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Il haussa de nouveau les épaules : « Non, non, Oscar ! Le moindre de ces dangers aurait pu réellement nous tuer. Jamais de ma vie je n’ai combattu plus violemment, et jamais je n’ai eu aussi peur. Nous ne pouvions en éviter aucun. Je ne comprends pas toujours toutes Ses raisons, je ne suis pas Sa Sagesse. Mais je suis certain qu’Elle ne s’exposerait jamais sans nécessité. Elle sacrifierait dix millions de braves, si c’était nécessaire, pour faire une économie. Mais Elle sait ce qu’Elle vaut. Et Elle a combattu à nos côtés, de toutes Ses forces, comme vous avez pu en juger ! Parce que c’était nécessaire. »

— « Je ne comprends toujours pas tout. »

— « Vous ne comprendrez jamais tout. Pas plus que moi. Elle vous aurait envoyé seul si cela avait été possible. Et, au moment de l’ultime danger, cette chose que l’on appelle le « Mangeur d’Âmes » parce qu’il a dévoré tant des gens braves avant vous… si vous aviez perdu, Elle et moi, aurions essayé de faire retraite en combattant, – j’y étais prêt à tout instant ; et je peux vous dire que, – si nous nous étions échappés, – ce qui est improbable, – Elle n’aurait pas versé de pleurs sur vous. Du moins pas longtemps. Nous aurions alors travaillé encore pendant vingt ou trente ans, ou même un siècle, pour trouver, rouler, et entraîner un autre champion… et nous aurions recommencé à nous battre, tout aussi férocement à ses côtés. Elle est courageuse, la choutte. Elle savait parfaitement que nos chances étaient fort minces ; vous, vous ne le saviez pas. Est-ce qu’Elle a hésité ? »

— « Non. »

— « Vous, vous étiez la clef de voûte, il fallait d’abord vous trouver, puis vous préparer au combat. C’est vous qui agissez par vous-même, vous ne vous laissez jamais manier comme une marionnette, autrement vous n’auriez pas pu gagner. Elle était la seule capable de faire signe à un homme, de le cajoler et de le placer à l’endroit où il pourrait agir ; personne d’autre n’aurait pu juger le héros dont Elle avait besoin, n’aurait su comment le traiter. C’est pourquoi Elle s’est mise à sa recherche jusqu’au moment où Elle l’a trouvé… et l’a aiguisé comme il le fallait. Dites-moi donc, pourquoi avez-vous pris cette épée avec vous ? Ce n’est pas une arme tellement courante en Amérique. »

— « Quoi ? » J’avais besoin de réfléchir. En lisant Le Roi Arthur, Les Trois Mousquetaires, les fantastiques aventures martiennes de Burroughs… mais tous les gosses le font. « Quand nous sommes allés en Floride, j’ai fait du scoutisme. Mon chef de patrouille était français, il allait à l’université. Il nous a enseigné les premiers rudiments de l’escrime, à moi et à mes camarades. J’ai aimé cela, et je ne réussissais pas trop mal. Puis, au collège…»

— « Et vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi cet immigrant avait trouvé ce travail, dans cette ville ? Ni pourquoi il s’était porté volontaire pour faire du scoutisme ? Ni pourquoi il y avait dans votre collège une salle d’armes que beaucoup de collèges ne possèdent pas ? Mais c’est sans importance ; si vous étiez allé ailleurs, il y aurait eu une salle d’armes dans une auberge de jeunesse, ou quelque chose comme ça. N’avez-vous pas disputé plus d’assauts que la plupart de vos camarades ? »

— « Fichtre, si ! »

— « Vous auriez pu vous faire tuer à n’importe quel moment, aussi… et Elle se serait retournée vers un autre candidat sur le point d’être entraîné. Fiston, je ne sais pas comment vous avez été choisi, ni comment on a fait pour transformer le jeune voyou que vous étiez, en héros, que vous étiez en puissance. Ce n’était pas mon boulot. Le mien était plus facile, quoique plus dangereux, je devais être votre valet et vous servir d’arrière-garde. Regardez ici, c’est un bel appartement pour un simple serviteur, n’est-ce pas ? »

— « Euh, oui… J’avais presque oublié que tu étais supposé être mon serviteur. »

— « Supposé ! du Diable, mais je l’étais ! Je suis allé trois fois sur Névia, en tant que Son serviteur, pour m’exercer. Jocko ne le sait pas encore aujourd’hui. Si j’y retourne, je pense qu’on me fera bon accueil. Mais seulement dans les cuisines. »

— « Mais pourquoi ça ? Cela me paraît idiot. »

— « Était-ce si idiot ? Quand nous vous avons attrapé, votre ego n’était pas très puissant, il avait besoin d’être fortifié. Vous appeler « Patron », vous servir vos repas et rester debout derrière vous, vous aider à vous asseoir, avec Elle, cela faisait partie de votre traitement. » Il se mit à ricaner et sembla un peu ennuyé. « Je persiste à croire qu’Elle a ensorcelé vos deux premières flèches. Un jour, j’aimerais faire avec vous un match-retour, quand Elle ne sera pas là. »

— « Il n’est pas impossible que je vous batte. Je me suis beaucoup exercé. »

— « Bon, oublions cela. Nous avons eu l’Œuf, c’est là l’important. Et il y a une bouteille ici, et c’est tout aussi important. » Il reversa à boire. « Ce sera tout, Patron ? »

— « Sois damné, Rufo ! Oui, toi, espèce de bandit. Tu m’as redonné courage. À moins que tu ne m’aies roulé une fois de plus, je ne sais plus que penser. »

— « Non, Oscar, pas cette fois, par tout le sang que nous avons versé ensemble. Je vous ai dit la vérité, toute celle que je connais, bien que cela m’ait été pénible. Je ne voulais pas le faire, car vous êtes mon ami. Cette promenade sur cette route caillouteuse, ce sera toujours mon plus beau souvenir. »

— « Heu ! oui… Pour moi aussi. Sans rien oublier. »

— « Alors, pourquoi froncez-vous les sourcils ? »

— « Rufo, je La comprends maintenant, autant que peut le faire une personne ordinaire du moins, je La respecte au plus haut point… et je L’aime plus que jamais. Mais je ne puis être le jouet de qui que ce soit, pas même le Sien. »

— « Je suis heureux de n’avoir pas eu à le dire. Oui, Elle a raison. Elle a toujours raison, d’ailleurs, la maudite ! Il faut que vous partiez. Pour vous deux. Oh, pour Elle, cela ne lui ferait pas trop de mal, mais cela vous ruinerait de rester, avec le temps. Et cela vous détruirait, car vous êtes entêté. »

— « Il vaut mieux que je rentre… pour secouer mes chaussures. » Je me sentais mieux, comme si j’avais dit à un chirurgien : Allez-y, amputez.

— « Ne faites pas ça ! »

— « Pourquoi pas ? »

— « Et pourquoi donc ? Vous ne devez surtout rien faire de définitif. Si un ménage doit durer longtemps, – et le vôtre le peut, il peut même durer très longtemps, – il faut aussi de longues vacances. Enlevez votre laisse, fiston ! sans dire quand vous reviendrez, sans promesse. Elle sait parfaitement que les chevaliers errants passent leur vie à errer. Elle s’y attend. Il en a toujours été ainsi, un droit de la vocation[66] et par nécessité. La seule chose, c’est qu’on n’en parle pas dans les livres d’enfants du monde d’où vous venez. Elle s’arrangera pour diriger votre vie, pour vous aider partout où vous serez, et vous n’avez pas à vous en faire. Revenez dans quatre, ou dans quarante ans, ou quelque chose comme cela. Vous serez le bienvenu. Les Héros ont toujours droit à la meilleure place à table ! Ils viennent et ils s’en vont, comme il leur plaît, c’est aussi leur droit, cela. À une moindre échelle, vous Lui ressemblez un peu. »

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En français dans le texte. (N.D.T.)