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Chose étrange: j’affectais l’indifférence et même la froideur et en même temps mon cœur s’embrâsais. J’aurais peut-être dû vous cacher ma défaite pour m’épargner la honte de paraître ridicule à vos yeux; mais c’est un si grand bonheur pour moi de pouvoir vous dire que je m’étourdis sur les suites, que cet aveu pourra amener. Pardon, Madame, mille fois pardon si j’ai pu vous déplaire: plaignez-moi plutôt: l’espérance est cachée pour moi sous une crêpe funèbre.

Tout à vous pour la vie
O. Somoff.
Ce 1 Mai 1821.

Ah, Madame, quelle soir ée que celle d’hier! Mon coeur se brise jusqu’en ce moment-si, malgré la contenance affectée que je tâchais de prendre… Soyez sincère et convenez que vous avez voulu m’humilier, et de quelle manière… Ce vin que vous me feriez à boire; non, plutôt un poison prompt et efficace qu’une goutte de ce vin, et le fatal je ne veux pas est parti de ma bouche. Oh! de quoi ne l’aurais-je racheté un moment après — j’ai été à la torture tout le reste du souper; je me suis cru perdu sans ressource dans votre esprit: un seul mot m’a rendu à la vie. C’est vous qui 1’avez prononcé, ce mot de grâce et de salut: j’ai vu que vous ne vous fâchiez plus et mes remords n’en étaient que plus puissants.

J ’ai été souvent victime de mes premiers mouvements: un emportement momentané avait coûté bien de larmes à ma mère, à la seule flemme qui aurait partagé avec vous, si elle vivait encore, les sentiments de tendresse et d’adora-tion que je vous voue maintenant sans partage. Et hier… ô que je voudrais perdre même le souvenir de cette soirée! à côté de moi 1’on m’insultait par un sourire infernal qui voulait dire: tu es perdu et j’en suis très aise! L’on ne se donnait pas même la peine de me cacher sa joie… Oh! si l’on voyait mes yeux enflammés, mon sang qui se portait à la tête; si l’on entendait le mot d’insulte et de menace qui volait déjà sur ma bouche.

Cependant j ’ai su me dompter. Dieu veuille lui pardonner comme je lui ai pardonné cette fois-ci.

Comment arrive-t-il, madame, que loin de vous je ne pense qu ’à vous? que lorsque je veux adresser un mot de compliment à une dame, votre nom est toujours sur mes lèvres? Que tout ce qui n’est pas vous, m’ennuie mortelle-ment? Hier j’ai été chez Izmaïloff; triste et rêveur, je ne disais que des mots sans suite. Arrive votre époux… et comme si quelque chose m’avait éléctrisé, je suis devenu gai et causeur; j’ai conçu l’espoir de vous revoir dans la soirée même.

Monsieur votre époux a eu la bonté de m’inviter à passer chez vous et je ne me le suis pas fait répéter une seconde fois; j’ai volé vers votre maison de sorte que j ’y suis arrivé, à pied, presqu’en même temps que la drochki de monsieur Ponomareff. Vainement je vous cherchais des yeux, vainement je rappe-lais ma gaîté; elle s’est envolée pour le reste de la soirée, et mon âme l’était aussi pour découvrir vos traces.

Adieu, madame! mon coeur n ’est pas encore à sa place: une inquiétude mortelle l’oppresse encore, Il se peut bien que vous n’avez pas tout-à-fait oub-lié ma faute; d ites-moi comment dois-je l’expier?

Votre esclave,
soumis et repentant
O. Somoff.
Ce 2 Mai 1921.

J’ai passé une nuit blanche, Madame: mais cette nuit était délicieuse; le plaisir ranime les forces: la preuve en est que je ne suis pas du tout abattu. Je n’ai été séparé de vous que par l’espace d’une chambre, j’ai été bercé par le souvenir de vous avoir vue endormie devant mes yeux; je respirais le même air que vous, l’air qui recevait des vibrations de voire haleine: que de délices! que de bonheur! Et ce bras nu glissant dessus la couverture, et cette figure enchanteresse plongée dans le sommeil, ce repos, cette tranquillité de l’âme qui se peignait sur vos traits… j’y serais resté jusqu’à votre réveil, si votre époux ne m’avait entraîné hors de la chambre. Aussi je n’ai pas pensé à dor-mir: une seule fois je me sentis la paupiere appesantie, mais cette espèce d’as-souvissement avait ses douceurs: votre image s’y reproduisait sous mille formes immortelles.

De gr âce, apprenez-moi. Madame! pourquoi j’ai été traité d’abord si froidement dans la soirée d’hier? Par quelle faute me suis-je attiré cette espèce de dédain avec lequel vous m’avez alors entendu et répondu? Est-ce ma lettre? Qu’y avez vous trouvé qui pût vous blesser? Non! vous n’avez pas dû donner une fausse interprétation aux expressions des sentiments les plus vrais et les plus purs.

Enseignez-moi à vous peindre les sentimens! pourquoi suis-je à demi muet en votre présence? C’est par le respect que m’impose la vue de l’objet que j’adore

pour la vie
O. Somoff.
Ce 3 Mai 1821.

Une assez belle matin ée et la perspective d’une très belle journée — telles étaient mes espérances d’hier. Madame! oh! qu’elles étaient loin de se réaliser. Pourquoi suis-je allé sur cette fatale barque? Pourquoi ne suis-je pas retourné sur mes pas tout en arrivant chez vous? Pourquoi le malin m’a t-il poussé dans la barque où vous étiez avec votre époux? — Je l’ai attrappé ce regard de dédain que vous m’avez lancé, il m’a glacé le sang. D’autres regards que vous promeniez loin du bateau, annonçaient plus d’intérêt… J’ai eu l’hon-neur de vous dire, Madame, qu’un rien est capable de m’indisposer et d’ôter ma ga îeté pour le reste de la journée. Convenez que le triste rôle que J’ai dû jouer hier, n’était pas faîte pour m’égayer. Et pourquoi ne pas me laisser partir après avoir vu que tous mes efforts pour me rendre restant soient peu suppor-tables, restaient sans effet.

Je me perds dans le labyrinthe de mes conjectures à l’égard de l’impor-tant personnage d’hier au soir; Madame assure qu’elle ne peut pas le souffrir, que c’est bien l’être le plus vain et le plus insolent etc. etc. et cependant les procédés de Madame envers ce même personnage prouvent le contraire. J’ai voulu vous conjurer à me mettre sur la voie de me conduire envers un autre jeune homme et j’ai remarqué que vous avez cherché à éluder cet entretien, qu’à travers le peu de mots que vous avez daigné me dire perçait une espèce de crainte — très outrageante pour moi. Quoi, Madame, Vous, douce, d’un esprit supérieur, et d’un admirable aplomb dans vos démarches, vous craind-riez un oiseau comme celui-là: il suffirait d’une attitude assurée pour lui en imposer. Et suis-je à votre sentiment un être aussi méprisable pour que l’on craigne de s’abaisser en me parlant?.. De grâce, Madame! dites-le moi, pour que je puisse agir en conséquence. Je ne le sens que trop et je le répète encore: j’aurais dû me confiner dans mon réduit et ne jamais me rapprocher de vous: il eût suffi de vous en avoir vue une seule fois pour m’éclairer sur les dangers que je courais. Mon pauvre cœur est incorrigible et les malheurs qu’il a déjà essayés n’avaient pas réussi à le mettre à même de se tenir sur ses gardes. Mais ces mêmes malheurs ont contribué à débrouiller un peu ma cerveille, de sorte qu’avec cet air bênet que vous me connaissez, j’ai à présent un certain tact pour voir les choses comme elles sont. J’ai ri intérieurement, puis en en-tendant le maître Celiboron disserter sur l’amour platonique, j’ai parlé exprès d’amour sensuel pour lui faire comprendre l’inconvenance de la conversation où il s’embarque. Est-ce à lui d’en parler? L’aveugle ne pourra-t-il jamais ju-ger de la peinture, et le sourd de la musique?