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— « Pourquoi pas, mon chéri ? »

— « Mettre toute la maison en l’air pour me fournir une rivière à truites ? C’est fantastique ! »

— « Je ne crois pas. »

— « Si, ça l’est. De toute manière, ma chérie, mon idée n’est pas de faire venir la rivière ici mais d’aller, nous, là-bas. En vacances. »

— « Comme j’aimerais prendre des vacances, » soupira-t-elle.

— « Tu as subi une imprégnation aujourd’hui. Tu n’as pas la même voix que d’habitude. »

— « C’est fatigant, Oscar. »

— « Star, tu les prends trop rapidement. Tu vas t’épuiser. »

— « Peut-être. Mais c’est moi qui peux en juger, comme tu le sais. »

— « Comme si je ne le savais pas ! Tu peux juger toute la fichue création, – c’est ce que tu fais, et je le sais bien, – mais je dois, moi qui suis ton mari, juger si tu travailles trop, et te dire de t’arrêter. »

— « Mon chéri, mon chéri ! »

Les incidents de ce genre n’étaient que trop nombreux.

Je n’étais pas jaloux d’elle. Le fantôme de mon sauvage passé était resté sur Névia et avait cessé de me hanter.

D’ailleurs, Centre n’est pas un endroit où les fantômes de ce genre aiment à se promener. Centre a autant de coutumes différentes pour se marier qu’il a de cultures : des milliers. Elles s’annulent. Certains humains sont monogames par instinct, comme, d’après ce que l’on dit, le sont les cygnes. C’est pourquoi on ne peut classer la fidélité parmi les « vertus ». Comme le courage, qui consiste à être brave devant la peur, la vertu, c’est se bien conduire face à la tentation. S’il n’y a pas de tentation, il ne peut y avoir de vertu. Et ces monogames inflexibles ne l’étaient pas par hasard. Si, par ignorance, quelqu’un faisait une proposition à l’une de ces femmes chastes, ce quelqu’un ne risquait ni une gifle ni un coup de couteau ; elle se contentait seulement de ne pas écouter et de poursuivre la conversation. Et cela n’avait pas d’importance non plus si le mari surprenait la conversation ; on ne rencontre pas la jalousie dans une race qui est automatiquement monogame. (Je ne l’ai jamais éprouvée moi-même ; elles me paraissaient, à moi, de vieilles croûtes.) Quand il n’y a pas de tentation, il ne peut y avoir de vertu.

J’ai pourtant eu l’occasion de montrer de la « vertu ». Cette petite chatte à la taille de guêpe m’avait tenté, – et j’avais appris qu’elle appartenait à une race dans laquelle les femmes ne peuvent pas se marier avant d’avoir prouvé qu’elles sont fertiles, comme dans certains endroits des Mers du Sud et dans certains peuples d’Europe ; elle n’enfreignait donc aucun tabou de sa tribu. Je fus aussi beaucoup plus tenté par une autre fille, une donzelle au joli minois, douée d’un extraordinaire sens de l’humour et l’une des meilleures danseuses de tous les univers. Elle ne m’emmena pas en bateau, elle me fit comprendre qu’elle n’était ni trop occupée, ni sans y porter un certain intérêt, en utilisant cet argot aux phrases très adroites.

Cela me fit plaisir. En bon Américain, je m’étais enquis (ailleurs) des coutumes de sa tribu et j’avais appris que, même s’ils étaient très stricts pour les mariages, ils étaient cependant très compréhensifs pour les célibataires. Je ne suis pas plus vertueux qu’un autre mais, même si la porte était fermée, la fenêtre était ouverte.

J’eus peur. Je m’interrogeai sur moi-même et je dus m’avouer que c’était par une curiosité morbide que je m’intéressais à ces femmes, comme ces femmes qui, elles, ne me faisaient des propositions que parce que j’étais le consort de Star. La douce petite Zhai-ee-van était un de ces êtres qui ne portaient pas de vêtements, elle en avait qui étaient bien à elle : des pieds jusqu’au bout du nez, elle était couverte d’une fourrure douce, luisante, grise, qui ressemblait beaucoup à celle du chinchilla. C’était magnifique !

Je n’en eus pas le cœur, elle était vraiment trop jolie gosse.

J’avouai cependant cette tentation à Star, et Star admit que j’avais dû faire véritablement preuve de volonté ; Zhai-ee-van était une remarquable artiste, même parmi ses semblables, et elle était tout particulièrement renommée pour avoir le plus grand talent chez les adeptes d’Éros.

Je ne fis pourtant rien. S’ébattre avec une enfant de cette douceur aurait supposé de l’amour, au moins un peu, et je n’éprouvais pas du tout d’amour, c’était seulement cette magnifique fourrure… sans compter que j’avais peur que quelques ébats avec Zhai-ee-van ne tournent en amour et qu’elle ne puisse m’épouser même si Star acceptait de me donner ma liberté.

Ou ne me donnait pas ma liberté : Centre n’est pas opposé à la polygamie. Certaines religions l’interdisent, ont des lois pour ou contre ceci ou cela, mais il y a à Centre un mélange de cultures et une effarante quantité de religions, si bien qu’elles s’annulent les unes les autres. Les culturologues établissent une « loi » sur la liberté religieuse qui, disent-ils, est invariable : la liberté religieuse en un milieu évolué est inversement proportionnelle à la force de la religion la plus importante. On suppose que c’est le cas particulier d’un invariant général, que toutes les libertés surviennent de conflits culturels car une coutume à laquelle n’est pas opposé son contraire est obligatoire et cette coutume est alors considérée comme « une loi naturelle ».

Rufo n’était pas d’accord ; il disait que ses collègues avaient établi en équations des choses qui n’étaient pas mesurables et définissables, – Ah, les têtes de linottes ! – et que la liberté n’était jamais plus qu’un heureux accident car le réflexe commun, pour toutes les races humaines, est de craindre, de haïr toute liberté, non seulement pour les voisins mais aussi pour soi-même, et de l’écraser chaque fois que c’est possible.

Revenons-en au point « A » : les Centristes ont toutes sortes de contrats de mariage. Ou pas du tout. Ils pratiquent l’association domestique, le coït, la multiplication, l’amitié et l’amour, mais pas nécessairement tout ensemble ni avec la même personne. Les contrats peuvent être aussi complexes que ceux d’une fusion de sociétés, et peuvent spécifier la durée, les buts, les devoirs, les responsabilités, le nombre et le sexe des enfants, les méthodes de sélection génétiques, si l’on doit faire appel à des mères-incubatrices, les clauses de nullité et les options de prolongation… n’importe quoi, sauf la « fidélité conjugale ». Il est évident, ici, qu’elle est impossible à imposer et qu’elle ne peut donc faire l’objet d’un contrat.

La fidélité conjugale est cependant plus commune à Centre que sur la Terre ; elle n’est simplement pas légalisée. Ils ont un vieux proverbe : Les Femmes et les Chats qui signifie que les Femmes et les Chats font ce qui leur plaît et que les hommes et les chiens ne doivent pas s’en occuper. Ce proverbe possède aussi son contraire : Les Hommes et le Climat, qui est, lui, beaucoup plus brutal et au moins aussi ancien, puisqu’il y a longtemps que l’on contrôle le climat.

Le contrat habituel est : pas de contrat du tout ; il apporte ses affaires dans sa maison à elle et y reste… jusqu’au moment où elle les flanque dehors. Cette forme de contrat est hautement estimée pour sa stabilité : une femme qui « jette les chaussures de son homme » met beaucoup de temps pour retrouver un autre homme assez brave pour oser affronter son caractère.

Mon « contrat » avec Star n’était pas autre chose que ça, si du moins les contrats, lois et coutumes pouvaient s’appliquer à l’Impératrice, ce qu’ils ne faisaient pas et ne pouvaient pas faire. Mais ce n’était pas là la véritable cause de mon malaise.