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Gardant d’une main sa pipe chargée à nouveau, de l’autre le couvercle sans le remettre, monsieur Becker écoutait Wilfrid d’un air mystérieux, en regardant par instants sa fille qui paraissait comprendre ce langage, en harmonie avec l’être qui l’inspirait.

Wilfrid était beau comme Hamlet résistant à l’ombre de son père, et avec laquelle il converse en la voyant se dresser pour lui seul au milieu des vivants.

— Ceci ressemble fort au discours d’un homme amoureux, dit naïvement le bon pasteur.

— Amoureux ! reprit Wilfrid ; oui, selon les idées vulgaires. Mais, mon cher monsieur Becker, aucun mot ne peut exprimer la frénésie avec laquelle je me précipite vers cette sauvage créature.

— Vous l’aimez donc ? dit Minna d’un ton de reproche.

— Mademoiselle, j’éprouve des tremblements si singuliers quand je la vois, et de si profondes tristesses quand je ne la vois plus, que, chez tout homme, de telles émotions annonceraient l’amour ; mais ce sentiment rapproche ardemment les êtres, tandis que, toujours entre elle et moi, s’ouvre je ne sais quel abîme dont le froid me pénètre quand je suis en sa présence, et dont la conscience s’évanouit quand je suis loin d’elle. Je la quitte toujours plus désolé, je reviens toujours avec plus d’ardeur, comme les savants qui cherchent un secret et que la nature repousse ; comme le peintre qui veut mettre la vie sur une toile, et se brise avec toutes les ressources de l’art dans cette vaine tentative.

— Monsieur, tout cela me paraît bien juste, répondit naïvement la jeune fille.

— Comment pouvez-vous le savoir, Minna ? demanda le vieillard.

— Ah ! mon père, si vous étiez allé ce matin avec nous sur les sommets du Falberg, et que vous l’eussiez vue priant, vous ne me feriez pas cette question ! Vous diriez, comme monsieur Wilfrid, quand il l’aperçut pour la première fois dans notre temple :

— C’est le Génie de la Prière.

Ces derniers mots furent suivis d’un moment de silence.

— Ah ! certes, reprit Wilfrid, elle n’a rien de commun avec les créatures qui s’agitent dans les trous de ce globe.

— Sur le Falberg ? s’écria le vieux pasteur. Comment avez-vous fait pour y parvenir ?

— Je n’en sais rien, répondit Minna. Ma course est maintenant pour moi comme un rêve dont le souvenir seul me reste ! Je n’y croirais peut-être point sans ce témoignage matériel.

Elle tira la fleur de son corsage et la montra. Tous trois restèrent les yeux attachés sur la jolie saxifrage encore fraîche qui, bien éclairée par les lampes, brilla dans le nuage de fumée comme une autre lumière.

— Voilà qui est surnaturel, dit le vieillard en voyant une fleur éclose en hiver.

— Un abîme ! s’écria Wilfrid exalté par le parfum.

— Cette fleur me donne le vertige, reprit Minna. Je crois encore entendre sa parole qui est la musique de la pensée, comme je vois encore la lumière de son regard qui est l’amour.

— De grâce, mon cher monsieur Becker, dites-moi la vie de Séraphîta, énigmatique fleur humaine dont l’image nous est offerte par cette touffe mystérieuse.

— Mon cher hôte, répondit le vieillard en lâchant une bouffée de tabac, pour vous expliquer la naissance de cette créature, il est nécessaire de vous débrouiller les nuages de la plus obscure de toutes les doctrines chrétiennes ; mais il n’est pas facile d’être clair en parlant de la plus incompréhensible des révélations, dernier éclat de la foi qui ait, dit-on, rayonné sur notre tas de boue. Connaissez-vous SWEDENBORG ?

— De nom seulement, mais de lui, de ses livres, de sa religion, je ne sais rien.

— Hé ! bien, je vais vous raconter SWEDENBORG en entier.

III

SÉRAPHÎTA-SÉRAPHÎTÜS

Après une pause pendant laquelle le pasteur parut recueillir ses souvenirs, il reprit en ces termes :

Emmanuel de SWEDENBORG est né à Upsal, en Suède, dans le mois de janvier 1688, suivant quelques auteurs, en 1689, suivant son épitaphe. Son père était évêque de Skara. Swedenborg vécut quatre-vingt-cinq années, sa mort étant arrivée à Londres, le 29

mars 1772. Je me sers de cette expression pour exprimer un simple changement d’état.

Selon ses disciples, Swedenborg aurait été vu à Jarvis et à Paris postérieurement à cette date. Permettez, mon cher monsieur Wilfrid, dit monsieur Becker en faisant un geste pour prévenir toute interruption, je raconte des faits sans les affirmer, sans les nier.

Écoutez, et après, vous penserez de tout ceci ce que vous voudrez. Je vous préviendrai lorsque je jugerai, critiquerai, discuterai les doctrines, afin de constater ma neutralité intelligentielle entre la raison et LUI !

La vie d’Emmanuel Swedenborg fut scindée en deux parts, reprit le pasteur. De 1688 à 1745, le baron Emmanuel de Swedenborg apparut dans le monde comme un homme du plus vaste savoir, estimé, chéri pour ses vertus, toujours irréprochable, constamment utile. Tout en remplissant de hautes fonctions en Suède, il a publié de 1709

à 1740, sur la minéralogie, la physique, les mathématiques et l’astronomie, des livres nombreux et solides qui ont éclairé le monde savant. Il a inventé la méthode de bâtir des bassins propres à recevoir les vaisseaux. Il a écrit sur les questions les plus importantes, depuis la hauteur des marées jusqu’à la position de la terre. Il a trouvé tout à la fois les moyens de construire de meilleures écluses pour les canaux, et des procédés plus simples pour l’extraction des métaux. Enfin, il ne s’est pas occupé d’une science sans lui faire faire un progrès. Il étudia pendant sa jeunesse les langues hébraïque, grecque, latine et les langues orientales dont la connaissance lui devint si familière, que plusieurs professeurs célèbres l’ont consulté souvent, et qu’il put reconnaître dans la Tartarie les vestiges du plus ancien livre de la Parole, nommé LES GUERRES DE JEHOVAH, et LES ÉNONCÉS dont il est parlé par Moïse dans les NOMBRES (XXI, 14, 15, 27–30), par Josué, par Jérémie et par Samuel. LES GUERRES DE JEHOVAH seraient la partie historique, et LES ÉNONCÉS la partie prophétique de ce livre antérieur à la GENÈSE.