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Je parle doucement, affûtant bien mes mots, car ce gnace est un homme énergique…

— Dites-moi, docteur, connaissez-vous un certain Jean Parieux ?

Je m’attends à tout, sauf à une réaction pareille.

— Je vous en prie ! dit-il sèchement…

J’attends la suite en le regardant d’un air incrédule…

— Pourquoi me parlez-vous de cet individu ? demande-t-il, comprenant que je ne romprai pas le silence qui s’est établi.

— Peut-être parce que c’est le moment de parler de lui… D’après votre réaction, je vois que vous le connaissez ?

— Ne jouons pas au plus fin, déclare-t-il sèchement, vous ne devez pas ignorer, si vous vous intéressez à lui, qu’il est l’amant de ma fille.

— Je ne l’ignore pas, fais-je en le regardant dans les yeux, Mais, dites-moi, docteur, pourquoi ne parlerions-nous pas de lui à l’imparfait ?…

— C’est-à-dire ?

— Vous me semblez ignorer, vous, qu’il est mort !

Il est abasourdi, ou alors c’est rudement bien imité.

Il s’assied, les flûtes fauchées.

— Mort…

— Comme il n’est pas possible de l’être…

— Quand ?

— Cette nuit…

Soudain, le visage du docteur se modifie, il se crispe, se ride, devient presque pathétique.

— Comment ? fait-il.

Je lis la panique dans ses yeux. C’est la panique d’un père redoutant des giries pour son lardon.

— Asphyxié, dis-je : le gaz… Mais les circonstances de cet… accident, me semblent… mettons, bizarres.

— Bizarres ?

— Oui. Votre fille n’est pas là ? J’aimerais l’in… lui parler !

— Ma fille n’est plus là, dit-il tristement…

« Depuis qu’elle fréquente cet individu, nous sommes séparés, elle vit dans la banlieue rouennaise où j’ai une propriété…

Je l’arrête du geste car j’ai besoin de réfléchir… La banlieue rouennaise… Où ai-je entendu parler de cela, récemment ?

« Ah ! oui… Hier, chez Balmin : Parieux… Il prétendait avoir laissé l’antiquaire dans sa voiture pour aller téléphoner à un client demeurant dans les environs de Rouen…

— Le nom du bled ? fais-je.

— Goussenville.

— Il y a longtemps que votre fille fréquentait Parieux ?

— Cinq ou six mois…

— Comment l’a-t-elle connu ?

— Eh bien ! chez Balmin, précisément : au magasin de ce dernier. Ma fille collectionne les monnaies anciennes…

— Ah ! oui…

— Oui… Cela vous étonne ?

Je secoue imperceptiblement les épaules. Je trouve qu’on parle beaucoup de monnaie ancienne dans cette affaire.

— Continuez.

— Balmin étant un client à moi, j’ai dit à ma fille d’aller faire ses achats chez lui. C’est lui qui lui a présenté Parieux… Et… Bref, il l’a séduite !

Je le regarde :

— Vous viviez seul avec votre fille ?

— Ma femme est morte en lui donnant le jour, je l’ai élevée… Je…

Compris : la jalousie paternelle !

— Quel âge a votre fille ?

— Vingt-six ans…

— Elle n’a jamais été fiancée ?

— Plusieurs fois, c’est une enfant fantasque…

— Puis-je vous poser une question… Heu… délicate ?

— Allez-y !

— Plus qu’un autre vous devez admettre qu’une jeune femme a besoin de… d’un ami…

— Je l’admets !

Son visage est neutre comme la Suisse.

— Or, vous vous brouillez avec cette fille choyée parce qu’elle prend un amant ?…

— Je ne me suis pas brouillé avec elle parce qu’elle a pris un amant, je suppose qu’elle en a eu d’autres, du reste. Mais nous nous sommes fâchés parce que cet amant était Parieux…

— Vraiment ?

— Vraiment !

Il est net !

— Que lui reprochiez-vous ?

— Son casier judiciaire, tout simplement. C’est un sujet sur lequel un honnête homme ne peut pas passer !

— Son casier…

Du coup, je passe pour une crème, moi ! J’arrive ici, le bec enfariné, sans savoir que Parieux avait un casier…

— Lourd ? je demande.

— Trop lourd pour le compter au nombre de mes relations.

— Comment avez-vous su cela ?

— C’est vous, commissaire, qui me posez une pareille question ? Vous ignorez qu’il existe des officines auxquelles on peut faire appel lorsqu’on désire avoir des renseignements sur quelqu’un qui vous intéresse ?

— Très juste, admets-je…

J’ajoute :

— Vous n’aimiez pas beaucoup Parieux, hein ? Vous le détestiez même…

— Mettons carrément que je le haïssais…

— Cette franchise vous honore, docteur…

Et, en prononçant ces mots, je songe que tous les acteurs de ce drame sont francs… À l’exception toutefois de Jo-la-Lopette.

Oui, ils sont francs : Parieux était franc, trop franc… Illico il est venu raconter l’histoire de ses relations avec Balmin… Le toubib est franc…

Pour tout vous dire, je commence à nager car je n’arrive pas à me faire une opinion…

— Une dernière question, docteur : vous n’avez pas assassiné Parieux, n’est-ce pas ?

— Non, dit-il… Et croyez bien, commissaire, que je le regrette beaucoup.

CHAPITRE IX

Ne vous mêlez jamais de ce qui ne vous regarde pas !

J’ai toujours en un faible pour les postières et toutes les fois que j’ai eu l’occasion d’en composter une je ne m’en suis pas privé…

Seulement, celle à qui je m’adresse en ce moment découragerait un singe… Elle est grande, sèche comme le Sahara et ses seins ne lui ont pas encore été expédiés. Des dents proéminentes forment une barrière naturelle devant sa bouche qui interdit le patin le mieux intentionné.

C’est elle qui s’occupe du bignou dans le bureau de poste des Chèques postaux…

— Bonjour, ma jolie, fais-je avec mon sourire pour beauté intangible…

— Soyez poli ! renaude-t-elle… Qui vous a permis de me parler sur ce ton : nous n’avons pas gardé les vaches ensemble.

— Je ne crois pas que le fait de garder ces braves ruminants prédispose à la gentillesse, assuré-je. Vous avez tort de vous offusquer, gentille madame, mes intentions étaient aussi pures qu’un verre d’eau distillée.

— Quel numéro demandez-vous ? coupe-t-elle.

— Pour moi, ça serait un numéro de striptease, rigolé-je…

— Voulez-vous que j’appelle M. le receveur ! glapit la donzelle…

— Pas besoin, vous ferez l’affaire…

Comme elle va exploser, je lui montre ma carte. Ça ne la calme pas, au contraire, elle se met dans une fureur noire.

— Et alors ! s’écrie-t-elle. Vous croyez impressionner le monde parce que vous êtes de la police ! Sachez que les honnêtes gens s’en moquent, de la police ; moi, j’ai ma conscience pour moi !

— Heureusement, dis-je gentiment, parce que, votre conscience, personne n’en voudrait, même si l’épicier du coin la soldait avec ses salades flétries…

— Vous êtes un mufle !

— Pas de pléonasme ! dis-je. Le terme de policier contient toutes les épithètes secondaires que vous pourriez trouver…

Je crois que je l’ai au finish…

Profitant d’une accalmie, je place mon boniment.

— Trêve de gaudrioles, miss ébonite, il s’agit d’un meurtre…

Elle soulève sa barrière de porcelaine et dit :

— D’un meurtre ?

— Et même de deux meurtres…