sur bar-Heap. « Une petite tribu de gens du désert qui vivait autrefois en Egypte, l’avait informé Faustus. Désormais dispersés un peu partout dans l’Empire. Vous devriez pouvoir en trouver quelques-uns à Constantinopolis. Ce sont des gens malins, déterminés, assez ergoteurs, qui n’ont pas toujours le plus grand respect des lois, en dehors de celles de leur propre tribu, auxquelles ils obéissent en toute circonstance de la plus fanatique des façons. Je crois savoir qu’ils ne croient pas aux dieux, par exemple, et qu’ils ne reconnaissent qu’à contrecœur l’autorité de l’empereur.

— Ils ne croient pas aux dieux ? s’était étonné Menandros. En aucun d’eux ?

— Pas que je sache.

— En fait, ils ont un dieu à eux, était intervenu Maximilianus. Mais nul n’est autorisé à le voir, ils ne le représentent pas par des statues, et il a établi tout un tas de lois absurdes sur ce qu’ils peuvent manger ou non, et ainsi de suite. Bar-Heap vous donnera sans doute tous les détails, si vous le lui demandez. Ou s’y refusera peut-être. Comme tous ses congénères, c’est quelqu’un d’irritable et d’imprévisible. »

Faustus avait avisé l’ambassadeur qu’ils avaient intérêt à s’habiller simplement pour cette sortie, sans rien qui pût indiquer leur rang. Bien entendu, la garde-robe de Menandros se composait d’un vaste choix de somptueuses robes en soie et autres splendeurs orientales, mais Faustus lui avait procuré une simple toge en laine, sans bandes indiquant son rang, dont il s’était montré capable de se draper dans les règles. Maximilianus César, qui, en tant que fils de l’empereur régnant, avait le droit de porter une toge ornée d’une bande pourpre et de broderies en or, en portait une pareillement dépourvue de tout signe distinctif. Faustus aussi, même s’il descendait d’un empereur et avait donc droit, à l’instar du prince, à la bande pourpre. Certes, personne en bas ne les prendrait pour autre chose que ce qu’ils étaient, à savoir des aristocrates, mais il n’était jamais recommandé d’afficher trop ostensiblement des airs patriciens dans le monde souterrain de Rome.