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Pourquoi en effet ne m ’ont-elles pas donné une figure attrayante, une taille avantageuse, des talents agréables surtout celle de plaire, un esprit aigre et cultivé, enfin tout ce peut attirer et attacher. De tous leurs dons, elles ne m’ont laissé en partage qu’un cœur tendre et aimant et une âme élevée au-des-sus de mon état, deux choses qui au lieu de faire le bonheur de celui qui les possède, ne contribuent qu’à le rendre encore plus malheureux. Ayez pitié de moi, Madame; rendez-moi du moins mon bonheur illusoire, ce bonheur qui m’a été accordé naguères: je vous jure, je fais le serment le plus solennel d’être aussi circonspect que vous l’exigez, de vous épargner la peine de me faire encore les mêmes reproches que votre jolie bouche m’avait prononcé autre jour.

Et en quoi suis-je fautif? J ’a toujours été si respectueux, si soumis devant vous, Madame (en même temps que j’ai vu un jeune homme se permettre de vous faire les réprimandes un peu dures en présence de tout le monde: voilà à qui peut vous compromettre et prêter au scandale…)

Veuillez bien, Madame, me pardonner ma franchise excessive: c ’est dans l’interêt de tout ce qui vous concerne, et par conséquent de tout ce qui m’est plus cher que ma vie, que je me suis permis de vous exprimer mon sentiment à ce sujet. Si vous saviez toute la force de mon amour, vous ne vous fâcheriez point de ma sincérité. Je tombe à vos pieds, je m’anéantis en disant toujou rs

Tout à vous pour la vie
O. Somoff.
Ce 25 Mai, 1821.

Ce n ’est donc que mon talent d’écrire que vous voyez dans mes lettres, Madame. L’éloge que vous en avez fait hier n’était qu’une satire contre mon coeur: aussi vous avez pu remarquer mon embarras et mes sottes réponses à vos aimables compliments: j’étais pétrifié, anéanti. Ah, Madame! si par pitié seulement vous m’eussiez dit: tu as un coeur, tu sais aimer, je le vois; ces expressions ne peuvent partir que d’un cœur aimant, elles ne sont point enve-loppées dans une froide recherche des mots et dans le fade jargon d’un amant trouvé dans mille romans. C’aurait été plus flatteur pour moi que toutes les lo-uanges pompeuses des toutes les académies du monde. Mais ici je vois que Madame a voulu seulement plaisanter sur mon amour et tourner en ridicule mon pauvre cœur: quelle récompense!.. Vous avez beau faire. Madame! je vous aimerai toujours: ni vos rigueurs, ni vos plaisanteries n’étoufferont jamais une passion qui va chaque jour croissant, qui fait mes peines, qui f’ait mes délices, et qui enfin n’expirera qu’avec le dernier souffle de ma vie.

Qu ’il est pénible, le moment fatal où l’on voit tomber le bandeau rose qui couvrait nos yeux, laissant apercevoir, dans le lointain, un demi-bonheur et des demi-jouissances! Qu’il est pénible, dis-je, cet état où le cœur se voit détrompé! Voici précisément l’état où je me trouve, Madame! Les espérances se sont toutes envolées: un vide affreux que rien ne remplit, règne à présent dans mon cœur… Autrefois il s’ouvrait à la douce amitié, depuis quelque temps il a osé palpiter pour l’amour…

Eh bien, Madame! l ’amour l’ayant trompé et le désir même de l’amitié. Vous, Madame, vous ne le croyez pas, j’ai vu par tout ce que vous m’avez dit que vous n’en croyez rien; ou du moins, si vous condescendez à le croire, ce sentiment ne fait qu’effleurer votre cœur sans y laisser aucune trace, tandis qu’il se grave dans le mien à de traits de feu, à de traits ineffaçables.

Hier j ’ai osé encore me disputer avec vous, et vous, ange de bonté, vous excusez cet excès de folie? Je vous prie, Madame, de me faire la grâce d’impo-ser à l’avenir silence à cette langue hardie qui devient alors comme antipode de mon cœur. Quelques fortes que puissent être mes raisons, il suffit que vous me disiez: C’est mon opinion! et vous verrez que je rentrerai aussitôt dans mon caract ère, dans celui d’un amant humble et soumis, comme je le suis toujours et comme je veux toujours l’être pour

Tout à vous pour la vie
O. Somoff.
Ce 26 Mai 1821.

Oui, Madame! Vous le voulez; vous voulez mortifier, atterrer un c œur qui vous aime tant! Hier encore j’en ai eu une preuve indubitable: vous avez fait appeler un de ces Messieurs, vous lui avez parlé, vous avez eu l’air de vous intéresser beaucoup à sa conversation… il sort, je m’approche de vous, j’ose vous adresser la parole et vous prétendez que vous voulez vous exercer. Il est beau, le compliment que vous m’avez dit: «que vous ne voulez pas avoir deux plaisirs à la fois: me voir et lire mes lettres». Je l’ai traduit mot par mot en lan-gage du cœur, en langage de vérité: voilà ce qu’il signifie: «aurais-je le temps de penser à toi et à tes lettres». La mine qui accompagnait le compliment l’ex-primait ainsi. — Vous me méprisez, Madame; vous craignez de faire voir aux autres que vous avez même la patience de m’écouter; je ne l’ai que trop compris; vous cherchez toujours des moyens pour éviter un moment d’entretien que je m’empresse de saisir: c’est clair, vous m’avez dit vous-même, ce que je dois faire…

Eh bien, Madame! quelque p énible que soit pour moi le sacrifice, je le consommerais: j’ôterai de vos yeux l’objet de vos dégoûts et de vos mépris, je vous épargnerai la peine de me voir.

Les égards que je vous dois, Mme, à vous et à Mr votre époux m’oblige-ront de paraître de temps en temps chez vous jusqu’à une certaine époque afin d’éviter une interprétatation; mais ces visites seront courtes et ne vous comprometteront point, comme vous avez eu la bonté de me le si gnifier.

La fiert é naturelle à des gens qui n’ont pas le front d’airain, me le com-mande; je ne peux pas supporter qu’on me méprise, je ne veux pas non plus être à charge à personne.

Je me rappelle bien ce que vous avez dit une fois des gens pauvres qui ont du caract ère, au sujet d’une de nos connaissances: «Il est fier, parce qu’il est pauvre». Eh bien, Madame, je suis plus pauvre encore, et je suis fier, bien que la pauvreté ne soit pas un mérite à étaler, comme ce n’est non plus une honte à cacher!

Une de mes lettres pr écédentes vous aura instruite de la justice que je sais me rendre à moi-même, de la vraie opinion que j’ai de mon individu. Il reste encore un grand défaut que je n’ai point nommé, mais que j’ai fait voir dans plusieurs occasions: c’est l’excès de franchise.

Que vous ai-je fait, Madame? je vous aimais!..

Si vous m ’eussiez vu hier dans l’état angoissé où je me trouvais, mon visage enflammé, mes yeux égarés, si vous eussiez pu sentir les palpitations in-termittentes de mon coeur… etc. Non! je n’ai pas voulu vous offrir ce spectacle (qui vous aurait peut-être attrister: je me suis enfui à toute force). Arrivé près de corps-de-garde, en face de la petite église, je me suis trouvé mal; un bon soldat, qui était en faction, eut pitié de mon état, il a sonné des camarades, qui m ’ont introduit ou plutôt porté dans l’intérieur et m’ont prodigué tous les se-cours qu’ils pouvaient imaginer; grâce aux soins de ces excellents militaires, je me suis un peu remis au bout de quelques moments et je suis parti. Etant rentré chez moi, j’ai eu un accès de fièvre; le sommeil fuyait de mes yeux; mon coeur était serré et ma poitrine oppressée comme si un poids énorme m’écra-sait et me cessait la respiration. Vers dix heures du matin, deux ruisseaux de larmes, de ces larmes brûlantes de désespoir, m’ont un peu soulagé; mais je n’ai pas pu fermer la paupière.