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Il saisit le fragment d’os auquel adhèrent encore deux dents.

— Vous avez une minute ? Le temps de passer dans mon laboratoire et je suis à vous…

— Mais faites donc, je vous en prie… Et pardonnez-moi de vous harceler de cette façon, mais je m’envole après-demain pour les États-Unis et je tiens à liquider cette enquête afin de partir l’âme en paix.

— Tout le mérite vous revient !

Il sort du bureau.

Je chope une revue, mais je ne peux la lire ; du reste, c’est une revue scientifique dans laquelle on n’appelle pas un chat un chat !

Je me fais l’effet d’être un « heureux père » attendant dans les couloirs de la clinique les résultats de l’accouchement.

Enfin, la porte s’ouvre.

Je bondis. Tout à mon personnage, je questionne d’une voix pleurarde :

— Alors, docteur, c’est un garçon ou une fille ?

Il sourit gentiment.

— Ni l’un ni l’autre, assure-t-il : c’est un mouton !

CHAPITRE XII

Ne criez jamais en téléphonant !

Une nuit douce comme une cuisse de femme tombe sur Paris. Cette nuit sent le bourgeon, le mouillé, la femme.

Délaissant ma voiture, j’arpente les boulevards en marmonnant des phrases sans suite.

Cette fois, les potes, je suis sérieusement sonné.

Une tête de mouton !

Et pour moi, ce sera une tête de lard ; si vous le permettez !

Le toubib s’est excusé de ne m’avoir pas affranchi illico.

— Comme elle était noircie et à demi carbonisée, a-t-il dit, j’ai préféré l’examiner attentivement.

— Vous êtes bien certain, docteur, de ce que vous avancez ?

Il a eu un mouvement d’épaules.

— Parbleu ! Demandez à n’importe qui…

Et je m’en vais, ballotté par la foule, en répétant :

— Une tête de mouton… Une tête de mouton !

Décidément, je mets les pouces. Voilà que tout redevient naturel. Non, ça n’est pas un crime ! C’est un mouton ! Aucune loi n’interdit de tuer les moutons, à condition qu’ils vous appartiennent.

Mais tonnerre de Dieu ! pourquoi Isabelle est-elle allée en pleine nuit, à plus de cent bornes de Paris, pour brûler un mouton ?

Sont-ce des idées ! Elle est pinchecornée, cette poule, ou quoi ? Et puis, d’abord, je veux la voir ! La voir tout de suite ! Faut qu’on me la déniche. Qu’on me la déniche rapidos.

Je tube à nouveau à Chardon.

— Tu as installé une planque devant le 120 ?

— Oui, monsieur le commissaire. À ce propos, mon patron aimerait bien que vous lui téléphoniez ; il trouve que…

— Je sais : le boss à Chardon il trouve que je flouze dans la colle ! Il trouve que les hommes de son service n’ont pas d’ordres à recevoir d’un zig qui appartient à une toute autre branche de la police…

« Passe-le-moi !

Il est soulagé, Chardon.

— Voilà, monsieur le commissaire.

Une zone de silence et une voix rogue lâche un « allô » qui ressemble à un pet.

— C’est Muller ? je demande.

— Lui-même…

— Ici, San-Antonio…

— Très bien…

Cette pourriture ne l’ouvre pas. Il est vicieux, Muller, il a le beau rôle et il m’attend. Il jouit à l’avance des excuses que je vais lui présenter ; ça le fait goder, il devient humide.

Tout seul, dans ma petite cabine, je me monte le bourrichon.

À toute vapeur, je gonfle, je gonfle…

— Alors ? dit sèchement Muller.

C’en est trop. J’explose ! Je hurle, je trépigne. La bombe d’Hiroshima, le champignon atomique de Bikini, tout ça c’est de la vessie pétomane à côté de ma colère.

— Écoute, Muller, je dégoise, t’attends que je me transforme en paillasson, que je te sorte la romance des excuses parce que je me suis mêlé d’une chose qui ne me regardait pas, c’est bien ça, hein ? Eh ben ! non, petit gars, tu peux toujours t’abonner au Chasseur français pour te faire prendre patience ! Tes hommes sont des manches, des flics d’opérette, et toi, le seigneur, tu ressembles à ce qui se fait de mieux comme cornichon…

— Suffit ! crie-t-il.

— Non, ça suffit pas, hé ! tordu… Faut que je fasse mon petit Sherlock tout seulâbre, parce que tes boy-scouts classent les affaires qui viennent perturber leurs parties de belote. Râle pas ou on va s’expliquer chez le Vieux !

Là, il met un frein Westinghouse à ses protestations.

— Voyons, voyons, que se passe-t-il ?

— Il se passe que le mort que j’ai trouvé est claqué d’une façon louche ; que le gars qui l’accompagnait est claqué d’une façon plus louche encore ! Il se passe que la poule du deuxième est la fille du médecin du premier ; qu’elle est invisible et qu’elle va à minuit brûler des têtes de moutons dans la chaudière de sa campagne. Si tu trouves tout ça très bien, bravo !..

Il se ferait cueillir par Halimi en pleine bourre qu’il ne serait pas plus groggy.

— Qu’est-ce… qu’est-ce que tu dis ? balbutie-t-il.

— La vérité, hé ! patate.

— Je n’y comprends rien…

— Et alors ? Tu ne t’occupes que de ce que tu comprends ?

— Mais…

— La ferme ! Je cause !

Il doit être mauvais, Muller. Un zig, si vous le connaissiez, qui ressemble à une lame de couteau, il est tranchant, froid et pâle comme une lame.

— Tout ce que je te demande de faire, dis-je, c’est de lancer tous tes pompiers à la recherche d’une certaine Isabelle Bougeon, fille du docteur Bougeon, place des Ternes… Et puis itou de faire surveiller étroitement un petit futé répondant au doux nom de Georges Denis, lequel créchait avec le vieux Balmin et lui faisait des fantaisies exotiques… Moi, je continue à m’occuper de ça jusqu’à demain soir… Demain, en fin d’après-midi, je te dirai où j’en suis et je te passerai mes billes, car le Vieux m’envoie au tapin de l’autre côté de la mare aux harengs, d’accord ?

Il grince : « D’accord. »

Et quand je vous dis qu’il le grince, il le grince. Parole ! on croirait une girouette un soir de grand vent.

J’ai dû pousser une vache beuglante, moi je vous le dis, car lorsque je quitte le bigophone, tous les clients me reluquent comme si j’étais le sultan du Maroc.

Pour me donner une contenance, je demande au barman de me remettre ça. Puis je palpe ma vague, à la recherche de la cigarette des familles qui calmera ma nervosité.

Il ne me reste que les sèches trouvées dans la turne de Goussenville. Comme je n’aime pas les cigarettes de gonzesse, je demande au garçon un paquet de Gauloises.

Il s’excuse : il ne lui en reste plus.

Je soupire et me décide à enflammer une turque.

Tout en tirant des goulées qui manquent de volupté, je gamberge un peu. Si je pense, c’est donc que je suis, comme dirait l’autre. Or, il se produit un phénomène peu ordinaire, ce qui constitue, je vous le fais remarquer, un pléonasme de la première catégorie, un phénomène ne pouvant être ordinaire.

Voilà que, soudain, bien que pensant, je n’ai plus l’impression d’être. Mon individu devient léger, aérien. Je me mets à flotter à dix centimètres du sol. Mes pensées s’illuminent, flamboient.

L’enquête à laquelle je me livre me semble n’être qu’une aimable plaisanterie sans importance dont les fils emmêlés se dénoueront d’eux-mêmes !

En même temps, un mal de cœur sournois me chatouille les entrailles.

Je m’accoude au zinc, tout cela avec des mouvements supra-terrestres.

J’entends des voix qui disent :

— Mais il se trouve mal.