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Ainsi quand je vous dirais que l’univers n’est que Nombre et Mouvement, vous voyez que déjà nous parlerions un langage différent. Je comprends l’un et l’autre, et vous ne les comprenez point. Que serait-ce si j’ajoutais que le Mouvement et le Nombre sont engendrés par la Parole ? Ce mot, la raison suprême des Voyants et des Prophètes qui jadis entendirent ce souffle de Dieu sous lequel tomba saint Paul, vous vous en moquez, vous hommes de qui cependant toutes les œuvres visibles, les sociétés, les monuments, les actes, les passions procèdent de votre faible parole ; et qui sans le langage ressembleriez à cette espèce si voisine du nègre, à l’homme des bois. Vous croyez donc fermement au Nombre et au Mouvement, force et résultat inexplicables, incompréhensibles à l’existence desquels je puis appliquer le dilemme qui vous dispensait naguère de croire en Dieu. Vous, si puissant raisonneur, ne me dispenserez-vous point de vous démontrer que l’Infini doit être partout semblable à lui-même, et qu’il est nécessairement un. Dieu seul est infini, car certes il ne peut y avoir deux infinis. Si, pour se servir des mots humains, quelque chose qui soit démontrée ici-bas, vous semble infinie, soyez certain d’y entrevoir une des faces de Dieu. Poursuivons. Vous vous êtes approprié une place dans l’infini du Nombre, vous l’avez accommodée à votre taille en créant, si toutefois vous pouvez créer quelque chose, l’arithmétique, base sur laquelle repose tout, même vos sociétés. De même que le Nombre, la seule chose à laquelle ont cru vos soi-disant athées, organise les créations physiques ; de même l’arithmétique, emploi du Nombre, organise le monde moral. Cette numération devrait être absolue, comme tout ce qui est vrai en soi ; mais elle est purement relative, elle n’existe pas absolument, vous ne pouvez donner aucune preuve de sa réalité. D’abord si cette Numération est habile à chiffrer les substances organisées, elle est impuissante relativement aux forces organisantes, les unes étant finies et les autres étant infinies.

L’homme qui conçoit l’Infini par son intelligence, ne saurait le manier dans son entier ; sans quoi, il serait Dieu. Votre Numération, appliquée aux choses finies et non à l’Infini, est donc vraie par rapport aux détails que vous percevez, mais fausse par rapport à l’ensemble que vous ne percevez point. Si la nature est semblable à elle-même dans les forces organisantes ou dans ses principes qui sont infinis, elle ne l’est jamais dans ses effets finis ; ainsi, vous ne rencontrez nulle part dans la nature deux objets identiques : dans l’Ordre Naturel, deux et deux ne peuvent donc jamais faire quatre, car il faudrait assembler des unités exactement pareilles, et vous savez qu’il est impossible de trouver deux feuilles semblables sur un même arbre, ni deux sujets semblables dans la même espèce d’arbre. Cet axiome de votre numération, faux dans la nature visible, est également faux dans l’univers invisible de vos abstractions, où la même variété a lieu dans vos idées, qui sont les choses du monde visible, mais étendues par leurs rapports ; ainsi, les différences sont encore plus tranchées là que partout ailleurs. En effet, tout y étant relatif au tempérament, à la force, aux mœurs, aux habitudes des individus qui ne se ressemblent jamais entre eux, les moindres objets y représentent des sentiments personnels. Assurément, si l’homme a pu créer des unités, n’est-ce pas en donnant un poids et un titre égal à des morceaux d’or ? Eh ! bien, vous pouvez ajouter le ducat du pauvre au ducat du riche, et vous dire au trésor public que ce sont deux quantités égales ; mais aux yeux du penseur, l’un est certes moralement plus considérable que l’autre ; l’un représente un mois de bonheur, l’autre représente le plus éphémère caprice. Deux et deux ne font donc quatre que par une abstraction fausse et monstrueuse. La fraction n’existe pas non plus dans la Nature, où ce que vous nommez un fragment est une chose finie en soi ; mais n’arrive-t-il pas souvent, et vous en avez des preuves, que le centième d’une substance soit plus fort que ce que vous appelleriez l’entier ? Si la fraction n’existe pas dans l’Ordre Naturel, elle existe encore bien moins dans l’Ordre Moral, où les idées et les sentiments peuvent être variés comme les espèces de l’Ordre Végétal, mais sont toujours entiers. La théorie des fractions est donc encore une insigne complaisance de votre esprit. Le Nombre, avec ses Infiniment petits et ses Totalités infinies, est donc une puissance dont une faible partie vous est connue, et dont la portée vous échappe. Vous vous êtes construit une chaumière dans l’Infini des nombres, vous l’avez ornée d’hiéroglyphes savamment rangés et peints, et vous avez crié :

— Tout est là ! Du Nombre pur, passons au Nombre corporisé. Votre géométrie établit que la ligne droite est le chemin le plus court d’un point à un autre, mais votre astronomie vous démontre que Dieu n’a procédé que par des courbes. Voici donc dans la même science deux vérités également prouvées : l’une par le témoignage de vos sens agrandis du télescope, l’autre par le témoignage de votre esprit, mais dont l’une contredit l’autre. L’homme sujet à erreur affirme l’une, et l’ouvrier des mondes, que vous n’avez encore pris nulle part en faute, la dément. Qui prononcera donc entre la géométrie rectiligne et la géométrie curviligne ? entre la théorie de la droite et la théorie de la courbe ? Si, dans son œuvre, le mystérieux artiste qui sait arriver miraculeusement vite à ses fins, n’emploie la ligne droite que pour la couper à angle droit afin d’obtenir une courbe, l’homme lui-même ne peut jamais y compter : le boulet, que l’homme veut diriger en droite ligne, marche par la courbe, et quand vous voulez sûrement atteindre un point dans l’espace, vous ordonnez à la bombe de suivre sa cruelle parabole. Aucun de vos savants n’a tiré cette simple induction que la Courbe est la loi des mondes matériels, que la Droite est celle des mondes spirituels : l’une est la théorie des créations finies, l’autre est la théorie de l’infini. L’homme, ayant seul ici bas la connaissance de l’infini, peut seul connaître la ligne droite ; lui seul a le sentiment de la verticalité placé dans un organe spécial.

L’attachement pour les créations de la courbe ne serait-il pas chez certains hommes l’indice d’une impureté de leur nature, encore mariée aux substances matérielles qui nous engendrent ; et l’amour des grands esprits pour la ligne droite n’accuserait-il pas en eux un pressentiment du ciel ? Entre ces deux lignes est un abîme, comme entre le fini et l’infini, comme entre la matière et l’esprit, comme entre l’homme et l’idée, entre le mouvement et l’objet mu, entre la créature et Dieu. Demandez à l’amour divin ses ailes, et vous franchirez cet abîme ! Au delà commence la Révélation du Verbe. Nulle part les choses que vous nommez matérielles ne sont sans profondeur ; les lignes sont les terminaisons de solidités qui comportent une force d’action que vous supprimez dans vos théorèmes, ce qui les rend faux par rapport aux corps pris dans leur entier ; de là cette constante destruction de tous les monuments humains que vous armez, à votre insu, de propriétés agissantes. La nature n’a que des corps, votre science n’en combine que les apparences. Aussi la nature donne-t-elle à chaque pas des démentis à toutes vos lois : trouvez-en une seule qui ne soit désapprouvée par un fait ? Les lois de votre Statique sont souffletées par mille accidents de la physique, car un fluide renverse les plus pesantes montagnes, et vous prouve ainsi que les substances les plus lourdes peuvent être soulevées par des substances impondérables. Vos lois sur l’Acoustique et l’Optique sont annulées par les sons que vous entendez en vous-mêmes pendant le sommeil et par la lumière d’un soleil électrique dont les rayons vous accablent souvent. Vous ne savez pas plus comment la lumière se fait intelligence en vous que vous ne connaissez le procédé simple et naturel qui la change en rubis, en saphir, en opale, en émeraude au cou d’un oiseau des Indes, tandis qu’elle reste grise et brune sur celui du même oiseau vivant sous le ciel nuageux de l’Europe, ni comment elle reste blanche ici au sein de la nature polaire. Vous ne pouvez décider si la couleur est une faculté dont sont doués les corps, ou si elle est un effet produit par l’affusion de la lumière. Vous admettez l’amertume de la mer sans avoir vérifié si la mer est salée dans toute sa profondeur. Vous avez reconnu l’existence de plusieurs substances qui traversent ce que vous croyez être le vide ; substances qui ne sont saisissables sous aucune des formes affectées par la matière, et qui se mettent en harmonie avec elle malgré tous les obstacles. Cela étant, vous croyez aux résultats obtenus par la Chimie, quoiqu’elle ne sache encore aucun moyen d’évaluer les changements opérés par le flux ou par le reflux de ces substances qui s’en vont ou viennent à travers vos cristaux et vos machines sur les filons insaisissables de la chaleur ou de la lumière, conduites, exportées par les affinités du métal ou du silex vitrifié. Vous n’obtenez que des substances mortes d’où vous avez chassé la force inconnue qui s’oppose à ce que tout se décompose ici-bas, et dont l’attraction, la vibration, la cohésion et la polarité ne sont que des phénomènes. La vie est la pensée des corps ; ils ne sont, eux, qu’un moyen de la fixer, de la contenir dans sa route ; si les corps étaient des êtres vivants par eux-mêmes, ils seraient cause et ne mourraient pas. Quand un homme constate les résultats du mouvement général que se partagent toutes les créations suivant leur faculté d’absorption, vous le proclamez savant par excellence, comme si le génie consistait à expliquer ce qui est. Le génie doit jeter les yeux au delà des effets ! Tous vos savants riraient, si vous leur disiez : « Il est des rapports si certains entre deux êtres dont l’un serait ici, l’autre à Java, qu’ils pourraient au même instant éprouver la même sensation, en avoir la conscience, s’interroger, se répondre sans erreur ! » Néanmoins il est des substances minérales qui témoignent de sympathies aussi lointaines que celles dont je parle. Vous croyez à la puissance de l’électricité fixée dans l’aimant, et vous niez le pouvoir de celle que dégage l’âme. Selon vous, la lune, dont l’influence sur les marées vous paraît prouvée, n’en a aucune sur les vents, ni sur la végétation, ni sur les hommes ; elle remue la mer et ronge le verre, mais elle doit respecter les malades ; elle a des rapports certains avec une moitié de l’humanité, mais elle ne peut rien sur l’autre. Voilà vos plus riches certitudes. Allons plus loin ! Vous croyez à la Physique ? Mais votre physique commence comme la religion catholique, par un acte de foi. Ne reconnaît-elle pas une force externe, distincte des corps, et auxquels elle communique le mouvement ?