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— L’Hymen, dit M. Georges, songeur, est la divinité qui présidait au mariage… À Athènes, dans les fêtes de l’Hymen, des jeunes gens des deux sexes, couronnés de roses, formaient des danses qui avaient pour objet de rappeler l’innocence des premiers temps…

— Eh bien, fit Ginette, aujourd’hui ils dansent la samba, et pour l’innocence, on repassera !

Par les portes ouvertes sur la salle sombre venait le rythme sambique, les jeunes gens et les jeunes filles semblaient s’en vouloir à mort.

— En tant que pharmacien, dit le pharmacien du village de Martine, je sais évidemment que l’eau de rose, l’essence de roses, nous viennent de l’antiquité… J’avoue que je n’ai jamais pensé que cela signifiait forcément une culture de roses en grand… Votre métier doit être un métier très ancien, n’est-ce pas ?

— Comme métier ? C’est difficile à dire… La rose sort de la nuit des temps douze siècles avant Jésus-Christ, en Asie Mineure, pour se mêler aux rites religieux des Perses. Les Juifs avaient des plantations de roses près de Jéricho… La rose apparaît chez les Grecs… chez Homère, chez Sapho, Hérodote… à Rome, elle a été de toutes les fêtes… Et le naturaliste Pline l’Ancien nous en conte des vertes et des pas mûres sur la rose… Les couronnes, les pétales, pour en avoir tant et tant, il fallait bien les cultiver. En l’an 70, il y avait déjà des serres, en Grèce. On connaissait la greffe, les croisements. Ensuite, l’histoire de la rose enjambe plusieurs siècles, on ne lui pardonnait peut-être pas son caractère païen… mais, chose curieuse, tout comme pendant des siècles avant Jésus-Christ on l’avait associée aux dieux et aux déesses, on s’était soudain mis à l’associer à la pureté de la Vierge !

— Toujours dans les huiles… fit Ginette.

— … Les couronnes de roses sont maintenant tressées en l’honneur de la vertu, et chaque fois que la Vierge se manifeste aux hommes, des roses naissent sous ses pas…

— Ça, c’est le côté spirituel de l’histoire, interrompit le pharmacien, mais, au Moyen Age, la rose jouait un grand rôle en pharmacie. Avicenne lui-même affirmait que la conserve de roses consommée en très grande quantité guérissait de la tuberculose… Et l’eau de rose au Moyen Age s’employait en quantité si énorme que la rose devait bien être cultivée sur des centaines d’hectares, rien qu’en France.

— Oui, dit M. Donelle, très content de trouver un interlocuteur qui avait des lumières sur les roses ; je crois qu’au Moyen Age c’était un métier très lucratif. Avec la mode des chapeaux et couronnes de roses, et l’eau de rose à elle seule…

— Oh, vous devez bien vous défendre aujourd’hui aussi, monsieur Donelle ! — Ginette, à qui Martine avait confié que le père ne les lâchait pas facilement, souriait finement : — Richard, veux-tu descendre de là ! cria-t-elle à l’intention de son fils qui faisait des acrobaties sur la margelle du puits. Richard, qu’est-ce que je te dis ! Attends un peu que je t’y envoie, sur les roses !.. — Et calmement, pour les autres : — Ce gosse me fera mourir…

M. Donelle ignora l’interruption de Ginette, — en homme bien élevé, — se dit Mme Denise, cette Ginette était impossible, d’une vulgarité ! N’étaient ses qualités de manucure, il y a longtemps qu’on se serait passé d’elle, à l’Institut de beauté… Pourquoi fallait-il que Martine se fût liée avec elle, justement ?…

— … Le métier de marchand de roses, continuait M. Donelle, était très répandu en France aux XVe et XVIe siècles. Il existait même alors une coutume qui devait aider à entretenir d’agréables relations entre gens qui « se devaient mutuelles déférences »… J’ai lu dans une Histoire des antiquités de la Ville de Paris que les Princes du sang qui avaient des pairies dans le ressort des Parlements de Paris et de Toulouse étaient obligés de donner des roses au Parlement, en avril, mai et juin. Le pair qui présentait les roses en faisait joncher toutes les chambres du Parlement, ensuite il offrait un déjeuner aux présidents, aux conseillers, aux greffiers et huissiers de la cour. Après le repas, il allait dans chaque chambre porter des bouquets et des couronnes ornés de ses armes, pour tous les officiers… On ne lui donnait audience qu’après et puis on entendait la messe. Le Parlement avait d’ailleurs son faiseur de roses qu’on appelait le «  Rosier de la Cour », et le Prince du sang, qui payait sa redevance en roses au Parlement, était obligé de se fournir chez lui…

— Vous voyez M. Ramadier ou M. Georges Bidault ceints de couronnes de roses !

La pharmacienne leva les bras au ciel. Elle avait toujours le mot pour rire, celle-là ! Tout le monde rit, d’autant plus que Ginette, tout étonnée, demanda :

— Il y avait un Parlement au XVIe siècle, à Paris ? On était donc déjà en République ?

Le grand garçon brun qui commençait bien précocement à perdre ses cheveux, l’étudiant en lettres avec qui Daniel avait été dans la Résistance et qui lui prêtait sa chambre, ignora, lui aussi, très poliment Ginette :

— Savez-vous, monsieur Donelle, qu’on parle de la baillée des roses déjà au XIIe siècle ? La reine Blanche de Castille l’aurait instituée à l’occasion du mariage de la fille du premier président du Parlement de Paris, la belle Marie Dubuisson…

L’ami de Daniel devait aimer les femmes, la beauté de Martine l’avait beaucoup ému, l’idée qu’elle ait pu coucher dans son lit…

Mme Denise trouvait M. Donelle de plus en plus vieille France, et ce jeune homme maintenant… C’étaient des gens très bien.

— Rosiéristes de père en fils… quand on est quelque chose de père en fils, monsieur Donelle, on est aristocrate, dit-elle. Et votre fils va la continuer, cette lignée aristocratique ?

— Aristocratique ? — M. Donelle regarda Mme Denise avec un petit sourire. — Il y a eu quelques horticulteurs qui ont appartenu à la noblesse, les Vilmorin, par exemple… Ils ont perdu leurs prérogatives de gentilshommes parce qu’ils se sont mis dans le négoce, vers les 1760… Mais les dynasties de rosiéristes, les Pemet-Duchet, les Nonin, les Meilland, les Mallerin, ne possèdent ni titres, ni particules… Notre Gotha c’est celui des Roses ou — ne soyons pas trop ambitieux ! — notre who is who des roses…

Mme Denise ressentait une surprise agréable : cet homme parlait l’anglais…

— L’antiquité, Madame, nous a transmis peut-être une dizaine de variétés de roses décrites… aujourd’hui nous en avons quelque chose comme vingt mille. Il y a des hommes qui ont donné leur vie à l’obtention de roses nouvelles… Ce sont des créateurs, et mon père en était un… Chaque rose nouvelle est portée sur un registre, sur un catalogue, avec son nom à côté du nom de celui qui l’a créée, et la date de sa création. Le catalogue indique à quelle race elle appartient, la provenance de cette race et la date de son introduction en France.

— C’est inouï ! s’exclama Mme Denise.

— Et vous dites qu’à ce jour il y en a vingt mille d’enregistrées ? Le pharmacien semblait trouver que c’était beaucoup.

— Mais oui, Monsieur, et on lit le nom de Donelle assez souvent à côté du nom de la rose… Mon père en a créé un grand nombre, il a obtenu des prix à Lyon, à Bagatelle… à d’autres concours de roses… C’était un maître en matière d’hybridation… Il n’a jamais fait d’études spéciales et pourtant au Congrès International de Génétique il a été très écouté… Daniel tient de son grand-père, mais c’est un scientifique. Il veut créer les roses nouvelles, scientifiquement. On verra bien… C’est chez lui une passion telle qu’à la place de Martine, j’en serais jalouse…