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Je regardai mon épée suspendue au mur, devant moi. Je ne l’avais pas touchée depuis la réception, il y avait longtemps, où Star avait voulu s’habiller comme elle l’avait été pour suivre la Route de la Gloire. Je la pris, bouclai le ceinturon et dégainai… j’avais envie de vivre, et j’imaginais une longue route, avec un château sur une colline.

Qu’est-ce qu’un Champion peut bien devoir à sa Dame quand la Quête est terminée ?

Cesse de rêver, Gordon ! Que doit un mari à sa femme ? C’était cette épée… « Saute Fripon, et sursaute, princesse, sois ma femme et laisse-moi te garder » ; « Dans la richesse et dans la pauvreté, pour le meilleur et pour le pire… pour t’aimer et pour te chérir jusqu’à ce que la mort nous sépare. » C’était cela que je voulais dire par ces vers de mirliton, Star le savait bien, et je l’avais bien su moi aussi, je le savais encore maintenant.

Quand nous nous étions unis, il nous avait paru vraisemblable d’être séparés le même jour par la mort. Mais cela n’atténuait pas le vœu que j’avais fait, ni la profondeur de mon sentiment quand je l’avais prononcé. Je n’avais pas sauté par-dessus l’épée pour le plaisir de faire des galipettes dans l’herbe avant de mourir ; cela, j’aurais pu l’avoir gratuitement. Non, ce que j’avais voulu, c’était « la garder, l’aimer et la chérir, jusqu’à ce que la mort nous sépare. »

Star avait pris le vœu à la lettre. Pourquoi avais-je les jambes qui me démangeaient ainsi ?

Écorchez un héros, et dessous, vous trouverez un misérable.

Et un héros à la retraite était aussi idiot qu’un de ces rois sans emploi que l’on trouve un peu partout en Europe.

Je sortis de l’« appartement » en claquant la porte, emportant mon épée avec moi, sans me soucier le moins du monde des regards curieux, allai chez nos thérapeutes, trouvai où je devais aller, m’y rendis, fis le nécessaire, dis au bio-technicien-chef de mettre Sa Sagesse au courant, et lui sautai au collet quand il osa me poser des questions.

Puis je suis retourné vers la plus proche cabine d’« apport » et, là, j’ai hésité… J’avais besoin de compagnie, de la même manière qu’un alcoolique a besoin de l’aide des Alcooliques-Anonymes. Malheureusement, je n’avais pas d’ami intime, rien que quelques centaines de connaissances. Il n’est pas facile pour le prince-Consort d’une Impératrice de se faire des amis.

Il me fallait Rufo. Mais pendant tous ces mois que je venais de passer à Centre, je n’avais jamais été chez Rufo. À Centre, on n’a pas la barbare coutume de se rencontrer par hasard, dans les rues, et je n’avais jamais vu Rufo ailleurs qu’à la Résidence, ou dans des réceptions ; Rufo ne m’avait jamais invité chez lui. Non, ce n’était pas de la froideur, car nous nous voyions souvent, mais c’était toujours lui qui venait nous voir.

Je cherchai son adresse dans l’annuaire des « apports », sans succès. Et pas plus de succès avec la liste télévisuelle. J’appelai la Résidence et obtins l’officier des télécommunications. Il me répondit que « Rufo » n’était pas un nom de famille et essaya de se débarrasser de moi. Je dis : « Attention, petit employé trop payé ! Si tu coupes la communication, tu iras vite faire des signaux de fumée à Tombouctou ; il ne faudra pas plus d’une heure pour cela. Maintenant, écoute-moi bien. C’est un type assez âgé, il est chauve, un de ses noms est « Rufo », je crois, et c’est un spécialiste connu de l’étude des cultures comparées. En outre, c’est le petit-fils de Sa Sagesse. Je pense que tu sais de qui il s’agit et je commence à en avoir marre de ton arrogance de bureaucrate. Tu as cinq minutes. Après cela, je parle à Sa Sagesse et je lui demande, à Elle, pendant que tu prépareras tes bagages. »

(« Stop ! Dangereux ! Autre vieux Rufo chauve (?) comp-culturiste connu. Sagesse œuf-sperme-œuf. Menteur ou fou, ou bien les deux. Sagesse ? Catastrophe ! »)

En moins de cinq minutes l’image de Rufo remplissait l’écran. « Eh bien ! » dit-il, « je me demandais qui pouvait bien avoir assez d’influence pour découvrir ma retraite. »

— « Rufo, est-ce que je puis aller te voir ? »

Son front se plissa de nombreuses rides. « Des ennuis, fiston ? Votre visage me rappelle l’époque où un de mes oncles…»

— « Je t’en prie, Rufo ! »

— « Oui, fiston, » dit-il gentiment. « Je renvoie les danseuses chez elles. À moins que je ne les garde ? »

— « Je m’en fiche. Comment vais-je faire pour te trouver ? »

Il me le dit, je perforai son numéro de code, ajoutai mon numéro à moi, et j’y arrivai, à un millier de milles au-delà de l’horizon. La résidence de Rufo était un château aussi luxueux que celui de Jocko et plus sophistiqué d’un millier d’années. J’eus l’impression que Rufo avait la plus grande domesticité de tout Centre, et que tous les domestiques étaient des femmes. Je me trompais. Mais l’ensemble des servantes, des invitées, des cousines, des filles, s’était réuni afin de constituer un comité de réception pour regarder à quoi ressemblait celui qui partageait le lit de Sa Sagesse. Rufo les renvoya et m’emmena dans son bureau. Une danseuse (manifestement sa secrétaire) classait des papiers et des cartes perforées. Rufe la renvoya d’une tape sur les fesses, m’offrit un fauteuil confortable, me tendit un verre, plaça des cigarettes près de moi, s’assit et resta silencieux.

On ne fume pas beaucoup à Centre, et la raison en est ce qu’ils utilisent en guise de tabac. Je pris une cigarette. « Des Chesterfield ! Grand Dieu ! »

— « Je les ai eues en contrebande, » dit-il. « Malheureusement, ils ne fabriquent plus de Sweet Caps. On ne trouve plus que des déchets et du foin. »

Il y avait des mois que je n’avais pas fumé. Star m’avait pourtant dit que je n’avais plus à m’en faire pour le cancer et les autres maladies de ce genre. C’est pourquoi j’en allumai une et me mis à tousser comme un dragon de Névia. Le vice requiert une constante habitude.

— « Quelles nouvelles du Rialto ? » s’enquit Rufo. Il regardait mon épée.

— « Rien. » J’avais interrompu le travail de Rufo et j’avais maintenant quelque scrupule à lui infliger le récit de mes ennuis familiaux.

Rufo était assis ; il fumait tranquillement et attendait. J’avais besoin de parler et cette cigarette américaine me rappela un incident, un de ces incidents qui me faisaient sentir combien ma situation était instable. Une semaine auparavant, dans une réception, j’avais rencontré un homme qui paraissait avoir trente-cinq ans, qui était poli, urbain mais avait cet air prétentieux de celui qui dit : « Je suis désolé, monsieur, mais votre braguette est ouverte, et je ne sais pas comment vous en avertir. »

Mais, j’avais été fort heureux de le rencontrer car il parlait anglais.

J’avais toujours cru que Star, Rufo et moi-même étions les seuls habitants de Centre à parler anglais. Nous l’utilisions souvent, Star pour me faire plaisir, Rufo parce qu’il aimait s’exercer. Il parlait cockney comme un docker, bostonien comme un habitant de Beacon Hill, australien comme un kangourou ; Rufo connaissait tous les dialectes britanniques.