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— Que faisait-elle ici ?

— Rien, elle se promenait… Elle l’attendait…

— Et puis ?

Il en a marre, le moustachu, il voudrait bien s’être mêlé de ses vaches.

— Et puis, la semaine passée, un jeune homme est venu habiter ici… Il avait un drôle de genre, on a cru que c’était fini, la demoiselle et son ami à la voiture, mais pas du tout, ils étaient d’accord tous les trois…

Un jeune homme ayant un drôle de genre !

— Il était blond, le jeune homme, et il se fardait, non ?

— C’est ça, vous le connaissez ?

— Plus ou moins…

Jo, pensé-je. Je pense au briquet d’or qui est dans ma poche. Le G est la première lettre de Georges, dont le diminutif le plus usité est Jo…

Qu’est-ce que la tantouze est venue foutre ici ? Décidément, on n’en sort pas de cette partie de quatre coins… J’ai beau avancer, me déplacer, c’est toujours sur l’un des cinq personnages que je me casse le pif !

— Et le docteur, dis-je, venait-il ?

Le moustachu secoue la tête.

— Non, plus depuis longtemps…

— Vous n’avez pas vu aussi un petit vieux à cheveux blancs, ces derniers temps ?

— Non…

Un silence, l’autre danse d’une tige sur l’autre, il aimerait bien se faire la paire… Mais il n’ose pas… Il ne parvient pas à trouver une formule idéale pour prendre congé.

Moi, je ne lui facilite pas la rupture… Je pense de toutes mes forces à ce qu’il vient de me dire. De toutes façons, mon enquête a progressé : je suis maintenant en mesure d’affirmer que c’est certainement Isabelle qui a chauffé la bagnole cette nuit et qui est revenue ici pour y brûler des papiers compromettants… De là à conclure qu’elle a agi de la sorte parce qu’elle savait que Parieux était mort, parce qu’elle l’avait aidé à avaler son extrait de naissance, il n’y a qu’un pas…

— Ça fumait beaucoup ? dis-je.

— Beaucoup, affirme le terreux.

— Et… longtemps ?

— Très longtemps… Même que je m’ai dit qu’elle allait foutre le feu à la cheminée.

— Vous vous appelez ?

Là, il se liquéfie, le mec.

— J’ai rien fait de mal, proteste-t-il doucement.

— Au contraire, affirmé-je, vous avez agi en bon citoyen et je tiens à connaître votre nom afin de pouvoir signaler cela…

À regret, il dit :

— Blanchon…

Je lui tends la main. Il la fixe d’un œil prudent comme s’il craignait que j’y dissimule un serpent-minute. Enfin il laisse tomber sa dextre dans la mienne.

Lorsqu’il a franchi la grille, je reviens à la maison.

Je bigle le système de chauffage afin de voir comment la môme Isabelle a pu brûler ses fameux papelards.

La carrée est chauffée au chauffage central, mais il y a des cheminées dans les chambres. Je vais les examiner. Pas besoin de s’esquinter les châsses pour comprendre qu’elles n’ont pas fonctionné depuis des temps immémoriaux.

Reste donc la chaudière. Ça me paraît bien costaud pour détruire des papezingues.

Enfin…

Je descends à la cave. Au fur et à mesure que je m’enfonce dans le sous-sol, je suis serré à la gargane par une odeur lourde et écœurante.

La chaudière trône au milieu d’un petit local cimenté. Je remarque, de chaque côté de la porte, des traces graisseuses. On dirait qu’on a fait brûler du suif là-dedans… Du reste, l’odeur qui m’incommode est une odeur de graisse brûlée.

J’ouvre la porte du foyer. Un tas de cendres tièdes. Je les fouille avec un long tisonnier. Elles puent atrocement.

Alors, surmontant ma répulsion, je me saisis d’une raclette et je les fais tomber sur le sol. Au bout d’une minute je recule, je gagne le fond de la pièce, j’appuie une main contre le mur riche en salpêtre et je me mets à dégueuler comme un brave homme.

Enfin, je reviens aux cendres, j’étale mon mouchoir par terre et, saisissant le morceau de mâchoire qui m’a noué les tripes, je le dépose dans le carré d’étoffe.

Je roule le tout en boule, je l’enveloppe dans une page de journal.

Mon petit paquet sous le bras, je quitte cette charmante propriété.

Cette fois, on en a terminé avec les morts soi-disant naturelles !

Il est rare, en effet, qu’un homme — ou une femme — se suicide en s’installant dans le foyer d’une chaudière de chauffage central.

Auquel de mes cinq personnages appartient le bout de mâchoire que je véhicule dans ma fouille ?

Voyons : procédons par élimination : il n’est pas question de Balmin, lequel gît à la morgue, non plus que de Parieux que j’ai vu ce matin, non plus que du toubib auquel j’ai fait la conversation il y a quelques heures. Alors ? Jo ? Isabelle ?

Quelle affaire ! Tonnerre de Zeus ? Quelle affaire !

CHAPITRE XI

Ne vous montez jamais « la tête »

Je n’ai toujours pas vu la douce Isabelle… J’ignore où elle se trouve et je vois le coup que je vais me tailler à Chicago sans avoir fait sa connaissance, si toutefois sa connaissance est à faire et si ça n’est pas un morceau d’elle que j’ai en poche.

Mon premier soin, en débarquant à Paname, c’est de me précipiter au 120 du boulevard de Courcelles, afin de voir Jo. Si Jo est visible, il y a de fortes chances pour que ma douce Isabelle ait passé l’armé à gauche.

La concierge pachyderme est devant sa loge, appuyée sur un balai qui ne lui a jamais servi que de support.

Elle me regarde entrer avec un air bovin qui m’attendrit.

— Alors, maman, je lui dis, on est d’attaque à ce que je vois.

— Humf ! fait-elle.

Traduisez ça comme vous voudrez.

— Jo est-il là-haut ?

— Oui…

J’ai un petit pincement au palpitant. Donc je ne connaîtrai jamais Isabelle.

— Dites-moi, je parie qu’il a découché, cette nuit, hein ?

La grosse vache secoue la calcombe.

— Pas vrai, fait-elle. Sort plus… C’est moi que j’luis fais ses c’mission…

— Vous êtes bien certaine qu’il n’est pas sorti dans la nuit ?

— Certaine… J’dors rien… P’r’sonne a ouvert la porte…

Je fais la grimace.

Voilà que je suis obligé d’agrandir le cercle de famille. Si Jo n’est pas sorti, qui a brûlé Isabelle ? Son vieux ?…

Faudra voir à vérifier l’emploi du temps du toubib.

— C’est bon, dis-je, je monte dire bonjour à cette nave…

— Hé ! éructe la pipelette.

Je me retourne.

— J’ai l’courrier…

— Ah ! oui, j’avais oublié…

Elle pénètre dans sa tanière et ressort avec une enveloppe jaune et une carte postale.

L’enveloppe jaune est celle des Postaux… Je l’ouvre. Elle contient le second talon d’un chèque de un million cent dix mille francs établi au nom du possesseur du compte, c’est-à-dire de Ludovic Balmin. Et une fiche jointe donne la nouvelle position du compte ; celle-ci est de cent vingt francs.

Voilà qui est étrange. Cela ressemble moins à une note payée qu’à un retrait total des espèces en compte… Jusqu’ici il était question d’un chèque d’une brique, et non d’un million cent dix !

La carte postale montre l’église de Goussenville. Au verso quelques lignes disent :

« Le temps me dure affreusement. Fais vite. Ton : Jo. »

Elle est postée du vendredi.

Donc, le vendredi, Jo était encore dans la propriété du doc…

La grosse pochetée a dû lire la cartouze, car elle ne sourcille pas.