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— « Alors, je ne comprends pas ce qui t’ennuie. Les lits n’ont pas d’importance, ce qui en a, c’est les personnes qui s’y trouvent. Mon chéri, si tu n’aimes pas ce lit, nous pouvons en avoir un autre. Ou même dormir par terre. Les lits n’ont pas d’importance. »

— « Ce lit est parfait. La seule chose qui ne va pas, c’est que je ne l’ai pas payé. C’est toi qui l’as fait. Et cette maison, mes vêtements, la nourriture que je mange. Et mes… oui, mes jouets ! Toutes les fichues choses que j’ai, c’est toi qui me les a données. Tu sais ce que je suis, Star ? Un gigolo ! Et sais-tu ce que c’est qu’un gigolo ? Un prostitué masculin. »

Une des habitudes les plus exaspérantes de ma femme c’était, parfois, de refuser de me renvoyer la balle quand elle voyait que j’allais piquer une colère. Elle me regarda, toute songeuse : « L’Amérique est un pays fort affairé, n’est-ce pas ? Les gens travaillent tout le temps, surtout les hommes. »

— « Euh… oui. »

— « Ce n’est pourtant pas partout la même chose, même sur la Terre. Un Français n’est pas malheureux quand il a du temps libre ; il se contente de commander un autre « café au lait[65] » et laisse grandir la pile de soucoupes. Moi non plus, d’ailleurs, je n’aime pas travailler. Oscar, j’ai gâché notre soirée de farniente, parce que j’avais peur d’avoir à recommencer un travail embêtant, demain. Je ne commettrai pas cette erreur deux fois. »

— « Star, ce n’est pas important, c’est terminé. »

— « Je sais. La première crise n’est jamais grave, ni la deuxième ; ni même, parfois, la vingt-deuxième. Oscar, tu n’es pas un gigolo. »

— « Comment alors appelles-tu ça ? Ce qui ressemble à un canard, qui cancane comme un canard et qui agit comme un canard, moi, j’appelle cela un canard. Tu auras beau l’appeler un bouquet de roses, il cancanera tout de même. »

— « Non. Tout cela…» elle fit un geste. « Ce lit, cette chambre magnifique. La nourriture que nous mangeons. Mes vêtements et les tiens. Notre jolie piscine. Le majordome de nuit qui monte la garde seulement pour le cas où nous aurions envie d’un melon bien mûr ou d’entendre chanter un oiseau. Nos jardins captifs. Tout ce que nous voyons, touchons, utilisons ou imaginons… et mille fois plus, dans quantité d’endroits éloignés, tout cela tu l’as gagné de tes propres mains ; tout cela, c’est à toi, de plein droit. »

Je haussai les épaules.

« C’est à toi, » insista-t-elle. « Cela figurait dans notre contrat. Je t’avais promis de grandes aventures, un trésor plus grand, et des dangers encore plus grands. Tu étais tombé d’accord. Tu m’as dit : Princesse, vous avez trouvé votre homme. » Elle sourit. « Et quel homme ! Chéri, je crois bien que les dangers étaient encore plus grands que tu ne l’avais imaginé… et c’est pourquoi je suis heureuse, même maintenant, que le trésor soit lui aussi beaucoup plus grand que tu n’avais pu l’imaginer. Je t’en prie, accepte-le sans honte. Tu l’as bien gagné, et bien plus encore… tu as gagné tout ce que tu voudras accepter. »

— « Euh… Même si tu as raison, c’est quand même trop. Je suis écrasé. »

— « Mais, Oscar, tu n’es pas obligé de prendre ce dont tu n’as pas envie. Nous pouvons vivre simplement. Dans une seule pièce, avec un lit pliant si cela te fait plaisir. »

— « Ce n’est pas une solution. »

— « Peut-être veux-tu une garçonnière, hors de la ville ? »

— « Pour secouer la poussière de mes souliers, hein ? »

Elle me répondit d’un ton très serein : « Mon mari, si jamais tu veux secouer la poussière de tes souliers, il faut le faire, mais moi, j’ai sauté par-dessus ton épée, et je ne sauterai pas de nouveau. »

— « Tu en parles à ton aise ! » dis-je. « C’est toi qui viens d’en parler. J’ai peut-être mal compris, j’en suis désolé. Je sais bien que tu ne reprendras pas ta parole. Mais il n’est pas impossible que tu le regrettes. »

— « Je ne regrette rien. Et toi ? »

— « Non, Star, non ! Mais…»

— « Quelle longue attente pour ce petit mot, » dit-elle gravement. « Que veux-tu dire ? »

— « Euh… simplement ceci : Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? »

— « Dit quoi, Oscar ? Il y avait tellement de choses à dire. »

— « Eh bien ! des tas de choses. Dans quoi je mettais la main. Que tu étais l’Impératrice de toute la création, surtout cela… avant de me faire sauter l’épée en ta compagnie. »

Elle ne changea pas d’expression mais des larmes se mirent à couler le long de ses joues. « Je pourrais te répondre que tu ne m’as rien demandé…»

— « Je ne savais pas ce qu’il fallait demander ! »

— « C’est exact. Je pourrais dire, avec sincérité, que j’aurais répondu si tu m’avais questionnée. Je pourrais aussi te faire remarquer que je ne t’ai pas fait sauter par-dessus l’épée, que tu as balayé mes objections quand je disais qu’il n’était pas nécessaire de me faire l’honneur de m’épouser selon les lois de ton pays… que je n’étais qu’une putain que tu pouvais baiser comme tu voulais. Je pourrais faire remarquer que je ne suis pas impératrice, que je ne suis pas royale, que je ne suis qu’une femme qui travaille et à qui son travail ne permet même pas d’être noble. Tout cela est vrai. Mais je ne vais cependant pas m’abriter derrière ces vérités ; je vais répondre franchement à ta question. » Elle se mit alors à parler névian. « Seigneur Héros, j’avais tout simplement peur, si je ne me pliais pas à tes volontés, que tu ne m’abandonnes ! »

— « Madame ma femme, as-tu réellement pensé que ton champion pourrait t’abandonner dans le péril ? » continuai-je en anglais : « Eh bien ! Il ne manquait plus que cela ! Tu m’as épousé parce qu’il fallait récupérer ce fichu Œuf et que Ta Sagesse t’avait dit que j’étais indispensable pour cette tâche… et que je pouvais déserter si tu ne m’épousais pas. Eh bien ! Je peux te le dire, Ta Sagesse s’est trompée sur ce point : je n’abandonne jamais. C’est idiot de ma part, mais je suis d’un naturel entêté. » Et j’ai commencé à sortir du lit.

— « Seigneur mon amour ! » Maintenant elle pleurait sans se cacher.

— « Pardonne-moi. Il faut que je trouve des chaussures. Pour voir à quelle distance je peux les jeter. » J’étais furieux comme peut seulement l’être un homme dont la fierté vient d’être blessée.

— « Je t’en prie, Oscar, je t’en prie ! Écoute-moi d’abord. »

Je laissai échapper un soupir : « Bon, vas-y. »

Elle me prit la main avec tellement de force que j’y aurais laissé les doigts si j’avais essayé de me dégager. « Écoute-moi bien. Mon bien-aimé, ce n’est pas cela du tout. Je savais fort bien que tu n’abandonnerais pas la Quête avant la fin, ou avant que nous ne soyons tués. Cela, je le savais ! Non seulement j’avais connaissance de tous les rapports qui te concernaient et qui portaient sur de nombreuses années, avant même que je te rencontre, mais encore, nous avions partagé nos joies, nos dangers, nos efforts ; je connaissais ton courage. J’aurais fort bien pu, si cela avait été nécessaire, t’entortiller avec de belles paroles, te persuader de nous fiancer seulement, en attendant la fin de notre Quête. Tu es tellement romantique que tu aurais accepté. Mais, mon chéri, mon chéri ! Je voulais t’épouser… te lier à moi par tes propres règles, de manière à…» elle s’arrêta pour renifler et essuyer ses larmes «… de manière à être bien certaine que, lorsque tu verrais tout cela, et ceci, et ceci, et toutes ces choses que tu appelles tes jouets, tu resterais quand même avec moi. Ce n’était pas par calcul, c’était de l’amour, un amour romantique et non raisonné, tout simplement, de l’amour pour toi. »

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En français dans le texte. (N.D.T.)