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Il montait, recevait de cercle en cercle un don nouveau ; puis le signe de son élection se transmettait à la sphère supérieure où il montait toujours purifié.

Aucune des voix ne se taisait, l’hymne se propageait dans tous ses modes.

« Salut à qui monte vivant ! Viens, fleur des Mondes ! Diamant sorti du feu des douleurs ! perle sans tache, désir sans chair, lien nouveau de la terre et du ciel, sois lumière ! Esprit vainqueur, Reine du monde, vole à ta couronne ! Triomphateur de la terre, prends ton diadème ! Sois à nous ! »

Les vertus de l’Ange reparaissaient dans leur beauté.

Son premier désir du ciel reparut gracieux comme une verdissante enfance.

Comme autant de constellations, ses actions le décorèrent de leur éclat.

Ses actes de foi brillèrent comme l’Hyacinthe du ciel, couleur du feu sidéral.

La Charité lui jeta ses perles orientales, belles larmes recueillies !

L’Amour divin l’entoura de ses roses, et sa Résignation pieuse lui enleva par sa blancheur tout vestige terrestre.

Aux yeux de Wilfrid et de Minna, bientôt il ne fut plus qu’un point de flamme qui s’avivait toujours et dont le mouvement se perdait dans la mélodieuse acclamation qui célébrait sa venue au ciel.

Les célestes accents firent pleurer les deux bannis.

Tout à coup un silence de mort, qui s’étendit comme un voile sombre de la première à la dernière sphère, plongea Wilfrid et Minna dans une indicible attente.

En ce moment, le Séraphin se perdait au sein du Sanctuaire où il reçut le don de vie éternelle.

Il se fit un mouvement d’adoration profonde qui remplit les deux Voyants d’une extase mêlée d’effroi.

Ils sentirent que tout se prosternait dans les Sphères Divines, dans les Sphères Spirituelles et dans les Mondes de Ténèbres.

Les Anges fléchissaient le genou pour célébrer sa gloire, les Esprits fléchissaient le genou pour attester leur impatience ; on fléchissait le genou dans les abîmes en frémissant d’épouvante.

Un grand cri de joie jaillit comme jaillirait une source arrêtée qui recommence ses milliers de gerbes florissantes où se joue le soleil en parsemant de diamants et de perles les gouttes lumineuses, à l’instant où le Séraphin reparut flamboyant et cria :

— ÉTERNEL ! ÉTERNEL ! ÉTERNEL !

Les univers l’entendirent et le reconnurent ; il les pénétra comme Dieu les pénètre, et prit possession de l’infini.

Les Sept mondes divins s’émurent à sa voix et lui répondirent. En ce moment il se fit un grand mouvement comme si des astres entiers purifiés s’élevaient en d’éblouissantes clartés devenues éternelles.

Peut-être le Séraphin avait-il reçu pour première mission d’appeler à Dieu les créations pénétrées par la parole ?

Mais déjà l’ALLELUIA sublime retentissait dans l’entendement de Wilfrid et de Minna, comme les dernières ondulations d’une musique finie.

Déjà les lueurs célestes s’abolissaient comme les teintes d’un soleil qui se couche dans ses langes de pourpre et d’or.

L’Impur et la Mort ressaisissaient leur proie.

En rentrant dans les liens de la chair, dont leur esprit avait momentanément été dégagé par un sublime sommeil, les deux mortels se sentaient comme au matin d’une nuit remplie par de brillants rêves dont le souvenir voltige en l’âme, mais dont la conscience est refusée au corps, et que le langage humain ne saurait exprimer.

La nuit profonde dans les limbes de laquelle ils roulaient était la sphère où se meut le soleil des mondes visibles.

— Descendons là-bas, dit Wilfrid à Minna.

— Faisons comme il a dit, répondit-elle. Après avoir vu les mondes en marche vers Dieu, nous connaissons le bon sentier. Nos diadèmes d’étoiles sont là-haut.

Ils roulèrent dans les abîmes, rentrèrent dans la poussière des mondes inférieurs, virent tout à coup la Terre comme un lieu souterrain dont le spectacle leur fut éclairé par la lumière qu’ils rapportaient en leur âme et qui les environnait encore d’un nuage où se répétaient vaguement les harmonies du ciel en se dissipant. Ce spectacle était celui qui frappa jadis les yeux intérieurs des Prophètes. Ministres des religions diverses, toutes prétendues vraies, Rois tous consacrés par la Force et par la Terreur, Guerriers et Grands se partageant mutuellement les Peuples, Savants et Riches au-dessus d’une foule bruyante et souffrante qu’ils broyaient bruyamment sous leurs pieds ; tous étaient accompagnés de leurs serviteurs et de leurs femmes, tous étaient vêtus de robes d’or, d’argent, d’azur, couverts de perles, de pierreries arrachées aux entrailles de la Terre, dérobées au fond des Mers, et pour lesquelles l’Humanité s’était pendant long-temps employée, en suant et blasphémant. Mais ces richesses et ces splendeurs construites de sang furent comme de vieux haillons aux yeux des deux Proscrits. — Que faites-vous ainsi rangés et immobiles ? leur cria Wilfrid. Ils ne répondirent pas. — Que faites-vous ainsi rangés et immobiles ? Ils ne répondirent pas. Wilfrid leur imposa les mains en leur criant :

— Que faites-vous ainsi rangés et immobiles ? Par un mouvement unanime, tous entr’ouvrirent leurs robes et laissèrent voir des corps desséchés, rongés par des vers, corrompus, pulvérisés, travaillés par d’horribles maladies.

— Vous conduisez les nations à la mort, leur dit Wilfrid. Vous avez adultéré la terre, dénaturé la parole, prostitué la justice. Après avoir mangé l’herbe des pâturages, vous tuez maintenant les brebis ? Vous croyez-vous justifiés en montrant vos plaies ? Je vais avertir ceux de mes frères qui peuvent encore entendre la Voix, afin qu’ils puissent aller s’abreuver aux sources que vous avez cachées.

— Réservons nos forces pour prier, lui dit Minna ; tu n’as ni la mission des Prophètes, ni celle du Réparateur, ni celle du Messager. Nous ne sommes encore que sur les confins de la première sphère, essayons de franchir les espaces sur les ailes de la prière.

— Tu seras tout mon amour !

— Tu seras toute ma force !

— Nous avons entrevu les Hauts Mystères, nous sommes l’un pour l’autre le seul être ici-bas avec lequel la joie et la tristesse soient compréhensibles ; prions donc, nous connaissons le chemin, marchons.

— Donne-moi la main, dit la Jeune Fille, si nous allons toujours ensemble, la voie me sera moins rude et moins longue.

— Avec toi, seulement, répondit l’Homme, je pourrai traverser la grande solitude, sans me permettre une plainte.

— Et nous irons ensemble au Ciel, dit-elle.

Les nuées vinrent et formèrent un dais sombre. Tout à coup, les deux amants se trouvèrent agenouillés devant un corps que le vieux David défendait contre la curiosité de tous, et qu’il voulut ensevelir lui-même.

Au dehors, éclatait dans sa magnificence le premier été du dix-neuvième siècle.

Les deux amants crurent entendre une voix dans les rayons du soleil. Ils respirèrent un esprit céleste dans les fleurs nouvelles, et se dirent en se tenant par la main :

— L’immense mer qui reluit là-bas est une image de ce que nous avons vu là-haut.

— Où allez-vous ? leur demanda monsieur Becker.

— Nous voulons aller à Dieu, dirent-ils, venez avec nous, mon père ?

Genève et Paris, décembre 1833 — novembre 1835.