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Croyez-moi, je n’étais pas jaloux.

Mais j’étais de plus en plus tourmenté par tous ces hommes morts qui lui encombraient l’esprit.

Un soir que nous étions en train de nous habiller pour quelque réception, elle me rembarra. Je lui racontais alors comment j’avais passé la journée, ayant pris une leçon de mathématiques et il ne fait aucun doute que je devais, pour elle, être aussi amusant qu’un gosse racontant ce qu’il a fait au jardin d’enfants. Mais j’étais enthousiaste, un nouveau monde s’ouvrait devant moi… et Star se montrait toujours très patiente.

Mais elle me rembarra d’une voix de baryton.

Je m’arrêtai net : « Aujourd’hui, tu as encore été imprégnée ! »

Je pouvais entendre tourner les rouages de son cerveau : « Oh ! Pardonne-moi, chéri ! Non, je ne suis pas moi-même. Je suis Sa Sagesse CLXXXII. »

Je fis rapidement le compte : « Cela fait quatorze imprégnations depuis la Quête… et tu n’en avais eu que sept au cours de toutes les années précédentes. Que diable es-tu en train de faire ? Tu veux te consumer ? Devenir complètement idiote ? »

Elle commença à m’attraper puis, après, me répondit gentiment : « Non, je ne veux rien de ce genre. »

— « Ce n’est pas ce que j’entends. »

— « Ce que l’on a pu te dire sur mon entraînement, Oscar, est sans importance, car personne d’autre que moi ne peut juger, ni ma capacité, ni ce que représente le fait d’accepter une imprégnation. À moins que tu ne sois allé bavarder avec mon héritier ? »

— « Non. » Je savais qu’elle l’avait choisi et je supposais qu’il avait déjà reçu une ou deux imprégnations, ce qui était une précaution normale que l’on prenait en cas d’assassinat. Je ne l’avais cependant jamais rencontré, ne désirais pas le faire et ne savais même pas qui il était.

— « Oublie donc ce que l’on a pu te dire, c’est sans importance. » Elle soupira : « Chéri, si cela ne t’ennuie pas, je ne sortirai pas ce soir ; il vaut mieux que je me couche et que je dorme. Ce vieux CLXXXII puant est vraiment le personnage le plus dégoûtant que j’aie jamais été : il a pourtant obtenu de brillants succès en une période critique, il faudra que tu lises quelque chose sur lui. Il était malheureusement, au fond de lui-même, une bête féroce qui haïssait même les gens qu’il aidait. Il est maintenant tout frais en moi et je dois le garder enchaîné. »

— « Très bien, allons au lit. »

Star remua la tête : « Dormir, ai-je dit. Je vais utiliser l’autosuggestion et, demain matin, tu ne sauras pas qu’il a été ici. Toi, tu vas à la réception. Trouve-toi une aventure et oublie que tu as une femme impossible. »

Je sortis mais j’étais de trop mauvaise humeur pour imaginer même de chercher aventure.

Ce vieux dégoûtant n’était pas le pire. Je peux me défendre dans une bagarre et Star, toute amazone qu’elle est, ne fait pas le poids devant moi. Si elle voulait employer la manière forte, elle recevrait une bonne fessée. Et je ne craignais d’ailleurs pas d’intervention de la part des gardes car ils avaient toujours été tenus écartés de nos dissensions ; quand nous étions ensemble, nous étions vraiment seuls. Le moindre tiers rendait impossible toute intimité et Star n’était jamais seule, quand je n’étais pas là, même quand elle prenait son bain. Ses gardes étaient-ils mâles ou femelles, je ne sais, et cela n’avait pour elle aucune importance. Les gardes n’étaient jamais en vue. C’est ainsi que nos prises de bec ne se déroulaient qu’en privé, et elles nous faisaient d’ailleurs du bien à tous les deux ; elles nous soulageaient pour un certain temps.

Mais « le Saint » fut beaucoup plus difficile à supporter que le Vieux Dégoûtant. Il s’agissait de Sa Sagesse CXLI et il était si fichtrement noble, spirituel et tellement plus saint que tout le monde que je partis pêcher pendant trois jours ; Star elle-même était robuste, pleine de vitalité et heureuse de vivre. Ce type ne buvait pas, ne fumait pas, ne mâchait pas de chewing-gum, ne laissait jamais échapper de mot malsonnant. On pouvait presque voir un halo autour de la tête de Star quand elle était sous son influence.

Pire, il avait renoncé au sexe à l’époque où il s’était consacré aux Univers et cela avait eu un effet désastreux sur Star ; la douceur et la soumission n’étant pas dans son style, je préférai aller à la pêche.

Il faut quand même que je dise une bonne chose au sujet du Saint. Star m’a dit qu’il avait été l’empereur qui avait eu le moins de succès, de toute la dynastie, et qu’il avait le génie de faire le mal dans de pieuses intentions, aussi Star apprit-elle plus de lui que des autres ; il avait fait toutes les bêtises imaginables. Il avait été assassiné par ses clients dégoûtés, au bout de quinze ans seulement, ce qui n’avait pas été une période suffisante pour gâcher quoi que ce soit d’important dans un empire multi-universel.

Sa Sagesse CXXXVII était une femme, et Star resta absente pendant deux jours. Quand elle revint à la maison, elle m’expliqua : « Il le fallait, mon chéri. J’ai toujours cru que j’étais une terrible putain, mais je t’assure que celle-là est arrivée à me choquer moi-même ! »

— « Comment cela ? »

— « Je ne dirais rien, m’sieur. Je me suis imposée à moi-même un traitement intensif pour l’enterrer là où tu ne pourras jamais la rencontrer. »

— « Je suis curieux. »

— « Je sais que tu l’es et c’est bien pourquoi je me suis acharnée à lui transpercer le cœur, ce qui ne m’a pas été facile car c’était quand même mon ancêtre direct. Mais j’ai eu peur que tu l’aimes plus que moi, l’incroyable salope ! »

Et je suis toujours curieux.

Pour la plupart, ce n’étaient pas de mauvais bougres. Mais notre ménage aurait pourtant été plus agréable si je n’avais jamais su qu’ils étaient là. Il est plus facile d’avoir une femme légèrement timbrée qu’une femme qui, à elle seule, représente plusieurs groupes de gens, ces groupes étant eux-mêmes surtout composés d’hommes. Connaître leur présence spectrale, même lorsque c’était la propre personnalité de Star qui était de service, cela ne faisait véritablement aucun bien à ma libido. Il faut cependant reconnaître que Star connaissait mieux le caractère masculin que toute autre femme au cours de l’histoire. Elle n’avait jamais à deviner ce qui peut faire plaisir à un homme ; elle en savait plus que moi, par « expérience » – et elle aimait à partager brutalement sa science véritablement unique.

Je ne pouvais pas m’en plaindre.

Et je m’en plaignais cependant, je lui reprochais d’être tous ces gens-là. Elle supportait mieux mes reproches injustes que je ne supportais mon injuste situation à l’égard de toute cette troupe de fantômes.

Ces fantômes n’étaient cependant pas le pire cheveu dans la soupe.

Je n’avais pas de boulot ; je ne veux pas parler de ces occupations qui consistent à aller au bureau de neuf heures du matin à cinq heures de l’après-midi, à tondre la pelouse tous les samedis et à se saouler au club du coin tous les samedis soir ; je veux dire que je n’avais aucun but dans la vie. Avez-vous jamais regardé un lion dans un zoo ? On lui donne de la viande rouge tous les jours, on lui fournit des femelles, il n’a pas à craindre les chasseurs… Il a tout pour lui, n’est-ce pas ?

Pourquoi, alors, semble-t-il si triste ?

Je ne me rendis pas compte, au début, que j’avais un problème. J’avais une femme magnifique et amoureuse ; j’étais riche au point de ne pouvoir compter ma fortune ; je vivais dans la maison la plus luxueuse d’une ville plus ravissante qu’aucune de celles que compte la Terre ; tous les gens que je rencontrais étaient aux petits soins avec moi ; et, quand je n’étais pas auprès de ma merveilleuse femme, j’avais l’extraordinaire chance de pouvoir aller « en classe », pour apprendre des choses étonnantes et extra-terrestres, et je n’avais aucun besoin d’essayer de décrocher une peau-d’âne. Pas plus qu’une peau de mouton. Jamais je n’étais arrêté par un problème car je disposais de toutes les aides imaginables. Comprenez-moi bien, c’était comme si j’avais eu à côté de moi Albert Einstein pour m’aider à faire mes problèmes d’algèbre, ou encore toute l’équipe de recherche de la Rand Corporation ou de la General Electric pour me faciliter mon initiation scientifique.