— « Quel compliment !
— « J’ai dit, à une moindre échelle. Mmm, vous savez, Oscar, une partie de vos ennuis vient du fait que vous avez besoin d’aller chez vous. Dans votre pays natal. Pour savoir où vous en êtes, pour vous retrouver. Tous les grands voyageurs éprouvent ce sentiment ; je l’éprouve moi-même de temps à autre. Quand cela vient, je m’y abandonne. »
— « Je ne m’étais pas rendu compte que j’avais le mal du pays. Tu as sans doute raison. »
— « Et sans doute s’en est-Elle rendu compte. Peut-être vous a-t-Elle entortillé. Moi-même, je me suis fait une règle de donner des vacances à n’importe laquelle de mes femmes quand son visage me semble trop familier… car le mien doit lui être encore plus familier, avec la figure que j’ai. Pourquoi pas, mon vieux ? Revenir sur la Terre, ce n’est quand même pas la mort. Je vais y retourner bientôt, et c’est pourquoi je mets mes affaires en ordre. Il n’est pas impossible que nous nous y trouvions en même temps… et nous pourrons alors aller boire un pot ensemble, ou bien dix, et nous amuser, raconter des histoires. Et pincer les fesses de la serveuse pour voir ce qu’elle dit. Pourquoi pas ? »
CHAPITRE XXI
Parfait, me revoici.
Je ne suis pas parti la même semaine mais tout de suite après. Star et moi avons passé une nuit extraordinaire, éplorée, avant mon départ. Elle pleura et m’embrassa, et me dit : « Au ’voir[67] » (et non pas « Good-bye »). Je savais cependant que ses larmes sécheraient dès que j’aurais le dos tourné ; elle savait que je le savais, je savais qu’elle préférait qu’il en soit ainsi, et je pensais d’ailleurs comme elle. J’ai pourtant pleuré moi aussi.
La Pan American n’est pas aussi pratique que leurs Portes commerciales ; j’ai pris trois vols différents, sans même avoir le temps de comprendre ce qui se passait. Une hôtesse demanda : « Les billets, s’il vous plaît, » et vrroumm !
Je suis arrivé sur la Terre, habillé d’un costume coupé à Londres, avec mon passeport et mes papiers dans la poche, Dame Vivamus dans un paquet qui ne ressemblait pas du tout à un fourreau, et, dans d’autres poches, des effets bancaires que je pouvais échanger contre de l’or, car j’estimais qu’il n’y avait pas de honte à accepter un salaire de héros. Je suis arrivé près de Zurich, mais je ne me rappelle plus l’adresse exacte ; les services des Portes s’étaient occupés de tout. J’avais les moyens de faire parvenir de mes nouvelles.
En très peu de temps, ces effets bancaires se sont transformés en comptes numérotés dans trois banques suisses, toutes les formalités ayant été faites par un agent d’affaires que l’on m’avait indiqué. Je pris des chèques de voyage sur plusieurs villes, quelques-uns que je me fis envoyer chez moi et quelques-uns que je pris sur moi, car je n’avais pas du tout l’intention de payer 91 pour cent à l’Oncle Sam.
On perd vite la notion du temps ; je ne savais plus quel jour nous étions quand je suis arrivé. J’avais deux ou trois semaines de battement pour rentrer chez moi, gratuitement, d’après ma feuille de route militaire. J’eus envie d’en profiter pour ne pas me faire remarquer. C’est ainsi que je pris un vieil avion de transport quadrimoteur, de Prestwick jusqu’à Gander puis jusqu’à New York.
Les rues me parurent plus sales, les bâtiments moins hauts… et les titres des journaux pires que jamais. Je cessai de lire les journaux, et je ne restai pas longtemps à New York. C’est à la Californie que je pense quand je parle de « chez moi ». Je téléphonai à ma mère ; elle me reprocha de n’avoir pas écrit et je lui promis d’aller la voir en Alaska aussi tôt que possible. Comment allaient-ils tous ? (Je pensais en effet que mes demi-frères et mes demi-sœurs pouvaient avoir besoin d’aide pour aller au collège.)
Tout allait bien. Mon beau-père faisait maintenant partie du personnel volant et avait été confirmé dans son grade. Je lui demandai de faire suivre mon courrier chez ma tante.
La Californie me parut plus agréable que New York. Ce n’était quand même pas Névia. Pas même Centre. C’était plus peuplé que je ne me le rappelais. Tout ce que l’on peut dire des villes de Californie, c’est qu’elles ne sont pas aussi moches que les autres. Je rendis visite à ma tante et à mon oncle, parce qu’ils s’étaient montrés gentils envers moi ; je pensais à utiliser un peu de cet argent que j’avais en Suisse pour le libérer de sa première femme. Mais elle était morte et ils parlaient maintenant de se faire construire une piscine.
Je suis donc resté tranquille. J’avais été au bord de la ruine pour avoir eu trop d’argent, cela m’avait servi de leçon. Je suivis la règle édictée par Leurs Sagesses : laissez les gens tranquilles.
Le campus me parut plus petit, et les étudiants me semblèrent terriblement jeunes. La réciproque devait d’ailleurs être vraie. Je sortais un jour de la cafétéria après être allé dans les bâtiments administratifs quand deux jeunots me croisèrent, et me bousculèrent. L’un d’eux me dit : « Fais attention, papa ! »
Je l’ai laissé vivre.
Le terrain de football avait été modernisé, avec un nouvel entraîneur, de nouveaux vestiaires, de nouvelles tribunes, ce qui en faisait presque un stade. L’entraîneur savait qui j’étais ; il connaissait mes prouesses et avait mon nom sur le bout de la langue. « Ainsi, vous nous revenez ? » Je lui dis que je ne pensais pas.
— « C’est idiot ! » me dit-il. « Faut faire ce qu’il faut pour décrocher cette sacrée peau-d’âne ! C’est trop bête d’avoir laissé l’armée vous arrêter dans vos études. Réfléchissez…» Il baissa la voix.
Il n’y avait rien d’idiot au fait que je laisse tomber la gymnastique si je voulais, encore que la Conférence n’aime pas beaucoup ça. Mais un garçon pouvait toujours trouver une famille chez qui il pouvait vivre. S’il paie comptant, quelle importance ? Je serais aussi tranquille qu’un entrepreneur de pompes funèbres… « Et cela vous laissera votre allocation militaire comme argent de poche. »
— « Je n’en ai pas. »
— « Mon vieux, vous ne lisez donc pas les journaux ? » Il en avait un sur un classeur : pendant mon absence, la guerre qui n’en était pas une avait ouvert des droits aux allocations d’études.
Je promis d’y réfléchir.
Mais je n’en avais pas la moindre intention. J’avais résolu de terminer mes études d’ingénieur, car j’aime terminer ce que j’ai commencé, mais pas ici.
Ce soir-là, j’eus des nouvelles de Joan, la fille qui m’avait si bien congédié, avec un simple petit mot. J’avais l’intention d’aller lui rendre visite, à elle et à son mari, mais je n’avais pas encore découvert quel était son nom de femme mariée. Il se trouva qu’elle avait rencontré ma tante en faisant des courses, elle me téléphona. « Essai ! » dit-elle, paraissant toute joyeuse.
— « Qui est à l’appareil ?… Un instant. Joan ! »
Je devais venir dîner ce soir. Je lui dis que ce serait parfait et que je serais très heureux de rencontrer l’heureux loustic qu’elle avait épousé.
Joan parut aussi douce que d’habitude et m’embrassa de tout cœur, un vrai baiser de bienvenue, fraternel, mais agréable quand même. Je fis la connaissance des enfants, l’un était encore un bébé, l’autre commençait à marcher.
Son mari se trouvait à Los Angeles.
J’aurais dû prendre mon chapeau. Mais tout était parfait il ne fallait pas me faire des idées Jim avait téléphoné après qu’elle m’eut appelé pour dire qu’il resterait encore une nuit là-bas et c’était naturellement parfait de ma part de l’accompagner pour dîner il m’avait vu jouer au football et peut-être aimerais-je jouer aux boules le lendemain elle n’avait pas pu trouver de baby-sitter et son beau-frère venait prendre un verre mais ne pouvait pas rester dîner ils étaient mariés après tout mon cher et ce n’était pas comme s’il n’y avait pas si longtemps qu’ils se connaissaient oh te rappelles-tu ma sœur les voilà qui s’arrêtent devant la maison et je n’ai pas encore eu le temps de coucher les enfants.