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« Oh ! ça va ! gouaille le lutin, ne fais pas le susceptible, moi, ce que j’en disais, c’était histoire de te faire renauder un peu… Bien sûr qu’il faut la voir, cette concierge, peut-être sait-elle qui est Isabelle… Et Isabelle sait peut-être quelque chose… Et ce quelque chose confirmera tes doutes. C’est cela que tu attends, non ?

« Tous les humains sont embriqués les uns dans les autres… Ils se tiennent tous par la main… ou par ailleurs ! Et toi, mon petit flic déluré, tu sais cela, alors… »

Je cogne sur mon front.

— Oh ! ta gueule ! je grommelle.

Le lutin la boucle instantanément.

Je décris alors une volte-face et j’entre sans frapper chez la concierge. Je comprends pourquoi elle n’est pas au quatrième, à essayer de voir quelque chose : elle a les flûtes paralysées et c’est son vieux qui doit s’occuper de la cambuse.

Elle, elle vit au fond de son trou noir, comme un cloporte. Elle est maigre et blême comme une endive. Des lunettes teintées de bleu creusent encore ses orbites.

Autour d’elle, ça jacasse vilain, les gars ! On se croirait au zoo, rayon des perroquets en tous genres.

Quatre ou cinq commères font marcher leurs menteuses à plein régime.

Mon arrivée ramène le silence.

— Salut, la compagnie, dis-je…

Je les regarde d’une façon appuyée, histoire de leur mettre les cannes en flanelle-coton.

— Police ! fais-je tranquillement…

Un frémissement court dans l’assistance comme un souffle de vent sur les blés mûrs !

Toujours cette bonne vieille poésie française, vous voyez ! Va falloir me virer à coups de pompe dans le luth !

— Jean Parieux avait une amie, dis-je, une fille brune répondant au doux prénom d’Isabelle… Qui peut me dire où elle crèche ?

— Je ne sais pas où elle habite, déclare la concierge, mais ils mangent très souvent au restaurant Saint-Marcoux, en face, et peut-être aurez-vous un renseignement dans cet établissement.

— Rien à signaler sur l’activité de Parieux ?

Elle hausse les épaules.

— Mon Dieu, je ne vois pas…

— Hier soir, la fille est venue ?

— Ils sont rentrés ensemble…

— L’heure ?

— Vers neuf heures et demie…

— Donc ils avaient dîné ?

— Je n’en sais rien…

— La femme est repartie à quel moment ?

— Une petite heure plus tard…

— Vous l’avez vue ?

— Oui…

— Comment était-elle ?

— Comme d’habitude…

— Excitée ?

— Non, je ne pense pas… Elle m’a saluée en passant, mon mari avait poussé mon fauteuil devant la porte…

Le petit lutin me chuchote :

« Alors ? Tu es plus avancé maintenant ? »

Et il se gondole…

— Ça va, merci, dis-je… Si la fille s’annonçait, ce matin… ou plus tard, dites-lui qu’elle se mette en rapport avec la police.

L’une des commères avale sa salive et demande :

— Vous croyez qu’il ne s’agit pas d’un accident, monsieur l’inspecteur ?

— Mais non, fais-je… Mais non… C’est un accident banal, seulement il faut prévenir la famille, vous comprenez ?

Si je reste une fraction de seconde de plus, elles vont se déclarer comme une épidémie de rougeole et il faudra que j’engage M. Champagne pour répondre à toutes leurs questions…

— Mesdames !

Et me voici dehors… Les émanations de gaz m’ont flanqué un mal de bocal maison.

Je respire un grand coup et je fonce au bistro-restaurant dont m’a parlé la concierge.

Un homme gros comme une maison et ceint d’un tablier bleu est affalé derrière un zinc.

Je me présente. Ma qualité de commissaire ne semble pas l’impressionner, ni même l’intéresser. Il soulève une paupière lourde comme un rideau de grand magasin et passe une main épaisse comme la couennerie d’un gendarme dans ses cheveux en brosse.

— Vous venez pour l’histoire d’en face ? me demande-t-il.

— Vous savez déjà ?

Il doit me prendre pour l’idiot de mon village car sa bedaine a un sursaut comme si elle donnait asile à un ménage de loups affamés.

— Ce serait malheureux si je ne m’apercevais pas que les pompiers et les flics font le siège de la maison d’en face… C’est M. Parieux qu’est mort ? Un brave type…

— Vous le connaissiez bien ?

— Un client ! On connaît toujours ses clients, surtout lorsque, par-dessus le marché, ce sont vos voisins…

— Quel genre d’homme ?

— Sérieux, intelligent…

— Il venait souvent chez vous, n’est-ce pas ?

— Au moins une fois par jour, sauf lorsqu’il partait en voyage…

— Il partait souvent ?

— De temps en temps…

— Vous connaissez la fille qui l’accompagnait, quelquefois ?

— Mlle Isabelle ?

— Vous savez son nom de famille ?

— Attendez… Un jour Parieux l’a présentée à un ami… Je sais que c’est la fille d’un toubib… Un toubib de la place des Ternes !

Je bloque la nouvelle au creux de l’estomac, là où le plexus joue au c… les lendemains de bringue…

Le patron soulève son autre store et me regarde avec enfin une lueur d’intérêt dans la prunelle…

Je me dis qu’un flic ne doit jamais laisser deviner ses sentiments, surtout pas les sentiments dits « de surprise ».

— Servez-moi un grand blanc ! ordonné-je.

Ça, c’est un langage qui lui est familier et qui constitue sa musique intime.

Il répète avec un rien de dévotion :

— Un grand blanc !

Puis il se baisse, rafle une bouteille sous son zinc…

— Le blanc, dit-il, y a rien de meilleur, lorsqu’il est bon. Le mien vient de ma propriété…

Il ne précise pas de laquelle…

Je vide mon godet.

— Allez-y d’un autre voyage, boss !

Là, une ombre de sourire plisse sa bouche.

— Et un autre ! annonce-t-il…

La sympathie se lit maintenant sur son visage abrupt comme sur l’écran du journal lumineux.

— Oui, fait-il, revenant au sujet, c’est triste, ce pauvre Parieux. Ce qu’on est peu de chose, hein ? Le gaz… Le gaz, c’est traître…

Je stoppe net ces considérations pertinentes certes, mais d’un ton par trop général.

— La petite, dis-je, la fille du docteur, elle ne s’appelle pas Bougeon ?

Il fait un signe affirmatif.

— Juste, vous connaissez ?

— Un peu…

Je sirote mon second glass. La tentation est trop forte pour le gros. Il se sert une tombée dans un grand verre et plonge son naze dedans.

— C’est marrant, dit-il, mais voyez-vous, commissaire, le nez, ça existe.

J’opine énergiquement en considérant le sien qui pourrait servir de plat de résistance à une tribu d’anthropophages.

— Tenez, enchaîne le taulier, ce matin, quand j’ai ouvert l’estanco et que j’ai vu que la voiture de M. Parieux avait passé la nuit dehors, j’ai eu comme un pressentiment… Ça n’est pas dans ses habitudes de laisser sa bagnole dans la rue pour la nuit. D’autant qu’il remise au garage du bout de la rue…

Du doigt il me désigne le cabriolet dans lequel, avant-hier, j’ai dégauchi le corps de Balmin…

— Tiens, oui, fais-je, sa voiture…

Je réfléchis… Tout ça corrobore bien mes impressions. Parieux était un homme ordonné. Donc, s’il était ordonné, il allait remiser son tank avant de se pieuter… Il ne se serait pas couché sachant que sa calèche était dehors…