Выбрать главу

Elle doit certainement rougir sous ses plâtras.

— Il en avait tout au moins une, avoue-t-elle en baissant chastement les yeux.

— Voyez-vous… Elle venait souvent ?

— Presque tous les jours…

— Vous savez son nom ?

— Elle s’appelait Isabelle…

— Vous ne confondez pas avec le dernier roman de la collection Bluette ?

— Cessez vos manières ! glapit la vioque…

Elle a pris la sage précaution de se mettre la main devant la bouche pour bonnir ça, autrement son râtelier partait vivre sa vie…

— Où habitait-elle, cette Isabelle ?

— Je n’en sais rien…

— Elle couchait ici… Enfin, la nuit ?

— Quelquefois…

— Cette nuit, par exemple ?

Je suis certain que la vioque passait ses soirées l’oreille à la cloison, à écouter Parieux et sa souris, attendant qu’ils s’envoient en l’air…

— Elle est venue hier au soir, puis elle est repartie peu de temps après…

— À quoi ressemble-t-elle, cette gosse ?

— Elle est jeune… Brune…

— Jolie ?

— Ça dépend des goûts… Moi, je lui trouvais un mauvais genre, mais les hommes ont de ces idées !

M’est avis, les mecs, que la souris de Parieux doit être drôlement baraquée, c’est un truc qu’une vieille savate comme la voisine pardonne difficilement…

Je me dis qu’il va falloir la retrouver en vitesse, cette sangsue, because elle peut éclairer ma lanterne magique. Car si vous supposez un demi quart de seconde que je crois à la mort accidentelle de Parieux, alors c’est que vous avez de la paille d’emballage à la place du cerveau…

— Il recevait beaucoup de visites, Parieux ?

— Non…

La trompe des pompelards retentit. Ces zouaves-là, faut toujours qu’ils se déguisent en cyclone !

— Nous aurons peut-être besoin de votre témoignage, dis-je à la vieille. Quel est votre nom ?

— Mademoiselle Verdurier.

— O.K., merci…

Les pompelards sont vachement outillés. En dix minutes le local empesté est redevenu « vivable ».

Le sous-officier qui commande le détachement de secours et auquel j’ai montré ma carte me dit :

— Le type a son compte… On l’emmène ?

— Non, dis-je… Il faut que je travaille maintenant et il peut m’être utile… Je le ferai embarquer par Police-Secours.

— Très bien…

Me voici seul dans l’appartement du défunt. Seul avec lui… La demoiselle d’à côté s’est propagée dans la strass et ça gronde dans l’escalier comme dans un poêle dont on a omis de fermer la porte du bas. Pas besoin de prévenir les condés, je suis certain qu’avant cinq minutes ils vont radiner les coudes au corps et disperser la populace à coups de pèlerine ! C’est la tactique maison numéro 1.

L’appartement est en ordre. Il se compose d’un vaste studio luxueusement meublé, d’une petite entrée, d’une cuisine-salle d’eau et d’une minuscule pièce qui sert de débarras.

Le cadavre ne porte aucune trace suspecte. Il va aller rejoindre à la morgue son vieux copain Balmin.

Avant-hier, ces deux gars étaient à un guichet des Chèques postaux. Ils vivaient le début d’une étrange et incompréhensible aventure. Et maintenant, les voilà déguisés en statues, l’un et l’autre. Je ne saurai peut-être jamais pourquoi Parieux a écrit « Au secours » sur un talon de chèque…

Je fouille dans les tiroirs des meubles : rien. Des factures classées dont beaucoup sont établies au nom de Balmin.

Il avait de l’ordre, Parieux. En tout cas si on l’a buté, ça n’était pas pour le voler, car l’appartement est envahi par des bibelots précieux dont certains doivent valoir une fortune !

Dans son portefeuille, je trouve une liasse de biffetons… Deux cents lacsés, pas tout à fait… Des papiers d’identité…

Sur ce : coup de sonnette signé bourdille.

Je vais ouvrir : deux hirondelles se tiennent debout devant le paillasson tandis que les locataires de l’immeuble et ceux des maisons avoisinantes font le siège de l’étage…

L’un des deux matuches me reconnaît.

— Oh ! vous êtes là, monsieur le commissaire !

Il chuchote à son coéquipier :

— C’est San-Antonio.

L’autre m’administre son salut le plus fervent.

— De la casse ? demande le premier.

— Un accident jusqu’à preuve du contraire… Prévenez la P.J., les enfants, et dites qu’on m’envoie tout de suite un médecin légiste.

*

— Mort par suffocation, affirme le toubib.

— Aucune trace suspecte ?

— Aucune…

Ce médecin est une vieille connaissance à moi. Il relève ses lunettes sur son front, ce qui lui donne une vague allure de motocycliste.

— Vous pensez que ce décès pourrait ne pas être accidentel ?

— À vrai dire, j’en suis intimement persuadé…

Il sait que je ne plaisante pas.

— Ah ! fait-il dubitativement.

Il me regarde, regarde le cadavre… Il est perplexe…

— Oui, renchéris-je, c’est un crime, docteur… Cet homme a été tué d’une façon très pittoresque : avec un demi-litre de lait… Quelqu’un a posé cette casserole de lait sur un foyer du réchaud… Ce quelqu’un savait que le lait en bouillant déborderait et éteindrait le gaz…

Seulement, il fallait que ce quelqu’un fût certain que Parieux n’irait pas éteindre. Donc Parieux était neutralisé d’une façon ou d’une autre… On l’avait soit drogué, soit attaché, ou bien encore assommé. C’est pourquoi je vous demande si tout est O.K. du côté du macchabée.

Il recommence un examen minutieux de la victime.

— Il n’a pas été attaché, dit-il, non plus qu’assommé…

Il regarde avec une lampe électrique dans la bouche mi-ouverte du mort.

— On ne l’a pas empoisonné non plus. Un somnifère ? Seule l’autopsie nous renseignera à ce sujet…

— Alors, faites-la vite… Doc, je veux la réponse cet après-midi, je vous téléphonerai, d’accord ?

— D’accord.

Je sors et commence à fendre la foule grouillante… Tous ces lavedus me regardent passer comme si j’étais une vedette incognito.

— Vous n’avez donc rien à foutre ? je leur demande…

Un murmure de protestation me répond.

— On a bien le droit de savoir ! dit une matrone moustachue comme Marcel Cachin. Après tout c’est notre immeuble…

Pour un peu elle ajouterait :

« C’est notre mort ! ».

Un drôle de mort… Assassiné par un demi-litre de lait !

Officiellement, un mort naturel…

De même que Balmin est un mort naturel…

Tout est trop naturel dans cette histoire.

Ce n’est pas naturel !

CHAPITRE VII

N’écoutez jamais les petits lutins moqueurs

Il y a dans mon crâne une espèce de petit lutin pas plus gros qu’un poil de nez qui me chuchote des trucs bizarres.

« Pourquoi tiens-tu à ce qu’il y ait un mystère dans tout ça ? me dit le lutin. Pourquoi ces deux hommes ne seraient-ils pas morts normalement, après tout ? Sans blague, San-Antonio, tu ne crois plus aux coïncidences, toi ? »

Je ne lui réponds rien… Je continue de descendre les marches de l’immeuble.

« Oui, reprend le lutin, tu vas encore t’arrêter chez la concierge, en bon flic que tu es ! Toi, tu travailles à la papa, style commissaire de police ! Oui, oui, je te vois venir… »

Il y un groupe de personnes chez la pipelette, qui commentent l’incident… À cause de mon lutin moqueur, je passe fier comme Artaban devant la loge…