Выбрать главу

Enfin, les bourdilles d’ici rappliquent. L’un d’eux parle le français. Je décline mon identité, j’allonge le blaze de l’inspecteur Brandon comme référence et je dis que je me tiens à leur disposition si besoin est…

Je demande au policier de se faire donner par le barman un signalement précis du mec qui est entré derrière nous vider un godet. C’est cette salope qui nous a versé sa jouvence. Sans la maladresse du garçon, à l’heure qu’il est, votre petit copain San-Antonio serait sur le macadam, aux côtés de la môme Grace, bien raide, bien pâlichon… Et pour ce qui est de la fin de l’enquête, vous auriez dû vous reporter à votre romancier habituel…

Le policier questionne le serveur.

— L’homme qui est entré est assez jeune. Il était blond… Vêtu en bleu.

— Et il portait un gilet en daim marron, non ?

Le policier sollicite ce complément de signalement.

— C’est exact, dit-il. Vous le connaissez ?

— Non…

Je porte la main à mon chapeau et, après un dernier regard à Grace, je quitte ce funeste troquet.

Un boxeur amateur qui descend du ring après avoir essuyé quinze rounds contre le champion du monde de sa catégorie n’est pas plus flottant que je ne le suis.

J’ai les tiges en aluminium. Je me sens tout creux et une vague envie de dégueuler me triture les tripes.

Cette fois, la guerre est déclarée… Si l’on examine les choses de très près — et froidement — on peut même dire que ce meurtre et cette tentative de meurtre ont du bon, au point de vue de l’enquête. Surtout, ne sautez pas ! J’ai raison ; et je vais vous le prouver sur-le-champ : voyons, si le jeune homme blond qui est un des personnages de mon histoire, un des personnages insaisissables, se manifeste pour tenter de me buter, c’est qu’il estime que je deviens dangereux, si je deviens dangereux c’est que je brûle…

Seulement comment sait-il que j’existe, ce brave garçon ?

Tout bonnement parce qu’au cours de ces deux jours, j’ai interrogé quelqu’un qui était en cheville avec lui.

Je fais une revue de mon activité…

En quarante-huit heures je n’ai pas perdu mon temps et j’ai vu pas mal de gens : le patron du « Lion Couronné », la mère Fig, le pharmacien, le garagiste, l’accidenté, Stone…

Oui, on peut dire que ma visite au pays de la royauté a été bien employée.

Je m’ébroue un bon coup.

— Et, comme toujours dans les cas sérieux, je me convoque pour un sermon bien venu :

« Écoute, mon gars San-Antonio. Les choses sont embrouillées. Tu travailles en plein cirage dans une contrée débectante. Tu le fais pour toi seul, car tu n’as pas d’ordres pour agir comme tu le fais. C’est un luxe que tu te paies. Simplement, le mystère te chiffonne et tu fonces dessus comme un taureau fonce sur un chiffon rouge. D’accord, les taureaux ne sont pas des cérébraux, mais le Bon Dieu les a faits comme ça… Alors, mon gentil petit homme, tu vas serrer les dents, serrer les poings, serrer… Enfin, serrer tout ce qu’il faudra et tu vas te démerder de liquider cette affaire. Oublie ce coup dur qu’est la mort de Grace ; oublie ce pays triste, son brouillard, ses mystères… Va de l’avant… »

Je suis remonté dans la tire d’Alexandre tout en m’adressant cette exhortation.

« Non, ça n’est pas seulement pour ma satisfaction personnelle que j’agis de la sorte. C’est surtout parce que j’ai encore dans les oreilles les dernières paroles d’Emmanuel Rolle : « Je suis innocent ! »

« Il a tenu le coup… Même à moi, il n’a rien voulu dire.

« Et puis, il a eu la petite cagoule noire sur le visage, lorsqu’il a senti la corde sur ses épaules…

« S’il était innocent, pourquoi s’est-il chargé d’un meurtre qu’il n’avait pas commis ? »

Je débraye. Un facteur rentre chez lui, les mains aux poches.

— Hé ! Postman !

Il s’arrête, cherche autour de lui, puis, m’ayant aperçu s’avance vers la voiture.

— Yes, sir ?

Comment vais-je m’y prendre ?

— Please, the road of Bristol, please ?

Je pimente avec ces please la carence de mon vocabulaire.

Il m’indique le chemin à suivre.

— Merci…

Je quitte enfin Bath…

Une grande route noire où s’effilochent des écharpes de brume !

La lumière blonde des phares me fait penser aux cheveux d’or de Grace… Bon Dieu ! Jamais une souris m’est entrée dans le crâne à ce point.

J’ai pas encore bien réalisé sa mort. Je ne peux pas me figurer que ça y est ! Je l’ai tuée indirectement… Quelle idée aussi de trimbaler une gonzesse dans le turf ? C’est vrai qu’elle aimait ça et qu’elle me servait d’interprète… C’était le prétexte que je me donnais…

Si le zig au gilet de daim me tombe dans les pattes, parole de poulet, il la sentira passer !

« COMPAGNIE MARITIME STONE »

Oh ! bien entendu, c’est écrit autrement mais c’est du moins la traduction de l’immense enseigne en caractères de marbre qui surmonte une vaste vitrine dans laquelle se trouve toute une flottille en réduction.

Je vais un peu plus loin, remiser ma bagnole. Puis, à pas lents je reviens aux Messageries Stone. La rue est obscure, le brouillard a remplacé la pluie. Minuit à sonné il y a un bon moment déjà… Minuit, l’heure du crime ! Tu parles !

Je renouche autour de moi : rien ! Ce coin de Bristol paraît vide comme la poche d’un contribuable.

Alors, que voulez-vous, j’oublie les leçons du chef et je sors mon ouvre-boîte particulier, celui qui met K.O. les serrures les plus prétentieuses.

En deux temps et trois mouvements il y a une effraction de plus à ajouter à mon palmarès. Me voilà dans la place. Et pour y branler quoi, juste ciel ?

Vous cassez pas le bol, je marche de plus en plus au pifomètre. Le nez, c’est mon radar à moi ; presque mon subconscient… Je le suis en fermant les yeux afin de repousser le vertige. Jusqu’ici il m’a fait traverser de sales coins, mais il m’a toujours conduit là où je voulais aller comme un cheval d’ivrogne qui ramène son maître à la maison.

J’ai trouvé dans la niche du tableau de bord de la voiture une lampe électrique. Une fois rentré, je referme la porte, tire le verrou et vais à tâtons au fond du vaste hall. Parvenu là, je mets la lampe dans ma chemise et l’allume. La petite tache orangée qui paraît sortir de ma carcasse me permet de découvrir une porte. Je la pousse, elle dit non. Mais mon Sésame est là pour la faire changer d’avis.

La petite porte communique avec un couloir sur lequel ouvrent plusieurs autres portes.

J’extrais la lampe de mon giron et j’en promène le faisceau autour de moi.

C’est l’administration dans toute sa splendeur. L’administration privée, si j’ose dire… Privée et luxueuse. Le sol est recouvert d’une moquette plus épaisse que le Bottin de Paris. Avec ça, inutile de marcher sur la pointe des pieds ! Vous pourriez faire défiler la cavalcade de Barnum sans réveiller les voisins !

Je pousse les portes. Elles s’ouvrent toutes et laissent voir un univers de bureaux et de classeurs… Aucun intérêt… Je les referme les unes après les autres et je poursuis mes investigations.

Ce que je viens chercher ?

Oh ! tonnerre, me brisez pas les claouis ! Si je le savais seulement.