— Il a bouffé ici, hier au soir ?
— Oui…
— Avec la souris ?
— Oui…
— Et puis ?
Le gros homme ferme les yeux, avance son menton avec accablement.
— Et puis quoi ? grommelle-t-il… Il est rentré chez lui…
— Merci…
J’aligne un faf sur son zinc… Il le rafle d’un geste preste. Il hésite, il me regarde, me soupèse, prend mes mesures, ma température, ma tension…
— Je ne vous en compte qu’un, décide-t-il enfin… Le deuxième est pour moi…
— Vous faites des folies ! rigolé-je…
Il hausse les épaules avec une certaine grandeur.
— Mais non, mais non, proteste l’homme-montagne d’un air qui dément ses paroles…
Voilà que le soleil se met de la fête… Un bath soleil de lundi, tout neuf, jaune comme un poussin.
Je respire à nouveau un bol d’air… Les deux blancs ont purgé mon caberlot des odeurs de gaz… Il fait bon… La vie est potable.
J’approche la guimbarde de Parieux. C’est un os infâme — une vieille Mercedes rebecquetée — mais peinte à neuf, avec des trucs chromés… Le zig devait en avoir soin comme de sa montre !
J’ouvre la lourde… S’il ne l’a pas fermée à clé c’est donc que Parieux comptait bien redescendre… Ou même qu’il comptait s’en resservir… Mais oui ! En sortant du restaurant il aurait conduit la voiture au garage qui est à cent mètres pour s’éviter de redescendre plus tard…
Je regarde la voiture. Elle en sait long, la bougresse, si elle pouvait parler, celle-là !
Mais la voiture ne me dit rien. Le petit lutin aussi ferme sa gueule… Il commence à admettre qu’il y a de l’eau dans le gaz, si j’ose m’exprimer ainsi…
L’intérieur de la tire est en cuir. Tout est propre, soigné… J’inventorie les poches à soufflets, je n’y trouve qu’un échantillonnage complet de cartes routières. Il y a une lampe électrique, un peloton de ficelle, un couteau…
Des nèfles, quoi !
Je m’apprête à abandonner le véhicule lorsque mon regard est attiré par un fil électrique qui est dénudé de son extrémité et attaché à la poignée métallique de la porte du côté opposé à celui du conducteur… Ce fil passe derrière le siège et revient sur le plancher en direction du moteur…
Je soulève le capot et je retrouve mon fil au-dessus de la batterie… Il n’est pas relié à elle, du moins il ne l’est plus car, à l’effilochement de son autre extrémité, je me dis qu’il a été arraché.
Je regarde et je trouve des traces de ligature après le fil de sortie…
Je réentortille le fil après… Je reviens à la porte dont je chope la poignée à pleine paluche. Une petite secousse électrique s’irradie dans ma main, grimpe dans mon bras…
Je me tâte, ne comprenant pas la raison de ce branchement insolite…
Et c’est le petit lutin qui, passionné cette fois par l’affaire, me dit que si le courant est faible, trop faible pour électrocuter un homme normal, il est suffisant, néanmoins, pour flanquer un méchante secousse à un cardiaque !
CHAPITRE VIII
Ne soyez pas trop franc
Un dernier regard à la voiture truquée, un suprême à ce que les journaleux appelleront « l’immeuble tragique » et je tourne le dos à tout ça…
Je me dirige vers la lumière, c’est-à-dire du côté de la vérité, car mon bon vieux naze ne m’avait pas trompé : il existe une vérité à découvrir. Une vraie ! Ce sera duraille mais je ne partirai pas chez les Ricains avant d’avoir donné un coup de projecteur sur toute cette eau trouble…
D’accord, c’est vachement embrouillé, c’est bizarre, c’est tout ce que vous voudrez, pourtant au milieu de tout cela il existe comme une logique : Balmin le cardiaque est tué — maintenant on peut taper dans le vocabulaire ! — dans la voiture de Parieux, lequel, étant donné la combine de la poignée électrisée, ne pouvait ignorer la chose… Le même Parieux est menacé, il écrit « Au secours ! » Et, en effet, il est buté par un malin qui lui trouve une mort peu banale… du moins quant à sa préparation… La maîtresse de Parieux, complice présumée du premier meurtre, trempe, semble-t-il, dans le second… Elle est la fille du toubib qui soignait Balmin pour son cœur et qui, par conséquent, savait qu’une légère émotion pouvait tuer ce dernier.
Vous le voyez, il y a dans tout ça matière à réflexions…
J’arrive à la hauteur du garage. Je franchis la vaste porte et je me trouve nez à nez avec un type superbement barbouillé de cambouis.
— C’est pour de l’essence ? demande-t-il.
— Non, fais-je, c’est pour de la lumière…
Il me regarde comme vous regarderiez le quidam qui voudrait vous vendre un canon atomique pour mettre sur votre cheminée…
— Police ! j’ajoute.
Il essuie ses pognes après son pantalon bleu et dit :
— Ah ! avec une gravité qui me fait sourire.
— M. Parieux, qui habite dans la rue, garait ici, n’est-ce pas ?
— Oui, lorsqu’il était à Paris…
— Il ne vous a pas demandé de procéder à une petite installation d’un genre particulier dans sa voiture ?
— Non…
— Venez voir…
Je l’entraîne à l’auto et lui désigne le fil insolite…
— Non, assure l’homme, nous n’avons jamais fait ça… Je ne comprends pas du reste son utilité…
— C’est pour une farce, assuré-je… Lorsqu’on chope la poignée de la porte afin de la fermer, on déguste une secousse. Ça n’est pas le summum de l’esprit, j’en conviens, mais ça vaut le poil à gratter et le verre baveur !
— Ouais, admet-il.
Il admettrait n’importe quoi lorsque ce n’importe quoi est dit par un matuche.
— Lui est-il déjà arrivé de laisser sa voiture dehors, la nuit ?
— Non, jamais… Seulement il s’en est servi cette nuit, il n’est rentré que sur le matin et il n’a pas osé me réveiller…
Le gars parle avec une assurance qui me fait sourciller…
— Comment savez-vous qu’il s’est servi de sa guinde cette nuit ?
— Pas malin, elle était là, hier soir, à neuf heures… J’ai pensé en la voyant : « M. Parieux ne va plus tarder… » Et puis je n’y ai plus pensé… J’allais au ciné avec ma bonne femme. En rentrant elle n’y était plus… J’ai cru qu’il l’avait rentrée pendant le temps du veilleur de nuit. Mais non… Et ce matin, à l’ouverture, elle était de nouveau dehors, voilà…
Je répète « voilà » en rêvassant…
Donc la voiture truquée a servi cette nuit. Est-ce Parieux qui l’a utilisée ? Ou bien… quelqu’un d’autre ?
— Merci, vous êtes bien aimable… Rentrez cette voiture et ne la touchez plus jusqu’à nouvel ordre, compris ?
— Entendu…
Je lui serre la paluche, histoire de lui montrer qu’une main de travailleur n’a jamais rebuté un bourdille et je monte dans mon os.
— C’est encore moi, docteur…
Il a toujours son visage déteint, ses cheveux en broussaille, ses yeux pointus…
Un air de contrariété polie passe sur sa face blême.
— Bonjour, me dit-il…
Il me fait entrer de nouveau dans son salon triste qui sent l’oubli.
— En quoi puis-je encore vous être utile ? demande-t-il, prenant bien soin de souligner le « encore ».
M’est avis qu’il ne doit pas avoir lerche de clients, le mec. Drôle de toubib en vérité… Un toubib qui ouvre lui-même la lourde à ses clients, qui reste en veste d’intérieur et vit en compagnie d’un clébard peu engageant…
— Dites-moi, docteur…