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Mais dix ans plus tard disparaissent les indications suivantes : 23, rue Raynouard T. AUT 15-28.

Disparaissent également : MA et .

L’année suivante, il ne reste que : HOWARD DE LUZ Mme née MABEL DONAHUE à Valbreuse, Orne. T. 21.

Puis plus rien.

Ensuite, je consulte les annuaires de Paris de ces dix dernières années. Chaque fois, le nom de Howard de Luz y figure de la manière suivante :

HOWARD DE LUZ C. 3 square Henri-Paté. 16e

– MOL 50-52. Un frère ? Un cousin ?

Aucune mention équivalente dans les Bottins mondains des mêmes années.

X

— M. Howard vous attend.

C’était sans doute la patronne de ce restaurant de la rue de Bassano : une brune aux yeux clairs. Elle me fit signe de la suivre, nous descendîmes un escalier et elle me guida vers le fond de la salle. Elle s’arrêta devant une table où un homme se tenait seul. Il se leva.

— Claude Howard, me dit-il.

Il me désigna le siège, vis-à-vis de lui. Nous nous assîmes.

— Je suis en retard. Excusez-moi.

— Aucune importance.

Il me dévisageait avec curiosité. Me reconnaissait-il ?

— Votre coup de téléphone m’a beaucoup intrigué, me dit-il.

Je m’efforçais de lui sourire.

— Et surtout votre intérêt pour la famille Howard de Luz… dont je suis, cher monsieur, le dernier représentant…

Il avait prononcé cette phrase sur un ton ironique, comme pour se moquer de lui-même.

— Je me fais d’ailleurs appeler Howard tout court. C’est moins compliqué.

Il me tendit la carte du menu.

— Vous n’êtes pas obligé de prendre la même chose que moi. Je suis chroniqueur gastronomique… Il faut que je goûte les spécialités de la maison… Ris de veau et waterzoi de poissons…

Il soupira. Il avait vraiment l’air découragé.

— Je n’en peux plus… Quoi qu’il arrive dans ma vie, je suis toujours obligé de manger…

On lui servait déjà un pâté en croûte. Je commandai une salade et un fruit.

— Vous avez de la chance… Moi, il faut que je mange… Je dois faire mon papier ce soir… Je reviens du concours de la Tripière d’Or… Je faisais partie du jury. Il a fallu ingurgiter cent soixante-dix tripes en un jour et demi…

Je ne parvenais pas à lui donner d’âge. Ses cheveux très bruns étaient ramenés en arrière, il avait l’œil marron et quelque chose de négroïde dans les traits du visage, en dépit de l’extrême pâleur de son teint. Nous étions seuls au fond de cette partie du restaurant aménagée en sous-sol, avec des boiseries bleu pâle, du satin et des cristaux qui évoquaient un XVIIIe siècle de pacotille.

— J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit au téléphone… Cet Howard de Luz auquel vous vous intéressez ne peut être que mon cousin Freddie…

— Vous croyez vraiment ?

— J’en suis sûr. Mais, je l’ai à peine connu…

— Freddie Howard de Luz ?

— Oui. Nous jouions quelquefois ensemble quand nous étions petits.

— Vous n’avez pas une photo de lui ?

— Aucune.

Il avala une bouchée de pâté en croûte et réprima un haut-le-cœur.

— Ce n’était même pas un cousin germain… Mais au deuxième ou au troisième degré… Il y avait très peu de Howard de Luz… Je crois que nous étions les seuls, papa et moi, avec Freddie et son grand-père… C’est une famille française de l’île Maurice, vous savez…

Il repoussa son assiette d’un geste las.

— Le grand-père de Freddie avait épousé une Américaine très riche…

— Mabel Donahue ?

— C’est bien ça… Ils avaient une magnifique propriété dans l’Orne…

— À Valbreuse ?

— Mais vous êtes un véritable Bottin, mon cher.

Il me jeta un regard étonné.

— Et puis par la suite, je crois qu’ils ont tout perdu… Freddie est parti en Amérique… Je ne pourrais pas vous donner de détails plus précis… Je n’ai appris tout cela que par ouï-dire… Je me demande même si Freddie est encore vivant…

— Comment le savoir ?…

— Si mon père était là… C’était par lui que j’avais des nouvelles de la famille… Malheureusement…

Je sortis de ma poche la photo de Gay Orlow et du vieux Giorgiadzé et lui désignant l’homme brun qui me ressemblait :

— Vous ne connaissez pas ce type ?

— Non.

— Vous ne trouvez pas qu’il me ressemble ?

Il se pencha sur la photo.

— Peut-être, dit-il sans conviction.

— Et la femme blonde, vous ne la connaissez pas ?

— Non.

— Elle était pourtant une amie de votre cousin Freddie.

Il eut l’air, brusquement, de se rappeler quelque chose.

— Attendez… ça me revient… Freddie était parti en Amérique… Et là il paraît qu’il était devenu le confident de l’acteur John Gilbert…

Le confident de John Gilbert. C’était la deuxième fois que l’on me donnait ce détail, mais il ne m’avançait pas à grand-chose.

— Je le sais parce qu’il m’avait envoyé une carte postale d’Amérique à l’époque…

— Vous l’avez conservée ?

— Non, mais je me rappelle encore le texte par cœur :

« Tout va bien. L’Amérique est un beau pays. J’ai trouvé du travail : je suis le confident de John Gilbert. Amitiés à toi et à ton père. Freddie. » Ça m’avait frappé…

— Vous ne l’avez pas revu, à son retour en France ?

— Non. Je ne savais même pas qu’il était revenu en France.

— Et s’il était en face de vous, maintenant, est-ce que vous le reconnaîtriez ?

— Peut-être pas.

Je n’osais lui suggérer que Freddie Howard de Luz, c’était moi. Je ne possédais pas encore une preuve formelle de cela, mais je gardais bon espoir.

— Le Freddie que j’ai connu, c’est celui qui avait dix ans… Mon père m’avait emmené à Valbreuse pour jouer avec lui…

Le sommelier s’était arrêté devant notre table et attendait que Claude Howard fit son choix, mais celui-ci ne s’apercevait pas de sa présence, et l’homme se tenait très raide, l’allure d’une sentinelle.

— Pour tout vous avouer, monsieur, j’ai l’impression que Freddie est mort…

— Il ne faut pas dire ça…

— C’est gentil de vous intéresser à notre malheureuse famille. Nous n’avons pas eu de chance… Je crois que je suis le seul survivant et regardez ce que je dois faire pour gagner ma vie…

Il tapa du poing sur la table, tandis que des serveurs apportaient le waterzoi de poissons et que la patronne du restaurant s’approchait de nous avec un sourire engageant.

— Monsieur Howard… La Tripière d’Or s’est bien passée cette année ?

Mais il ne l’avait pas entendue et se pencha vers moi.

— Au fond, me dit-il, nous n’aurions jamais dû quitter l’île Maurice…

XI

Une vieille petite gare, jaune et gris, avec, de chaque côté, des barrières de ciment ouvragé, et derrière ces barrières, le quai où je suis descendu de la micheline. La place de la gare serait déserte si un enfant ne faisait du patin à roulettes sous les arbres du terre-plein.

Moi aussi j’ai joué là, il y a longtemps, pensai-je. Cette place calme me rappelait vraiment quelque chose. Mon grand-père Howard de Luz venait me chercher au train de Paris ou bien était-ce le contraire ? Les soirs d’été, j’allais l’attendre sur le quai de la gare en compagnie de ma grand-mère, née Mabel Donahue.

Un peu plus loin, une route, aussi large qu’une nationale, mais de très rares voitures y passent. J’ai longé un jardin public enclos de ces mêmes barrières en ciment que j’avais vues place de la Gare.