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Je cherche les « T ».

Il y en a toute une séquelle. Mais je ne dégauchis pas de Tone. J’éprouve un choc au battant. Mon copain Alexandre se serait-il gouré ?

J’appelle Grace et je lui dis de téléphoner au garage Excelsior de Northampton.

— C’est toi, Alexandre ?

Il reconnaît ma voix illico.

— Commissaire ! Alors, qu’est-ce qui t’arrive ? La guimbarde est en panne ?

— Non. C’est moi qui suis en panne. Je ne trouve pas de Tone, dans l’annuaire du téléphone de Bath.

— Sans rire ? Pourtant je suis certain du blaze ; plus je gamberge à ça plus je sais que je ne me trompe pas.

— Peut-être que le zig n’a pas de bignou. Tu ne te souviens pas de l’adresse exacte ?

— Tu me prends pour Inaudi, sans blague !

— Tu sais, c’est grand, Bath… C’est grand et c’est moche !

— C’était peut-être en meublé qu’il habitait, le copain… Et pourtant un type qui habite en meublé n’a pas des bobines de voiture à prêter à ses copains ; tu devrais voir dans les garages…

— Il n’y avait pas le mot garage dans l’adresse ?

— Ça non, j’en suis sûr !

Je soupire :

— Eh bien ! ma foi, je vais voir. Je tenais simplement à t’entendre confirmer ta certitude de ne pas faire erreur…

Alexandre, c’est le type des illuminations de dernière seconde.

Comme je vais raccrocher, il brame :

— Attends !

— T’as une idée ?

— Oui… Je parie que tu as cherché dans les T, non ?

— Et alors, s’il s’appelle Tone ?

— Ça vient de l’accent anglais, faut croire que je l’ai maintenant. Ça se prononce Tone mais ça s’écrit Stone… Stone veut dire caillou. Tu entraves ? Caillou Bath, j’avais retenu ça parce que c’était amusant.

Je n’en écoute pas davantage. Je raccroche si vivement que le déclic doit lui perforer le tympan.

Je ne trouve pas de Tone, mais alors, cette fois, des Stone, j’en ai à ne savoir qu’en faire. Si vous en avez besoin, ne vous gênez pas et profitez de l’occase : je les brade ! Quatorze en tout !

Avec ça je suis beau… Je ne sais pas par quel bout les attraper.

Je réfléchis un brin ; et je décide de les contacter par téléphone, d’abord parce que ça ira plus vite, ensuite parce que le couple que nous formons, Grace et moi, doit avoir l’air bizarre.

Je donne mes instructions à la pépée et je lui prends une douzaine de jetons.

Le numéro commence.

À chaque correspondant, elle demande s’il est M. Stone. Lorsqu’elle a l’intéressé, elle lui dit qu’elle l’appelle de la part d’Higgins.

Les gonzes demandent qui est Higgins ou lui font répéter le nom.

Elle donne un hâtif signalement de l’homme aux cheveux gris et mentionne l’Hillmann rouge. Quand elle est bien sûre que le Stone du moment ne connaît pas le locataire du sinistre pavillon, elle s’excuse et raccroche.

Le manège dure un bon bout de temps au huitième, un zig à la voix nasillarde (je tiens l’écouteur) demande qui est à l’appareil.

— Une amie d’Higgins. Je voudrais vous voir.

— Pourquoi ?

— C’est privé.

— C’est bon, arrivez !

Lorsqu’elle m’a traduit ces quelques répliques, je jubile vachement.

Remarquez que je me fais une fausse joie sans doute, mais j’aime bien avoir du nouveau dans une enquête, c’est, au fond, comme une maison que l’on construit moellon par moellon.

Nous voilà partis.

Cette affaire nécessite une sacrée bougeotte, vous ne trouvez pas ?

Le Stone qui connaît Higgins se prénomme Arthur. C’est joli sur une plaque de cuivre ; ça fait noblesse déchue.

J’appuie sur le timbre.

L’immeuble est confortable. Un domestique au gilet rayé vient nous ouvrir.

— Nous sommes attendus, lui dit Grace.

L’autre s’incline.

Quatre minutes plus tard, après une courte halte dans une antichambre somptueuse, le larbin nous introduit dans un bureau un tout petit peu plus grand que le Cirque d’Hiver.

Un vieil homme chauve se tient derrière un secrétaire d’acajou. Il nous regarde d’un air surpris.

— Parlez-vous français ? je questionne à bout portant.

— Oui, me dit-il sans sourciller. Pourrais-je savoir à qui j’ai affaire ?

Son français est impeccable, avec une imperceptible pointe d’accent toutefois.

— Je suis le commissaire San-Antonio, des services secrets français.

— Très heureux. Mais je ne vois pas…

Il nous désigne deux chaises perdues dans l’immensité de la pièce comme deux petites nébuleuses au milieu de la voie lactée.

— Je m’intéresse à un certain Higgins, lequel compte parmi vos relations, si je ne m’abuse…

— Une très vague relation, rectifie Stone.

Son visage paraît sculpté dans du buis. Il en a la couleur et aussi, dirait-on, la dureté.

— Il y a longtemps que vous le connaissez ?

— Fort peu de temps…

— Parlez-moi de lui, voulez-vous ?

— Eh bien ! je dirige une petite compagnie de navigation. Il est venu me trouver au sujet d’un transport de bois…

— Quel genre de transport ? Quelle sorte de bois ?

L’autre ne répond pas tout de suite. Il tire une paire de lunettes de sa poche et l’assujettit sur son nez. Puis il contemple Grace d’un œil critique.

— Mademoiselle vous accompagne en qualité de ?… demande-t-il.

— D’interprète, fais-je, en évoquant fugitivement la belle partie de jambes en l’air de l’après-midi.

« L’ignardise de la police française est proverbiale, poursuis-je. Je ne parle aucune langue étrangère, sinon l’argot de Montmartre ! »

L’explication paraît le satisfaire.

Pourquoi ai-je l’impression qu’il n’a créé cette diversion que pour se donner le temps de réfléchir ?

— Et pourquoi ne puis-je m’empêcher de songer qu’il est chef de compagnie de navigation et que…

— Higgins voulait ramener du bois des îles en Angleterre. Il est venu me trouver à ce sujet. Il m’a donné peu de précisions. L’affaire paraissait bien amorcée mais je suis sans nouvelles de lui.

— Vous lui avez prêté une bobine à huile pour sa voiture ?

Il fronce le sourcil.

— Oh ! oui… Il était en panne, je lui ai dit d’aller à mon garage car j’ai un garage qui assure le transport par voie de terre des marchandises importées…

— Et il a retourné cette bobine au garage ?

— Non, nous l’avons reçue ici, sans doute n’avait-il pas d’autre adresse. Mais que diable cette histoire de bobine vient-elle faire dans tout cela, commissaire ?

Je souris.

— C’est par elle que j’ai pu vous joindre…

— Comment cela ?

— Permettez-moi de vous dire que ceci relève du secret professionnel.

Stone s’incline.

— Pouvez-vous me donner l’adresse de cet Higgins ?

— Comment ! Vous ne l’avez pas ?

— J’ai son adresse à Northampton, mais j’aimerais savoir sa nouvelle.

— Je l’ignore. Il y a un certain temps que je ne l’ai vu.

— Et il ne vous a rien dit qui puisse me mettre sur la voie ?

Il réfléchit ou fait mine de réfléchir.

— Non, rien !

— Alors, n’en parlons plus…

Je me lève et fait signe à Grace que nous allons lever le siège.

— Il ne me reste plus qu’à m’excuser, monsieur Stone, pour avoir abusé de votre temps qui doit être précieux. Le temps des hommes d’affaires est toujours terriblement précieux et j’ai scrupule à le leur faire perdre.