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Ce n’était pas mieux, pour moi, du point de vue pécuniaire, étant donné que mon oncle par alliance devait verser une pension alimentaire à une première femme ce qui, avec les lois de l’État de Californie, faisait à peu près de lui un ouvrier travaillant dans les champs de l’Alabama avant la guerre de Sécession. Heureusement, j’avais 35 dollars par mois de pension comme « fils survivant d’un ancien combattant décédé » (pas comme « orphelin de guerre », ce qui rapporte plus). Ma mère était certaine que la mort de papa était la conséquence de ses blessures mais le ministère des Anciens Combattants n’était pas de cet avis, c’est pourquoi je n’étais que « fils survivant ».

35 dollars par mois, c’était loin de compenser les descentes que je faisais dans leurs provisions et il était bien entendu qu’une fois diplômé je devrais subvenir moi-même à mes besoins. En faisant mon service militaire, sans doute – Mais j’avais ma petite idée à moi ; je jouais au foot ball[1] et j’avais terminé la saison de la classe supérieure avec une rencontre nous opposant au lycée de California Central Valley, ce qui m’avait rapporté pas mal d’argent et une fracture du nez… et j’allais entrer au Collège d’État régional à l’automne suivant avec un poste de « pion de gymnastique » à 10 dollars par mois de plus que ma pension, sans compter les frais.

Je ne savais pas encore comme cela finirait mais mon idée était nette : tenir bon, faire des pieds et des mains, et décrocher un diplôme d’ingénieur. Éviter à la fois le service militaire et le mariage. Une fois diplômé, trouver une situation qui m’exempte du service. Économiser de l’argent et décrocher un diplôme de droit, en plus, parce qu’un professeur de Homestead en Floride m’avait fait remarquer que les ingénieurs gagnaient de l’argent, mais que la grosse galette et les situations de premier plan étaient, elles, réservées aux juristes. Et c’est ainsi que j’avais bien l’intention de jouer le jeu jusqu’au bout, oui, monsieur ! Être vraiment un type de tout premier plan ! Je me serais bien dirigé tout de suite vers ce diplôme de droit, n’eût été le fait que le collège ne donnait pas de cours de droit.

À la fin de la saison, pendant ma deuxième année, ils abandonnèrent le football.

Nous avions eu une saison parfaite, sans gagner. « Flash » Gordon (c’est moi, d’après les comptes rendus sportifs) était mis sur la touche ; cependant le pion et moi étions privés de notre boulot. Oh ! je continuais à donner des « répétitions de gym » jusqu’à la fin de l’année, enseignant le basketball, l’escrime et le saut mais l’ancien élève qui gérait le budget ne portait aucun intérêt à un joueur de basketball qui ne mesurait que six pieds un pouce[2]. Je passai cet été-là à bricoler et à chercher une autre situation. Et, cet été, j’avais eu vingt et un ans, ce qui me supprimait aussi ma pension de 35 dollars par mois. Peu après la Fête du Travail, je me repliai donc sur mes positions antérieures, c’est-à-dire, que j’appelai au téléphone mon centre de recrutement.

J’avais l’intention de passer un an dans l’aviation puis de tenter un examen pour entrer à l’École de l’Air, pour devenir astronaute et célèbre, à défaut de riche.

Mais tout le monde ne peut pas devenir astronaute. L’Aviation avait dépassé son quota, ou quelque chose comme cela. Je fus versé dans l’Armée de Terre, tellement vite que j’eus à peine le temps de faire mes bagages.

J’envisageais alors d’être le meilleur secrétaire d’aumônerie de toute l’armée ; j’étais certain que mon dossier indiquait ma vélocité pour taper à la machine. Et, si je pouvais dire mon mot, j’irais faire mon temps à Fort Carson, m’employant à taper de beaux états de service, tout en suivant les cours du soir.

Je n’eus pas la possibilité de dire mon mot.

Êtes-vous jamais allé en Indochine ? La Floride, à côté, ressemble à un désert. Où que vous alliez, vous êtes plongé en complète absurdité. Au lieu de se servir de tracteurs, ils utilisent des véhicules amphibies. Les buissons fourmillent d’insectes et d’indigènes qui vous tirent dessus. Ce n’était pas une guerre, même pas une opération de « rétablissement de l’ordre ». Nous étions des « conseillers militaires ». Mais un cadavre de conseiller militaire, vieux de quatre jours, dans cette fournaise, pue exactement comme un cadavre dans une vraie guerre.

J’ai été promu caporal. J’ai même été promu sept fois. Promu caporal, toujours caporal.

Je n’avais pas l’esprit qui convenait. C’est ce que disait le commandant de ma compagnie. Mon père avait été dans les Marines et mon beau-père dans l’Aviation ; et ma seule ambition militaire avait été d’être employé d’état dans une aumônerie. Je n’aimais pas l’armée. Mon commandant de compagnie n’aimait pas non plus l’armée ; c’était un premier lieutenant qui n’était pas devenu capitaine et chaque fois qu’il ruminait son amertume le caporal Gordon perdait ses galons.

La dernière fois que je les ai perdus, ce fut pour lui avoir dit que j’allais écrire à mon député pour lui demander de découvrir pourquoi j’étais le seul homme en Indochine qui allait être rapatrié pour cause de vieillesse au lieu de rentrer chez moi à l’issue de mon temps, et cela l’a rendu si fou que non seulement il m’a fichu dehors mais qu’il a encore fait une sortie, où il s’est conduit en héros, et au cours de laquelle il est mort. Et c’est comme cela que j’ai attrapé cette cicatrice qui dépare mon nez cassé, car j’ai été un héros moi aussi, et j’aurais même dû être décoré de la Medal of Honor[3], mais il n’y avait personne pour me regarder.

Pendant que j’étais en convalescence, ils décidèrent de me renvoyer chez moi.

Le Major Ian Hay, dans Une guerre contre la guerre, décrit comment sont organisés les services de l’armée : sans tenir aucun compte des organigrammes, toute la bureaucratie militaire réside en un Service des Surprises-Parties, un Service des Mauvaises Plaisanteries et un Service de la Bonne Fée. Les deux premiers services s’occupent de presque tout, et le troisième est très réduit ; le Service de la Bonne Fée est en général constitué d’une auxiliaire féminine âgée sur le point d’aller en permission de détente.

Mais quand elle est à son travail, il lui arrive parfois de poser son tricot et de choisir un des noms éparpillés sur son bureau, ce qui lui permet de faire quelque chose d’intelligent. Vous avez vu comment j’avais été traité par le Service des Surprises-Parties et par celui des Mauvaises Plaisanteries ; cette fois, la Bonne Fée ramassa le nom du soldat de première classe Gordon.

Tout simplement, comme ça… Quand j’appris que j’allais rentrer chez moi aussitôt que mon visage serait guéri (car le bon petit frère jaune n’avait pas stérilisé son coupe-coupe), j’ai déposé une demande pour être démobilisé à Wiesbaden, où se trouvait ma famille, plutôt qu’en Californie, lieu de mon incorporation. Ce n’est pas que je critique le bon petit frère jaune ; il n’avait pas du tout eu l’intention que je guérisse, et il s’en serait occupé s’il n’avait d’abord tué mon commandant de compagnie et s’il n’avait été trop pressé pour faire son travail à mon égard. Moi, je n’avais pas non plus stérilisé ma baïonnette, mais il ne s’en est pas plaint ; il s’est contenté de soupirer et de passer l’arme à gauche, comme une poupée qui se dégonfle. Je lui en fus reconnaissant : non seulement il avait su jeter les dés de telle sorte que je quittais l’armée mais il m’avait encore donné une grande idée.

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1

Foot ball américain, naturellement, qui s’apparente au rugby, avec une plus grande brutalité. (N.D.T.)

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2

1,854 m. (N.D.T.)

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3

La plus haute décoration militaire décernée par le Congrès, pour actes de bravoure. (N.D.T.)