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Il revoyait la réception de l’hôtel, le bar minuscule à côté, et le jardin avec le mur aux treillages verts. Le concierge téléphona pour l’annoncer, puis lui indiqua le numéro de la chambre.

L’homme était allongé sur le lit, une cigarette aux lèvres. Il n’avalait pas la fumée et la rejetait nerveusement en nuages compacts. Un grand brun, qui s’était présenté la veille, avenue Hoche, comme « ancien attaché commercial d’une légation d’Amérique du Sud ». Il ne lui avait indiqué que son prénom : Pedro.

Le dénommé « Pedro » s’était assis sur le rebord du lit et lui souriait d’un sourire timide. Il ne savait pourquoi, il éprouvait de la sympathie pour ce « Pedro » sans le connaître. Il le sentait traqué dans cette chambre d’hôtel. Tout de suite, il lui tendit l’enveloppe qui contenait l’argent. Il avait réussi à revendre la veille les bijoux en réalisant un gros bénéfice. Voilà, lui dit-il, je vous ai rajouté la moitié du bénéfice. « Pedro » le remercia en rangeant l’enveloppe dans le tiroir de la table de nuit.

À ce moment-là, il avait remarqué que l’une des portes de l’armoire, en face du lit, était entrouverte. Des robes et un manteau de fourrure pendaient aux cintres. Le dénommé « Pedro » vivait donc là avec une femme. De nouveau, il avait pensé que leur situation, à cette femme et à ce « Pedro », devait être précaire.

« Pedro » restait allongé sur le lit et avait allumé une nouvelle cigarette. Cet homme se sentait en confiance puisqu’il a dit :

— J’ose de moins en moins sortir dans les rues…

Et il avait même ajouté :

— Il y a des jours où j’ai tellement peur que je reste au lit…

Après tout ce temps, il entendait encore les deux phrases, prononcées d’une voix sourde par « Pedro ». Il n’avait pas su quoi répondre. Il s’en était tiré par une remarque d’ordre général, quelque chose comme : « Nous vivons une drôle d’époque. »

Pedro, alors, lui avait dit brusquement :

— Je crois que j’ai trouvé un moyen pour quitter la France… Avec de l’argent, tout est possible…

Il se souvenait que de très minces flocons de neige – presque des gouttes de pluie – tourbillonnaient derrière les vitres de la fenêtre. Et cette neige qui tombait, la nuit du dehors, l’exiguïté de la chambre, lui causaient une impression d’étouffement. Est-ce qu’il était encore possible de fuir quelque part, même avec de l’argent ?

— Oui, murmurait Pedro… J’ai un moyen de passer au Portugal… Par la Suisse…

Le mot « Portugal » avait aussitôt évoqué pour lui l’océan vert, le soleil, une boisson orangée que l’on boit à l’aide d’une paille, sous un parasol. Et si un jour – s’était-il dit – nous nous retrouvions, ce « Pedro » et moi, en été, dans un café de Lisbonne ou d’Estoril ? Ils auraient un geste nonchalant pour presser le bec de la bouteille d’eau de Seltz… Comme elle leur semblerait lointaine, cette petite chambre de l’hôtel Castille, avec la neige, le noir, le Paris de cet hiver lugubre, les trafics qu’il fallait faire pour s’en sortir… Il avait quitté la chambre en disant à ce « Pedro » : « Bonne chance. »

Qu’était-il advenu de « Pedro » ? Il souhaitait que cet homme qu’il n’avait rencontré que deux fois, il y a si longtemps, fût aussi paisible et heureux que lui, par ce soir d’été, avec un enfant qui enjambe les dernières flaques de soleil sur le trottoir.

XXVII

Mon cher Guy, je vous remercie de votre lettre. Je suis très heureux, à Nice. J’ai retrouvé la vieille église russe de la rue Longchamp où ma grand-mère m’emmenait souvent. C’était l’époque, aussi, de la naissance de ma vocation pour le tennis, en voyant jouer le roi Gustave de Suède… À Nice, chaque coin de rue me rappelle mon enfance.

Dans l’église russe dont je vous parle, il y a une pièce entourée de bibliothèques vitrées. Au milieu de la pièce, une grande table qui ressemble à une table de billard, et de vieux fauteuils. C’est là que ma grand-mère venait prendre chaque mercredi quelques ouvrages, et je l’accompagnais toujours.

Les livres datent de la fin du XIXe siècle. D’ailleurs l’endroit a gardé le charme des cabinets de lecture de cette époque. J’y passe de longues heures à lire le russe que j’avais un peu oublié.

Le long de l’église, s’étend un jardin plein d’ombre, avec de grands palmiers et des eucalyptus. Parmi cette végétation tropicale, se dresse un bouleau au tronc argenté. On l’a planté là, je suppose, pour nous rappeler notre lointaine Russie.

Vous avouerais-je, mon cher Guy, que j’ai postulé la place de bibliothécaire ? Si cela marche, comme je l’espère, je serai ravi de vous accueillir dans l’un des lieux de mon enfance.

Après bien des vicissitudes (je n’ai pas osé dire au prêtre que j’ai exercé le métier de détective privé) je retourne aux sources.

Vous aviez raison de me dire que dans la vie, ce n’est pas l’avenir qui compte, c’est le passé.

Pour ce que vous me demandez, je pense que le meilleur moyen c’est de s’adresser au service : « Dans l’intérêt des familles ». Je viens donc d’écrire à De Swert qui me paraît bien placé pour répondre à vos questions. Il vous enverra les renseignements très vite.

Votre

Hutte.

P.-S. Au sujet du dénommé « Oleg de Wrédé » que jusque-là nous ne pouvions identifier, je vous annonce une bonne nouvelle : vous recevrez une lettre, par le prochain courrier, qui vous donnera des renseignements. En effet, j’ai questionné à tout hasard quelques vieux membres de la colonie russe de Nice, pensant que « Wrédé » avait une consonance russe – ou balte –, et par chance, je suis tombé sur une Mme Kahan, chez qui ce nom a réveillé des souvenirs. De mauvais souvenirs, d’ailleurs, qu’elle préférerait rayer de sa mémoire, mais elle m’a promis de vous écrire pour vous dire tout ce qu’elle savait.

XXVIII

Objet : COUDREUSE, Denise, Yvette.

Née à : Paris, le 21 décembre 1917, de Paul COUDREUSE et de Henriette, née BOGAERTS.

Nationalité : française.

Mariée le 3 avril 1939 à la mairie du XVIIe arrondissement à Jimmy Pedro Stern, né le 30 septembre 1912 à Salonique (Grèce), de nationalité grecque.

Mlle Coudreuse a résidé successivement :

19, quai d’Austerlitz, à Paris (13e)

97, rue de Rome, à Paris (17e)

Hôtel Castille, rue Cambon, à Paris (8e)

10 bis, rue Cambacérès, à Paris (8e)

Mlle Coudreuse posait pour des photos de modes sous le nom de « Muth ».

Elle aurait travaillé ensuite chez le couturier J.F. 32, rue La Boétie, en qualité de mannequin ; puis elle se serait associée avec un certain Van Allen, sujet hollandais qui créa en avril 1941 une maison de couture, 6, square de l’Opéra à Paris (9e).

Celle-ci eut une existence éphémère et ferma en janvier 1945.

Mlle Coudreuse aurait disparu au cours d’une tentative de passage clandestin de la frontière franco-suisse, en février 1943. Les enquêtes conduites à Megève (Haute-Savoie) et à Annemasse (Haute-Savoie) n’ont donné aucun résultat.

XXIX

Objet : STERN, Jimmy, Pedro.

Né à : Salonique (Grèce), le 30 septembre 1912, de Georges STERN et de Giuvia SARANO.

Nationalité : grecque.

Marié le 3 avril 1939 à la mairie du XVIIe arrondissement à Denise Yvette Coudreuse, de nationalité française.