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— Ses secrets ne sont pas les miens, répondit Minna. Près de lui, je sais tout ; loin de lui, je ne sais plus rien ; près de lui, je ne suis plus moi ; loin de lui, j’ai tout oublié de cette vie délicieuse. Le voir est un rêve dont la souvenance ne me reste que suivant sa volonté. J’ai pu entendre près de lui, sans m’en souvenir loin de lui, les musiques dont parlent la femme de Bancker et celle d’Erikson ; j’ai pu, près de lui, sentir des parfums célestes, contempler des merveilles, et ne plus en avoir idée ici.

— Ce qui m’a surpris le plus depuis que je la connais, ce fut de la voir vous souffrir près d’elle, reprit le pasteur en s’adressant à Wilfrid.

— Près d’elle ! dit l’étranger, elle ne m’a jamais laissé ni lui baiser, ni même lui toucher la main. Quand elle me vit pour la première fois, son regard m’intimida ; elle me dit :

— Soyez le bienvenu ici, car vous deviez venir. Il me sembla qu’elle me connaissait.

J’ai tremblé. La terreur me fait croire en elle.

— Et moi l’amour, dit Minna sans rougir.

— Ne vous moquez-vous pas de moi ? dit monsieur Becker en riant avec bonhomie ; toi, ma fille, en te disant un Esprit d’Amour, et vous, monsieur, en vous faisant un Esprit de Sagesse ?

Il but un verre de bière, et ne s’aperçut pas du singulier regard que Wilfrid jeta sur Minna.

— Plaisanterie à part, reprit le ministre, j’ai été fort surpris d’apprendre qu’aujourd’hui, pour la première fois, ces deux folles seraient allées sur le sommet du Falberg ; mais n’est-ce pas une exagération de jeunes filles qui seront montées sur quelque colline ? il est impossible d’atteindre à la cime du Falberg.

— Mon père, dit Minna d’une voix émue, j’ai donc été sous le pouvoir du démon, car j’ai gravi le Falberg avec lui.

— Voilà qui devient sérieux, dit monsieur Becker ; Minna n’a jamais menti.

— Monsieur Becker, reprit Wilfrid, je vous affirme que Séraphîta exerce sur moi des pouvoirs si extraordinaires, que je ne sais aucune expression qui puisse en donner une idée. Elle m’a révélé des choses que moi seul je puis connaître.

— Somnambulisme ! dit le vieillard. D’ailleurs, plusieurs effets de ce genre sont rapportés par Jean Wier comme des phénomènes fort explicables et jadis observés en Égypte.

— Confiez-moi les œuvres théosophiques de Swedenborg, dit Wilfrid, je veux me plonger dans ces gouffres de lumière, vous m’en avez donné soif.

Monsieur Becker tendit un volume à Wilfrid, qui se mit à lire aussitôt. Il était environ neuf heures du soir. La servante vint servir le souper. Minna fit le thé. Le repas fini, chacun d’eux resta silencieusement occupé, le pasteur à lire le Traité des Incantations, Wilfrid à saisir l’esprit de Swedenborg, la jeune fille à coudre en s’abîmant dans ses souvenirs. Ce fut une veillée de Norwége, une soirée paisible, studieuse, pleine de pensées, des fleurs sous de la neige. En dévorant les pages du prophète, Wilfrid n’existait plus que par ses sens intérieurs. Parfois, le pasteur le montrait d’un air moitié sérieux, moitié railleur à Minna qui souriait avec une sorte de tristesse. Pour Minna, la tête de Séraphîtüs lui souriait en planant sur le nuage de fumée qui les enveloppait tous trois. Minuit sonna. La porte extérieure fut violemment ouverte. Des pas pesants et précipités, les pas d’un vieillard effrayé, se firent entendre dans l’espèce d’antichambre étroite qui se trouvait entre les deux portes. Puis, tout à coup, David se montra dans le parloir.

— Violence ! violence ! s’écria-t-il. Venez ! venez tous ! Les Satans sont déchaînés ! ils ont des mitres de feu. Ce sont des Adonis, des Vertumnes, des Sirènes !

ils le tentent comme Jésus fut tenté sur la montagne. Venez les chasser.

— Reconnaissez-vous le langage de Swedenborg ? le voilà pur, dit en riant le pasteur.

Mais Wilfrid et Minna regardaient avec terreur le vieux David qui, ses cheveux blancs épars, les yeux égarés, les jambes tremblantes et couvertes de neige, car il était venu sans patins, restait agité comme si quelque vent tumultueux le tourmentait.

— Qu’est-il arrivé ? lui dit Minna.

— Eh ! bien, les Satans espèrent et veulent le reconquérir.

Ces mots firent palpiter Wilfrid.

— Voici près de cinq heures qu’elle est debout, les yeux levés au ciel, les bras étendus ; elle souffre, elle crie à Dieu. Je ne puis franchir les limites, l’enfer a posé des Vertumnes en sentinelle. Ils ont élevé des murailles de fer entre elle et son vieux David.

Si elle a besoin de moi, comment ferai-je ? Secourez-moi ! venez prier !

Le désespoir de ce pauvre vieillard était effrayant à voir.

— La clarté de Dieu la défend ; mais si elle allait céder à la violence ? reprit-il avec une bonne foi séductrice.

— Silence ! David, n’extravaguez pas ! Ceci est un fait à vérifier. Nous allons vous accompagner, dit le pasteur, et vous verrez qu’il ne se trouve chez vous ni Vertumnes, ni Satans, ni Sirènes.

— Votre père est aveugle, dit tout bas David à Minna.

Wilfrid, sur qui la lecture d’un premier traité de Swedenborg, qu’il avait rapidement parcouru, venait de produire un effet violent, était déjà dans le corridor, occupé à mettre ses patins. Minna fut prête aussitôt. Tous deux laissèrent en arrière les deux vieillards, et s’élancèrent vers le château suédois.

— Entendez-vous ce craquement ? dit Wilfrid.

— La glace du Fiord remue, répondit Minna ; mais voici bientôt le printemps.

Wilfrid garda le silence. Quand tous deux furent dans la cour, ils ne se sentirent ni la faculté ni la force d’entrer dans la maison.

— Que pensez-vous d’elle ? dit Wilfrid.

— Quelles clartés ! s’écria Minna qui se plaça devant la fenêtre du salon. Le voilà ! mon Dieu, qu’il est beau ! Ô ! mon Séraphîtüs, prends-moi.

L’exclamation de la jeune fille fut tout intérieure. Elle voyait Séraphîtüs debout, légèrement enveloppé d’un brouillard couleur d’opale qui s’échappait à une faible distance de ce corps presque phosphorique.