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Les garçons apportaient du Champagne. Cette noce était décidément très réussie. Dans la salle, on s’amusait beaucoup, il en venait des rires et des cris et des applaudissements. Ginette, n’y tenant plus, quitta les grandes personnes qu’elle commençait à trouver rasoir, pour aller se jeter dans la danse.

Dans la salle, on avait allumé quelques bougies électriques discrètes ; elles se reflétaient dans le cuivre de ces bassinoires et chaudrons qui tenaient compagnie aux vieilles poutres et justifiaient l’Auberge annoncée à l’extérieur. « Quelle ambiance ! » put dire Ginette, aussitôt dans les bras d’un garçon… C’était une java, et un couple la sambisait si bien que les autres s’en tordaient de rire. Le patron lui-même était entré dans la danse, et ventre ou pas, il se révélait un danseur de java émérite. En homme qui a du savoir-vivre, il ne s’était permis d’inviter la jeune mariée qu’une seule fois, très correctement.

— C’est vraiment épatant chez vous… Martine dansait menu dans les bras puissants du patron.

— Il ne tient qu’à vous, Mademoiselle… pardon, Madame, d’y revenir aussi souvent que possible. Et quand je dis cela, vous savez bien que ce n’est pas l’intérêt qui parle.

— Certainement, Monsieur… Mais on ne se marie pas tous les jours. Je vous suis très reconnaissante, à vous et à Ginette, d’avoir si bien fait les choses… Je ne voudrais pas abuser, quand même… Comme vous voyez, on n’a pas encore une Cadillac, c’est plutôt une quatre-chevaux !

— Vous l’aurez, la Cadillac, Madame, c’est moi qui vous le dis, même que, j’en suis sûr, si vous l’aviez voulu, elle aurait déjà été à votre disposition…

— Pour qui me prenez-vous… dit Martine d’une voix terne, sans point d’exclamation.

— Quand on vous voit, Madame, on regrette que le strip-tease ne soit pas d’usage plus courant !

La java s’arrêta, et les jeunes crièrent d’un seul cœur : « Assez ! » et, ensemble : « Cha-cha-cha ! Cha-cha-cha. »

Martine retourna dans les bras de Daniel qui attendait, les mains dans les poches, et s’amusait beaucoup à regarder les autres faire les fous.

— C’est drôle, dit Martine, toutes les femmes te le diront : les maris ne savent jamais danser… C’est-il que les bons danseurs ne se marient pas, c’est-il que…

— Je te comprendrais aussi bien, mon cœur, si tu disais : est-ce que les bons danseurs ne se marient jamais, ou est-ce que… Qu’est-ce donc qu’on vous apprend à votre Institut de beauté ?…

— N’empêche que tu danses comme un pied !

— Très juste ! Je t’aime, ma fée, ma danseuse, mes petits pieds dansants… Le soleil finira bien par se coucher et nous aussi. J’attends, j’attends…

— Moi je ne t’attendrai plus jamais. Je t’ai.

Pas plus de point d’exclamation que de points de suspension. La ponctuation dans le langage de Martine devenait de plus en plus celle d’une machine à écrire de bureau.

— Si on partait tout de suite ?… Daniel la serra contre lui. J’ai repéré que la porte derrière les lavabos donne sur le large…

Personne ne semblait avoir remarqué leur disparition. Le pick-up continuait à s’époumoner, et des atomes crochus, comme on le disait du temps où le mot atome ne voulait rien dire, maintenaient les couples dans un état de plaisir partagé. Le patron se retira dans ses appartements avec un petit signe à Ginette. M. Donelle et les autres firent quelques pas sur le gravier crissant du jardin, puis sortirent sur le goudron de la route… Tout le monde avait trop mangé, trop bu… Il faisait encore lourd, très lourd…

On n’est pourtant pas encore des vieux, dit Mme Donzert au pharmacien, constatant à part soi que la quatre-chevaux n’était plus là, mais voyez comme tout a changé… Les cadeaux de mariage par exemple… Ma mère me racontait souvent comment, lorsque le patron de l’usine où elle travaillait a marié sa fille, on avait exposé tous les cadeaux de mariage sur une grande table et tout le monde pouvait y aller voir… C’était de l’argenterie et des bronzes, des vases et des bijoux… Vous la voyez sur la table, la quatre-chevaux que M. Donelle a donné aux enfants ? Et la radio sans fil de Mme Denise, et l’appareil photographique que leur a envoyé un oncle, rosiériste sur la Côte d’Azur… Et nous-mêmes qui leur avons offert un appartement… à crédit… que nous allons payer à nous trois, Georges, Cécile et moi, pendant deux ans ! Ah, je vous dis…

Soudain, les jeunes jaillirent tous ensemble de la maison, ils grimpaient dans le car où le chauffeur sommeillait en attendant le départ. Ils voulaient faire une promenade, faire n’importe quoi, on n’allait pas se séparer comme ça…

— Vous remarquerez, disait M. Donelle, qu’à côté de ce Coin du Bois, il n’y a pas de bois ! Et pas âme qui vive dans la journée ! Nous n’avons pourtant pas loué toute la maison, et l’entrée n’en était pas interdite aux personnes étrangères à la noce…

Le car démarrait… Les départs commençaient à s’organiser. Mme Donzert, morte de fatigue, remerciait l’ami de Daniel qui voulait bien ramener toute la famille, M. Georges, Cécile et son Jacques, à Paris. Le pharmacien allait maintenant dans l’autre sens, il rentrait chez lui, au village. Cécile et Jacques n’avaient pas voulu monter dans le car avec la jeunesse. Cécile n’était pas en train, semblait fatiguée, et Jacques, un grand gaillard sombre, ne disait rien… Clair que ces deux-là s’étaient disputés.

— On a passé une journée merveilleuse… — Mme Denise montait dans la voiture rutilante de son ami : — Où est Ginette ?… Eh bien, tant pis… Je suis sûre qu’elle se débrouillera…

Il ne restait plus que la vieille Citroën de M. Donelle.

— Pépé ! il y a la lune ! dit la petite aux cheveux noirs flottants…

UNE PLACE FORTE

Martine sera-t-elle une autre fois dans sa vie heureuse comme elle le fut ce soir, cette nuit, et le lendemain encore… Ce bonheur n’était pas à crédit, comme l’appartement et la quatre-chevaux, ce bonheur ne devait rien à personne. Ou, plutôt, elle l’avait payé elle-même pendant tant et tant d’années que maintenant il lui appartenait, on ne pouvait plus le lui reprendre.

Ils avaient traversé des pays qui leur paraissaient étranges, parce qu’ils surgissaient soudain au sortir des baisers et des arbres. Ils n’avançaient pas vite, même lorsqu’ils avançaient, parce que Daniel conduisait d’une main, il ne savait peut-être pas danser, mais il savait conduire, les maris savent conduire, hein, Martine ? et vous embrasser… La vallée de la Seine autour d’eux était sonore comme le sont les maisons neuves, sans meubles, ou alors ne serait-ce pas là un autodrome, un vélodrome ? De temps en temps, il venait sur eux comme un bruit de course, le vent ou un peloton de coureurs… ou peut-être était-ce la trépidation d’une usine ? Mais cela se résolvait, s’éloignait, sans avoir apparu. Ils roulaient au-dessus du fleuve, puis s’enfonçaient dans les bois, et en sortaient pour se trouver à un autre coude de la Seine… Elle les tenait, les ramenait à elle. Pour Martine c’était un vrai voyage, elle qui n’avait jamais rien vu d’autre que son village et Paris, elle se sentait ici, à une centaine de kilomètres de Paris, merveilleusement dépaysée, tant ce grand ciel clair et implacable ressemblait peu à son ciel familier.