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« Des collections, pour un type comme ce petit combinard, ça n’a d’intérêt que lorsqu’on les vend… Diffuse son signalement chez tous les numismates de la place de Paris… et d’ailleurs.

— Entendu…

— Je ne te reverrai pas avant mon départ, mais je pense que tu arriveras à un résultat, non ?

— Merci de ta confiance…

Je lui sors encore deux ou trois vacheries bien saignantes, et je raccroche…

Mais je ne quitte pas la cabine. Mon second jeton m’offre un petit entretien avec ma vieille mère.

— Je suis contente de t’entendre, me dit l’excellente femme. Rentres-tu dîner ?

— Je ne crois pas, M’man…

— Ah ! c’est dommage, à tout hasard j’avais fait des pieds paquets.

— Je regrette encore davantage, M’man…

« Tu as préparé ma valise ?

— Évidemment.

— Veux-tu y mettre le gros revolver à canon scié qui se trouve dans le tiroir du haut de ma commode ?

Elle soupire :

— Qu’est-ce que tu vas faire, encore ?…

— Tu y joindras les quatre chargeurs qui se trouvent sous ma pile de mouchoirs…

— Bon… Tout ça n’est pas raisonnable, murmure Félicie… Quand je pense que ton pauvre papa voulait faire de toi un horloger !

Moi qui ne suis pas fichu de remonter la pendule du salon !

— T’inquiète pas, M’man… Et à tout à l’heure, n’oublie pas, onze heures, gare des Invalides…

— Oui…

— Je t’embrasse…

— Moi aussi, allô ! Allô !

— Oui ?

— J’oubliais de te dire : un monsieur a téléphoné tout à l’heure, il voulait te parler.

— Il a dit son nom ?

— Oui, et il a laissé son adresse… 18, rue Joubert… M. Audran, il travaille aux Chèques postaux, à ce qu’il m’a dit… Il sera chez lui à partir de dix-neuf heures…

Les Chèques postaux !

Voilà qui me fait dresser l’oreille…

— Merci, M’man…

*

À ces heures, ça n’est pas commode de se garer place des Ternes… Comme j’en ai marre de tourner en rond et que les aiguilles de ma tocante tournent encore plus vite que moi, je prends un parti héroïque : celui de laisser ma tire en double file…

Puis, sans gaffer les gestes de sémaphore que m’adresse un agent, je bondis dans l’immeuble du défunt docteur Bougeon…

Je sonne à sa lourde, mais personne ne répond… Comme ça n’est pas à l’appartement que j’en ai, mais à la femme de ménage qui le fait reluire — ou qui est censée le faire reluire — je redescends chez la concierge… Ma troisième concierge dans cette enquête !

C’est une concierge très sobre, très classique… Une concierge pour quartier douillet.

Elle a les cheveux teints en bleu horizon, peut-être en souvenir de son mari tué à la guerre de 14, dont j’aperçois le portrait dans un cadre doré.

— Police…

— Troisième à gauche, me répond-elle…

J’en ouvre la gargane et les quinquets…

Alors je m’aperçois qu’elle est sourdingue comme une tablette de chocolat.

Comme cette infirmité lui laisse l’usage de ses guetteurs, je lui expose ma cartoche. Elle la gaffe d’un air prudent.

— Police ! je tonitrue…

— Oh ! pardon, s’excuse la digne cerbère, j’avais compris Coldy, mon locataire du troisième, le violoniste !

— Je voudrais parler à la femme de ménage du docteur Bougeon.

— Mais il est veuf ! objecte-t-elle.

Décidément, c’est plus grave que je ne pensais…

— À sa femme de ménage !

Elle se met la main devant les oreilles et paraît offensée.

— Pas la peine de hurler si fort, dit-elle sèchement…

Puis elle reprend, de ce ton neutre des sourdingues :

— C’est la concierge d’à côté… Mme Bichette.

— Nom d’une m… arabe ! Est-ce que je vais en sortir, de ces concierges, moi ?

— Merci, grincé-je.

Elle a mal suivi le mouvement de mes lèvres.

— Soyez poli, éclate cette digne personne…

Renonçant à me justifier, je tire ma révérence. En voilà une de plus qui se fera une idée péjorative de la police.

*

Si vous voyiez la mère Bichette, vous voudriez l’emmener chez vous pour la mettre sur votre cheminée. C’est une toute petite vioque proprette comme son nom à l’œil malicieux…

Illico, je pige qu’on va devenir une paire de potes.

— Mande pardon, mémère, je fais en la saluant gentiment. Je suis flic et je m’intéresse à votre ex-patron.

Je la guette, ne sachant si Muller l’a mise au parfum pour Bougeon.

— J’ai appris l’affreuse chose, dit-elle… Ce pauvre docteur… Ça ne pouvait pas se terminer autrement !

Là, elle me fait plaisir, la mère Bichette.

Son petit œil brille. Elle est aussi rigolote que son blaze.

— Asseyez-vous donc, propose-t-elle.

Puis, si cordialement que je n’ose lui refuser :

— Vous prendrez bien une petite lichette d’eau-de-vie avec moi ?

— D’accord…

Elle ouvre un vieux buffet noirci par la fumée, j’aperçois des boîtes à biscuits peintes, des assiettes, des bibelots de verre. Le tout est soigneusement rangé…

— À moins que vous ne préfériez une petite verveine de ma fabrication ?

— Comme vous voudrez, mémère.

Elle sort un bout de nappe grand comme un mouchoir, l’étale soigneusement sur la toile cirée en prenant garde que le motif de la broderie soit tourné de mon côté…

Elle place deux verres teintés de mauve, une bouteille carrée dans laquelle macère une branche de verveine…

— Alors ? me demande-t-elle… Qu’est-ce que vous allez me demander ?

Je me poile.

— Vous alors, vous êtes de bonne composition…

— Dame, dit-elle, votre métier, c’est de poser des questions, et le mien d’y répondre, pas vrai ? Alors pourquoi faire des salamalecs ?

— Il y a longtemps que vous faisiez le ménage chez Bougeon ?

— Depuis la mort de sa femme.

— C’est-à-dire ?

— Une dizaine d’années… À cette époque, ce pauvre docteur avait une bonne clientèle… Il était actif, jeune, sérieux… Et puis peu à peu il s’est mis à boire. D’abord du bourgogne. Il y avait des bouteilles partout… son foie n’a pas tenu le coup, alors il s’est drogué…

— Le chagrin ?

— C’est ça… Celui d’avoir perdu une bonne épouse, d’abord, et puis celui de voir sa fille mal tourner…

— Comment ça, mal tourner ?

— Isabelle est une voyouse…

Le néologisme me séduit.

— Qu’entendez-vous par « voyouse » ?

— Depuis qu’elle était étudiante, elle faisait la vie avec des hommes plus âgés qu’elle… Et c’étaient des histoires… Une nuit elle était au poste pour tapage nocturne, une autre, elle passait au tribunal pour insultes à agents… Vous voyez le genre ? Le mauvais genre…

— Je vois. Du reste je me l’imagine bien dans ce style-là…

— Faut dire aussi que Bougeon ne s’est jamais occupé d’elle…

— Évidemment… Un homme seul, drogué…

— N’est-ce pas ?…

— Alors ?

— Elle a pratiquement ruiné son père… Chaque jour c’étaient des scènes pour de l’argent… Elle le semait à pleines mains… Lorsque le pauvre docteur a été sur la paille, elle s’est mise avec ce grand escogriffe au manteau de cuir…