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Là où vous voyez des corps, moi je vois des forces qui tendent les unes vers les autres par un mouvement générateur. Pour moi, le caractère des corps est l’indice de leurs principes et le signe de leurs propriétés. Ces principes engendrent des affinités qui vous échappent et qui sont liées à des centres. Les différentes espèces où la vie est distribuée, sont des sources incessantes qui correspondent entre elles. À chacune sa production spéciale. L’homme est effet et cause ; il est alimenté, mais il alimente à son tour. En nommant Dieu le créateur, vous le rapetissez ; il n’a créé, comme vous le pensez, ni les plantes, ni les animaux, ni les astres ; pouvait-il procéder par plusieurs moyens ? n’a-t-il pas agi par l’unité de composition ? Aussi, a-t-il donné des principes qui devaient se développer, selon sa loi générale, au gré des milieux où ils se trouveraient. Donc, une seule substance et le mouvement ; une seule plante, un seul animal, mais des rapports continus. En effet, toutes les affinités sont liées par des similitudes contiguës, et la vie des mondes est attirée vers des centres par une aspiration affamée, comme vous êtes poussés tous par la faim à vous nourrir. Pour vous donner un exemple des affinités liées à des similitudes, loi secondaire sur laquelle reposent les créations de votre pensée ; la musique, art céleste, est la mise en œuvre de ce principe : n’est-elle pas un ensemble de sons harmoniés par le Nombre ? Le son n’est-il pas une modification de l’air, comprimé, dilaté, répercuté ? Vous connaissez la composition de l’air : azote, oxygène et carbone.

Comme vous n’obtenez pas de son dans le vide, il est clair que la musique et la voix humaine sont le résultat de substances chimiques organisées qui se mettent à l’unisson des mêmes substances préparées en vous par votre pensée, coordonnées au moyen de la lumière, la grande nourrice de votre globe : avez-vous pu contempler les amas de nitre déposés par les neiges, avez-vous pu voir les décharges de la foudre, et les plantes aspirant dans l’air les métaux qu’elles contiennent, sans conclure que le soleil met en fusion et distribue la subtile essence qui nourrit tout ici-bas ? Comme l’a dit Swedenborg, la terre est un homme ! Vos sciences actuelles, ce qui vous fait grands à vos propres yeux, sont des misères auprès des lueurs dont sont inondés les Voyants.

Cessez, cessez de m’interroger, nos langages sont différents. Je me suis un moment servi du vôtre pour vous jeter un éclair de foi dans l’âme, pour vous donner un pan de mon manteau, et vous entraîner dans les belles régions de la Prière. Est-ce à Dieu de s’abaisser à vous ? n’est-ce pas vous qui devez vous élever à lui ? Si la raison humaine a sitôt épuisé l’échelle de ses forces en y étendant Dieu pour se le démontrer sans y parvenir, n’est-il pas évident qu’il faut chercher une autre voie pour le connaître ? Cette voie est en nous-mêmes. Le Voyant et le Croyant trouvent en eux des yeux plus perçants que ne le sont les yeux appliqués aux choses de la terre et aperçoivent une Aurore.

Entendez cette vérité ? vos sciences les plus exactes, vos méditations les plus hardies, vos plus belles Clartés sont des Nuées. Au-dessus, est le Sanctuaire d’où jaillit la vraie lumière.

Elle s’assit et garda le silence, sans que son calme visage accusât la plus légère de ces trépidations dont sont saisis les orateurs après leurs improvisations les moins courroucées.

Wilfrid dit à monsieur Becker, en se penchant vers son oreille :

— Qui lui a dit cela ?

— Je ne sais pas, répondit-il.

— Il était plus doux sur le Falberg, se disait Minna.

Séraphîta se passa la main sur les yeux et dit en souriant :

— Vous êtes bien pensifs, ce soir, messieurs. Vous nous traitez, Minna et moi, comme des hommes à qui l’on parle politique ou commerce, tandis que nous sommes de jeunes filles auxquelles vous devriez faire des contes en prenant le thé, comme cela se pratique dans nos veillées de Norwége. Voyons, monsieur Becker, racontez-moi quelques-unes des Saga que je ne sais pas ? Celle de Frithiof, cette chronique à laquelle vous croyez et que vous m’avez promise. Dites-nous cette histoire où le fils d’un paysan possède un navire qui parle et qui a une âme ? Je rêve de la frégate Éllida ! N’est-ce pas sur cette fée à voiles que devraient naviguer les jeunes filles ?

— Puisque nous revenons à Jarvis, dit Wilfrid dont les yeux s’attachaient à Séraphîta comme ceux d’un voleur caché dans l’ombre s’attachent à l’endroit où gît le trésor, dites-moi, pourquoi vous ne vous mariez pas ?

— Vous naissez tous veufs ou veuves, répondit elle, mais mon mariage était préparé dès ma naissance, et je suis fiancée…

— À qui ? dirent-ils tous à la fois.

— Laissez-moi mon secret, dit-elle. Je vous promets, si notre père le veut, de vous convier à ces noces mystérieuses.

— Sera-ce bientôt ?

— J’attends.

Un long silence suivit cette parole.

— Le printemps est venu, dit Séraphîta, le fracas des eaux et des glaces rompues commence, ne venez-vous pas saluer le premier printemps d’un nouveau siècle ?

Elle se leva suivie de Wilfrid, et ils allèrent ensemble à une fenêtre que David avait ouverte. Après le long silence de l’hiver, les grandes eaux se remuaient sous les glaces et retentissaient dans le Fiord comme une musique, car il est des sons que l’espace épure et qui arrivent à l’oreille comme des ondes pleines à la fois de lumière et de fraîcheur.

— Cessez, Wilfrid, cessez d’enfanter de mauvaises pensées dont le triomphe vous serait pénible à porter. Qui ne lirait vos désirs dans les étincelles de vos regards ?

Soyez bon, faites un pas dans le bien ? N’est-ce pas aller au delà de l’ aimer des hommes que de se sacrifier complétement au bonheur de celle qu’on aime ? Obéissez-moi, je vous mènerai dans une voie où vous obtiendrez toutes les grandeurs que vous rêvez, et où l’amour sera vraiment infini.