Quand je me suis relevé et que j’ai bandé cet arc, pour en sentir la résistance, j’ai eu un véritable sentiment d’exultation : cet outil était fait pour moi. Nous nous entendions !
Je tirai sans réfléchir.
Je touchai le tronc à une main de sa flèche.
— « Bien tiré ! » s’écria Star.
Rufo regarda l’arbre et eut un sursaut, puis regarda Star avec reproche. Elle lui rendit son regard dédaigneusement : « Non, » déclara-t-elle. « Tu sais bien que je ne l’aurais pas fait. Je n’ai pas truqué l’épreuve… vous êtes aussi bons tireurs l’un que l’autre. »
Rufo me regarda pensivement : « Hmm… Voulez-vous faire un petit pari, – c’est à vous de fixer l’enjeu, – que vous pouvez recommencer ? »
— « Je ne parie pas, » dis-je. « Je suis un peu trouillard. » Mais cela ne m’empêcha pas de ramasser une autre flèche et de viser. J’aimais cet arc, j’aimais même la manière dont la corde frappait le protège-bras en se détendant ; je voulais essayer de nouveau, nous sentir étroitement unis l’un à l’autre encore une fois.
Je tirai.
La troisième flèche arriva exactement entre les deux premières, mais plus près de la sienne. « Bon arc, » dis-je. « Je le garde. Allez chercher les flèches. »
Rufo s’éloigna en trottinant, sans parler. Je détendis l’arc puis commençai à examiner les armes blanches. J’espérais bien ne jamais avoir à tirer de flèche. Un joueur ne peut s’attendre à ramasser un full servi à chaque donne : certainement, à mon prochain essai, ma flèche reviendrait sur moi, comme un boomerang.
Il y avait trop de lames, coupantes ou pointues, depuis un espadon à deux mains qui devait convenir pour abattre les arbres jusqu’à une petite dague de jeune fille. Mais je les examinai toutes, les éprouvant… et je finis par trouver la lame qui me convenait, exactement comme il en était d’Excalibur pour Arthur.
Je n’en avais encore jamais vue de semblable et je ne sais pas quel nom lui donner. Un sabre, je pense, car la lame légèrement incurvée, avait le tranchant d’un rasoir et était aiguisée sur une bonne longueur sur le dos. Mais la pointe était aussi mortelle que celle d’une épée et la courbure de la lame n’était pas assez prononcée pour empêcher de l’utiliser pour les coups de pointe et pour les contres, aussi bien que pour les coups d’estoc, comme une masse d’armes. La garde enveloppait bien le poignet ; elle était composée d’une demi-coquille assez dégagée pour permettre toutes les feintes et tous les contres.
Il était équilibré dans son fort, à moins de deux pouces de la garde et la lame était cependant assez puissante pour couper un membre. Il s’agissait du genre d’épée qui semble être le prolongement de votre corps.
La poignée était couverte de peau de requin ; je l’avais parfaitement en main. Une devise était gravée sur la lame mais elle était tellement imbriquée dans les ciselures que je ne pris pas le temps de la déchiffrer. Cette jolie fille était à moi, nous étions faits l’un pour l’autre ! Je la reposai et bouclai sur mon torse nu le ceinturon et le fourreau pour en sentir le contact, et j’eus le sentiment d’être le capitaine John Carter[25], Jedakk des Jeddaks, et même d’Artagnan et les trois autres mousquetaires, tous ensemble.
— « Ne vous habillez-vous pas, seigneur Oscar ? » demanda Star.
— « Oh ! oui, certainement… Je ne faisais que l’essayer. Mais, Rufo est-il allé chercher mes vêtements ? »
— « Rufo ? »
— « Ses vêtements ? Je ne pense pas qu’il veuille parler de ces choses qu’il portait à Nice ! »
— « Pourquoi ne pas porter une culotte de cheval et un polo ? » demandai-je.
— « Quoi ? Oh, non ! pas du tout, seigneur Oscar, » répondit vivement Rufo. « Vivre et laisser vivre, comme je dis toujours. J’ai une fois connu quelqu’un qui portait… mais laissons cela. Laissez-moi plutôt vous montrer ce que je suis allé chercher pour vous. »
J’avais le choix entre quantité de vêtements, qui allaient de l’imperméable en plastique jusqu’à l’armure complète. J’éprouvai un sentiment de gêne en voyant l’armure, car sa présence impliquait qu’elle pourrait être nécessaire. À part le casque que j’avais eu à l’armée, je n’avais jamais porté d’armure, je ne le désirais pas, et je ne savais pas comment… et d’ailleurs, je n’avais aucune envie de rencontrer des gens dont la violence aurait rendu nécessaire une telle protection.
En outre, je ne voyais pas de cheval, que ce soit un percheron ou un clydesdale[26], et je ne m’imaginais pas du tout marchant revêtu d’un de ces harnachements métalliques. J’allais être ralenti dans mes mouvements, faire autant de bruit qu’une rame de métro et avoir aussi chaud que dans une cabine téléphonique. Je suerais bien dix livres en moins de cinq milles. Les caleçons longs qu’il fallait mettre en dessous de cette ferraille, à eux seuls, auraient été de trop par un temps aussi magnifique ; et l’acier, par-dessus, aurait transformé l’ensemble en un véritable four ambulant, ce qui m’aurait trop affaibli, même pour me frayer un chemin.
— « Star, vous avez dit que…» mais je m’arrêtai. Elle avait fini de s’habiller et n’avait pas fait d’excès. De légères chaussures de marche en cuir, de vrais cothurnes, un collant brun et une sorte de tunique courte qui tenait de la veste et du tutu de danseuse. Elle avait mis par-dessus le tout une sorte de petit chapeau espiègle et ce costume, dans son ensemble, lui donnait à peu près l’aspect, revu et corrigé pour une comédie musicale, d’une hôtesse de l’air, d’une hôtesse élégante, nette, gracieuse et fort attirante.
Ou de Diane chasseresse, car elle avait ajouté un arc à double courbure, moitié moins grand que le mien, et une dague. « Vous, » lui dis-je, « vous allez provoquer une émeute ! »
Elle sourit et me fit une révérence (Star n’avait aucune prétention ; elle se savait femelle, elle savait qu’elle avait belle apparence et elle en était heureuse). « Tout à l’heure, » continuai-je, « vous avez dit quelque chose, que je n’aurais pas besoin d’armes pour le moment. Y a-t-il une raison pour que je porte maintenant une de ces combinaisons spatiales ? Elles ne paraissent pas très confortables. »
— « Je ne pense pas que nous rencontrions de grands dangers aujourd’hui, » dit-elle lentement. « Mais ceci n’est pas un endroit où il est possible de faire appel à la police. Il faut donc que vous choisissiez ce dont vous avez besoin. »
— « Mais… Fichtre, princesse, c’est vous qui connaissez les lieux. Moi, j’ai besoin qu’on me conseille. »
Elle ne répondit pas. Je me tournai vers Rufo. Il considérait avec beaucoup d’attention le sommet d’un arbre.
« Rufo, » lui dis-je, « habillez-vous ! »
Il haussa les sourcils. « Seigneur Oscar ? »
— « Schnell ! Vite, Vite ! Allez-y. »
— « Très bien. » Et il s’habilla rapidement, prenant la version masculine de ce que Star avait choisi, avec des culottes courtes au lieu d’un collant.
— « Armez-vous, » lui dis-je, et je commençai à m’habiller de la même manière sauf que moi, je préférais prendre des bottes. Il y avait cependant une paire de ces cothurnes qui semblaient à ma taille, aussi les pris-je pour les essayer. Ils m’habillaient les pieds comme des gants et, de toute manière, j’avais la plante des pieds tellement endurcie par un mois passé à vivre pieds nus dans l’île du Levant que je n’avais vraiment pas besoin de lourdes chaussures.
Ils n’étaient pas aussi médiévaux qu’ils le paraissaient. Ils avaient une fermeture à glissière sur le dessus et, à l’intérieur, on pouvait lire Fabriqué en France[27].
26
Cheval de trait assez lourd, originaire d’Écosse, généralement bai-brun ou noir, avec des balzanes blanches.