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Pourquoi, cependant, ne pas y rester aussi longtemps que possible ? Je n’avais toujours pas envie de reprendre mes études et l’ambition d’avoir un jour un garage à trois voitures était tout aussi morte que ce billet de Sweepstake. Si la troisième Guerre Mondiale était sur le point d’éclater, cela ne me servirait à rien d’être ingénieur à Santa Monica, de gagner six à huit mille dollars par an, juste pour être sous le déluge de feu.

Il vaudrait bien mieux rester en vie, cultiver son jardin, carpe diem ! avec quelques dollars et quelques jours à vivre, et puis, pourquoi pas ? m’engager dans les Marines, comme papa. Je pourrais peut-être même être nommé caporal, et le rester.

Je pliai le journal à la colonne des annonces « Personnelles ».

Il y a toujours des choses amusantes. À côté des offres habituelles d’études psychiques et de yoga, à côté des messages signés d’initiales qui s’adressent à d’autres initiales, il y en avait plusieurs qui étaient de vrais romans. Mais voyez plutôt :

RÉCOMPENSE ! Êtes-vous candidat au suicide ? Permettez-moi d’utiliser votre appartement et je ferai de vos derniers jours un enchantement. Boîte 323, H-T.

Ou encore : Gentleman hindou, non végétarien, désire rencontrer dame cultivée européenne, africaine ou asiatique, possédant voiture de sport personnelle. Dans le but d’améliorer les relations internationales. Boîte 107.

Comment faire « ça » dans une voiture de sport ?

Une était inquiétante : Hermaphrodites du monde entier, levez-vous ! Vous n’avez rien à perdre, sauf vos chaînes. Tél. Opéra 59 09.

La suivante commençait ainsi :

ÊTES-VOUS UN PLEUTRE ?

Oui, certainement. Si possible. Quand on a le choix. Je continuai à lire :

ÊTES-VOUS UN PLEUTRE ?

Si oui, cette annonce ne vous concerne pas. Nous avons un besoin extrême d’un homme brave. Il doit avoir de 23 à 25 ans, être en parfaite santé, une taille d’au moins six pieds, peser environ 190 livres, parler anglais couramment et avoir des notions de français, connaître l’usage de toutes les armes, avoir des connaissances d’ingénieur et de mathématiques élémentaires, désirer voyager, être sans famille ni liens affectifs, d’un courage indomptable et être beau de corps et de visage. Emploi permanent, très bien payé, avec de magnifiques aventures, de grands dangers. Vous devez vous présenter en personne, 17, rue Dante, Nice, 2e étage, appartement D.

Je lus avec soulagement les exigences au sujet du corps et du visage. Un instant j’avais eu l’impression que quelqu’un, doué d’un curieux sens de l’humour, me faisait, à moi, une mauvaise plaisanterie. Quelqu’un qui savait que j’avais l’habitude de lire des annonces « Personnelles ».

L’adresse n’était qu’à une centaine de mètres de l’endroit où j’étais assis. Je lus de nouveau l’annonce.

Puis je payai la note, laissant un pourboire raisonnable, j’allai jusqu’au kiosque et achetai The Stars and Stripes ; ensuite j’allai jusqu’à l’American Express où je pris de l’argent ainsi que mon courrier, avant de me diriger vers la gare. J’avais une heure à perdre avant le premier train pour Toulon, aussi allai-je au buffet, commandai une bière et m’assis pour lire.

Ma mère était désolée que je les aie manqués à Wiesbaden. Dans sa lettre, elle me parlait des maladies des enfants, du coût de la vie en Alaska et me disait combien ils regrettaient d’avoir dû quitter l’Allemagne. Je mis sa lettre dans ma poche et dépliai The Stars and Stripes.

À ce moment, mes yeux tombèrent sur : ÊTES-VOUS UN PLEUTRE ? … la même annonce, d’un bout à l’autre.

Je jetai le journal en grognant.

J’avais trois autres lettres. L’une me demandait ma cotisation pour l’association sportive de mon ancien collège ; la seconde m’offrait des conseils pour le choix de mes investissements, au tarif réduit de 48 dollars par an ; la dernière était une grande enveloppe, sans timbre, qui sans aucun doute avait été portée directement à l’American Express.

Elle ne contenait qu’une coupure de presse, qui commençait ainsi : ÊTES-VOUS UN PLEUTRE ?

C’était exactement la même que les deux autres annonces, sauf que, dans la dernière phrase, un mot avait été souligné : vous devez vous présenter en personne

Je plongeai dans un taxi pour aller rue Dante. Si je me pressais, j’avais le temps de débrouiller ce sac de nœuds et d’attraper quand même le train pour Toulon. Il n’y avait pas d’ascenseur au n°17 ; je pris donc l’escalier et grimpai. En approchant de l’appartement D, je croisai un jeune homme qui en sortait. Il avait six pieds de haut, était beau de visage et de silhouette, et ressemblait un peu à un hermaphrodite.

La plaque, sur la porte, indiquait : DR. BALSAMO – SUR RENDEZ-VOUS SEULEMENT, en français et en anglais. Le nom me parut familier, assez curieux, mais je ne m’y attardai pas. J’entrai.

Le bureau dans lequel je pénétrai était meublé d’une manière que je n’ai jamais vue que chez les vieux notaires et hommes de loi français. Derrière un bureau se trouvait un curieux personnage qui ressemblait à un gnome souriant, l’air joyeux, aux yeux perçants, avec la figure et le front chauve le plus rose que j’aie jamais vu, avec seulement une couronne de cheveux blancs. Il me regarda et m’accueillit par un « Bonjour ! Ainsi, vous, vous êtes un héros ? » Tout à coup il brandit un revolver aussi grand que lui et probablement aussi lourd et le pointa sur moi. Dans le canon, on aurait pu faire entrer une Volkswagen.

— « Je ne suis pas un héros, » dis-je méchamment, « je suis un pleutre. Je suis juste venu voir quelle plaisanterie on faisait ici. » Je me poussai de côté alors que je donnais un grand coup de la main sur l’énorme revolver d’ordonnance, puis lui attrapai le poignet et le tins fermement. Après, je lui rendis son instrument : « Ne jouez donc pas avec ça, ou je m’en sers pour vous écraser. Je suis pressé. Vous êtes le docteur Balsamo ? C’est vous qui avez mis cette annonce ? »

— « Tut, tut, » dit-il, sans paraître ennuyé le moins du monde. « La fougue de la jeunesse. Non, le docteur Balsamo est ici. » Et il me montra de l’œil les deux portes qui se trouvaient sur la cloison de gauche, après quoi il appuya sur un bouton de son bureau,… la seule chose qui, dans cette pièce, devait dater d’après Napoléon. « Entrez, elle vous attend. »

— « Elle ? Quelle porte ? »

— « Ah, oui ! la dame ou le tigre ? Quelle importance ? La chance ? Un héros devrait le savoir. Un pleutre choisirait la mauvaise porte, étant sûr que je mens. Allez-y ! Vite, Vite[19] ! Schnell ! Débarrassez le plancher, mon vieux. »

Je reniflai et ouvris brusquement la porte de droite.

Le docteur était debout, me tournant le dos, près d’un appareil qui était contre le mur ; elle portait une de ces longues blouses blanches, à col dur, comme aiment en porter les médecins. À ma gauche, se trouvait une table d’examen chirurgical, à ma droite, un divan moderne de style suédois ; il y avait aussi des vitrines et des instruments d’acier inoxydable, et des diplômes encadrés ; cette pièce était aussi moderne que l’autre semblait vieillotte.

Quand je refermai la porte, elle se retourna, me regarda et me dit doucement : « Je suis très heureuse que vous soyez venu. » Puis elle sourit et me dit tout bas : « Vous êtes beau, » et elle vint dans mes bras.

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19

En français dans le texte (N.D.T.)