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Femme, jeune fille, je ne savais pas. À première vue, je lui donnais dix-huit ans, peut-être vingt ; plus tard, quand je fus capable de la regarder droit dans les yeux, elle me parut toujours avoir dix-huit ans mais il ne me paraissait pas impossible qu’elle en eût quarante. Ou cent quarante. C’était la beauté personnifiée, la beauté sans âge. Comme Hélène de Troie ou Cléopâtre. Il ne me semblait pas impossible qu’elle fût Hélène de Troie mais je savais bien qu’elle ne pouvait pas être Cléopâtre car elle n’était pas rousse ; c’était une blonde naturelle. Elle avait un corps tout doré, de la couleur du pain grillé, sans la moindre marque de bikini, et elle avait les cheveux de la même couleur, un tout petit peu plus clair. Sa chevelure flottait, libre, en gracieuses vagues qui descendaient le long de son dos ; ses cheveux semblaient n’avoir jamais été coupés.

Elle était grande, à peine plus petite que moi, et pas trop fine. Elle n’était pas grasse, pas grasse du tout, mais elle avait les remplissages voulus et gracieux qui adoucissent les formes féminines, et masquent le jeu des muscles… car j’étais bien certain qu’elle avait des muscles ; elle se promenait avec la calme souplesse d’une puissante lionne.

Elle avait les épaules larges pour une femme, de la même taille que ses hanches tellement féminines ; pour une femme plus faible, elle aurait eu la taille forte, mais, pour elle, elle était d’une délicieuse souplesse. Ses fesses ne tombaient pas du tout, mais supportaient les deux magnifiques gonflements de deux muscles parfaits. Ses seins… Il n’y avait que son torse pour supporter des seins aussi gros sans donner une impression d’excès de richesse. Ils étaient fermes, espacés et tressaillaient légèrement quand elle marchait ; ils se terminaient par deux aréoles d’un brun rosé et ces mamelons fiers et agressifs étaient ceux d’une femme, ils n’étaient pas du tout virginaux.

Son nombril était bien le joyau vanté par les poètes persans.

Elle avait de longues jambes, pour sa taille ; ses mains et ses pieds n’étaient pas petits mais souples, gracieux. Tout en elle était gracieux ; il était impossible de l’imaginer dans une posture disgracieuse. Elle était tellement souple, tellement bien membrée qu’elle devait toujours retomber sur ses pattes, comme un chat.

Quant à son visage… Comment pourrais-je décrire la perfection de la beauté ? Tout ce que je puis dire, c’est qu’on ne pouvait s’y tromper, quand on la voyait. Elle avait des lèvres pleines et une bouche plutôt grande. Elle avait toujours une ébauche de sourire même quand son visage était au repos. Ses lèvres étaient rouges mais elle ne se maquillait d’aucune sorte et, si elle le faisait, elle le faisait si bien qu’il était impossible de le voir, et cela seul aurait suffi à la faire remarquer car, cette année-là, toutes les femmes arboraient le maquillage « continental », qui était aussi naturel qu’un corset et qui avait toute la discrétion d’un sourire de prostituée.

Elle avait un nez droit et grand, proportionné à son visage lisse. Ses yeux…

Elle s’aperçut que je la regardais. Certaines femmes s’attendent à ce qu’on les regarde et s’y attendent d’autant plus quand elles sont nues, exactement comme si elles étaient en robe de bal. Mais il leur est pénible d’être regardées ouvertement. J’avais abandonné au bout de dix secondes et je m’efforçais de graver dans ma mémoire tous ses traits, les moindres de ses courbes.

Ses yeux se rivèrent aux miens, étincelants ; je me mis à rougir mais ne pus détourner mon regard. Elle avait des yeux d’un bleu profond, si profond qu’ils en étaient sombres, plus sombres que les miens.

Gêné, je lui dis : « Pardonnez-moi, mam’zelle[8], » avant de parvenir, quand même, à détourner les yeux.

Elle me répondit, en anglais : « Oh ! cela n’a pas d’importance. Regardez tout ce qui vous plaît, » et elle me détailla du haut en bas avec autant de soin que je l’avais regardée. Elle avait la voix chaude, une belle voix de contralto, curieusement profonde, d’un registre très bas.

Elle s’avança de deux pas et se tint presque au-dessus de moi. Je commençai à me lever et elle me fit signe de rester assis, d’un geste qui imposait l’obéissance, comme si elle avait l’habitude de donner des ordres. « Restez où vous êtes, » me dit-elle. La brise m’apporta son parfum et j’en fus couvert de chair de poule. « Vous êtes américain. »

— « Oui. » J’étais certain qu’elle n’était pas américaine, et j’étais aussi certain qu’elle n’était pas française. Non seulement elle n’avait pas la moindre trace d’accent français mais encore… oui, disons-le, les femmes françaises sont tout le temps au moins légèrement provocantes. Elles ne peuvent s’en empêcher, cela fait partie intégrante de la culture française. Et il n’y avait rien de provocant dans cette femme – sauf que, par le seul fait d’exister, elle était une véritable provocation à l’émeute.

Elle n’était pas provocante mais elle avait le don rare de parvenir immédiatement à l’intimité ; elle me parla comme aurait pu le faire un très vieil ami ; immédiatement, nous fûmes comme des amis qui connaissaient les plus petites faiblesses de l’un et de l’autre et nous eûmes un vrai tête-à-tête, d’une extraordinaire simplicité. Elle me posa des questions sur moi-même, et certaines étaient des plus indiscrètes, mais je répondis à toutes, avec franchise, et il ne me vint jamais à l’idée qu’elle pouvait ne pas avoir le droit de me questionner. Elle ne m’a pas demandé mon nom, et je ne lui ai pas demandé le sien… je ne lui ai posé aucune question.

À la fin, elle s’arrêta et me regarda de nouveau, avec soin, avec sérieux. Puis, toute songeuse, elle me dit : « Vous êtes très beau ; » elle ajouta même : « Au r’voir[9] » avant de se retourner et de descendre vers la mer où elle s’éloigna à la nage.

J’étais trop étonné pour bouger. Personne ne m’avait jamais dit que j’étais joli garçon, même avant mon nez cassé. Alors, « beau ! »

Mais je ne crois pas que j’aurais eu raison de me lancer à sa poursuite, même si j’y avais pensé à temps. Car cette poule savait nager !

CHAPITRE III

Je suis resté sur la « plage[10] » jusqu’au coucher du soleil, attendant qu’elle revienne. Puis je fis un souper de pain, de fromage et de vin, m’habillai avec mon cache-sexe pour aller au village. Là, je fis la tournée des bars et des restaurants, sans la trouver ; je regardai par les fenêtres des villas quand les rideaux n’étaient pas tirés. À l’heure de fermeture des bistrots, j’abandonnai et rentrai sous ma tente, me traitant de tous les noms. (Pourquoi ne lui avais-je pas dit : « Comment vous appelez-vous, où habitez-vous et où demeurez-vous, ici ? ») ; je m’enfilai dans mon sac de couchage et m’endormis.

Je me réveillai à l’aurore et j’allai sur la plage ; je pris mon petit déjeuner et retournai voir sur la « plage »[11], ensuite je me suis « habillé » et je suis allé au village où je l’ai cherchée dans les boutiques et au bureau de poste ; puis j’ai acheté mon New York Herald Tribune.

C’est alors que j’eus à faire face à un des plus pénibles problèmes de toute ma vie : j’avais tiré un cheval.

Je n’en fus pas tout de suite certain car je ne me rappelais pas tous les numéros de mes cinquante-trois billets. Il fallut que je retourne dans ma tente, que je retrouve mon calepin et que je vérifie… Mais j’avais tiré un cheval ! C’était un numéro que j’avais gardé en mémoire à cause de ses particularités : XDY 34555. J’avais un cheval !

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8

En français dans le texte. (N.D.T)

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9

En français dans le texte. (N.D.T)

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10

En français dans le texte. (N.D.T)

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11

En français dans le texte. (N.D.T)