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— Oh ! fais-je, un compatriote… Ça fait rudement plaisir d’entendre parler sa langue maternelle… C’est brusquement comme si le clocher de mon village venait me rendre une visite de politesse.

Il hausse les épaules…

— Le clocher de ton village va te sonner les cloches, poulet…

— Allons, trésor, ne te fâche pas…

— Garde tes petits mots pour amadouer le diable, dit-il…

Il avance légèrement le bras pour me plomber.

— Non, intervient Stone… Pas ici… Il y aurait du sang et de la cervelle partout, rien n’est plus écœurant…

— Merci, Mr Stone, fais-je. Vous êtes bien aimable…

Son sens de l’hygiène et de la propreté prolonge ma gentille existence de quelques instants. Quelques instants ne sont pas à dédaigner, surtout lorsqu’il s’agit des derniers.

L’autre ramène son feu contre sa hanche, mais l’orifice noir ne me perd pas de vue pour autant…

— Comment êtes-vous arrivé ici ? questionne Stone.

— Vous n’avez jamais entendu parler du petit doigt ? Explique-lui, toi, le mitrailleur…

— Répondez ! intime Stone.

Il enchaîne :

— Comment avez-vous trouvé la combinaison de ce coffre ?

— Devinez ?

Maintenant il ne s’agit plus d’ergoter… Je dois gagner du temps coûte que coûte si je veux sauver mes os. En un temps record je fais un tour d’horizon…

Stone est à la tête d’un trafic important de stupéfiants. Ma visite de tantôt lui a filé les copaux et il s’est dit que je devais aller engraisser les asticots au plus vite. Alors il a attaché à mes pas le gars au gilet de daim (dont il ne savait pas que je connaissais l’existence) avec mission de m’envoyer le potage à la première occase.

À cet instant, ma mort était décidée à titre, si l’on peut dire, préventif.

Seulement, depuis qu’elle a raté, il est intervenu un fait capital : j’ai découvert le stock de neige et j’ai su ouvrir le coffre, Stone ne peut plus laisser exécuter un gars détenteur de ce secret avant de savoir d’où il sort… Ce serait de la dernière imprudence…

Donc, si je la boucle et si je suis capable de planquer le bouton, j’ai une chance de me prolonger et, qui sait, de m’en sortir…

Pourvu que Stone comprenne bien tout cela…

— Je ne sais pas si vous réalisez très bien la situation, dit-il ; mais l’heure n’est plus aux plaisanteries stupides. Vous allez parler, et parler vite… Et tout nous dire…

— Oh ! Mr Stone, fais-je, connaissez-vous la France ?

— Vous dites ?

— Vous savez que la cuisine française est la meilleure du monde ?

— Que signifie ?

— Enfin, vous me demandez de vous parler, je vous parle…

Il blêmit ; ses doigts noueux se crispent.

— C’est un malin, dit le garçon blond… Je savais pas que les poulets étaient aussi futés. Jusqu’ici, tous ceux que j’ai mis en l’air avaient une cervelle dure comme une bordure de trottoir…

« Et puis d’abord, reprend-il, qu’est-ce que tu fous ici ? Un poulet français, c’est fait pour emmerder les gens de France… »

— Suppose que j’aime les voyages….

Du moment qu’on bavarde, y a du bon. Je me suis toujours sorti des situations périlleuses lorsqu’on se mettait à tailler une bavette, les types qui voulaient me dessouder et moi.

Si vous saviez comme j’ai l’œil… Je me dis, par exemple, que le soufflant du gars pèse dans les deux kilos et qu’on se fatigue de tenir deux kilos trop longtemps…

De fait, insensiblement le canon de l’arme s’abaisse tandis que le garçon blond discute le bout de gras.

Mine de rien, je fais une rapide évaluation. Elle me conduit à penser que si le zig pressait la détente de son feu, la balle ne risquerait guère de m’atteindre que les cannes, ce qui n’est pas rigoureusement mortel…

Je remercie le ciel d’avoir choisi comme chaussures des mocassins noirs ; c’est-à-dire des pompes qu’on peut ôter sans avoir à les délacer. Je fais mine d’être fatigué de ma position debout et je me mets à danser d’un pied sur l’autre. En réalité, ce manège a pour but de me permettre de dégager mon pied gauche. Lorsque la godasse ne tient plus à ma personne que par le coup de pied, je murmure…

— Allons, les gars, on ne va pas se tirer la bourre pendant mille ans ! On va faire un petit marché : je vous dis tout et vous me laissez la vie sauve, c’est d’accord ?

Les deux hommes se regardent.

— C’est d’accord, décide Stone.

Il a la voix aussi innocente que celle du gars qui vend sa petite sœur pour pouvoir s’offrir un costume neuf. Faudrait être un lardon de cinq piges pour s’y laisser prendre !

Mais je fais mine d’encaisser ses salades comme argent comptant.

— Eh bien ! voilà, fais-je.

Je shoote puissamment en assujettissant bien mon coup. Ma godasse quitte mon pinceau et décrit une brève trajectoire qui la conduit droit sur la pommette du mec blond…

Ce dernier pousse un juron qui doit réveiller les naturels du Congo. Il tire au jugé, tout en levant son arme en un geste de parade et la balle siffle à mes oreilles.

Je ne perds pas mon temps, je vous jure. Tant pis pour le revolver et son stock de valdas. Je décris un bond qui laisserait baba un léopard diplômé de l’académie des sports et j’atterris en plein dans le buffet de mon mitrailleur. La collision lui fait pousser un « Aah ! » terrifiant. Un nouveau saut et me voilà à pieds joints sur un beau gilet. Ça représente près de deux cents livres et vous conviendrez que ça se pose un peu là en fait de cataplasme.

L’oxygène se taille de ses poumons comme les rats d’un grenier en flammes. Ça fait un petit bruit rigolo de pneus crevés… Ma rage est telle que je ne me sens plus. Je lui refile un coup de talon dans le pif, un autre sur la tempe. Bref, le petit gars ne se souvient bientôt plus s’il est Ramsès II ou le petit lord Fauntleroy.

Je ponctue chacun de mes coups d’une exclamation qui fouette mon énergie.

— Tiens, vache ! Tiens, ordure ! Tiens, pourri !

Il geint :

— Non, non ! Arrêtez, pardon…

Puis il ne geint plus du tout…

Un filet de sang coule de son blair, un autre lui sort de l’oreille. Ses yeux ressemblent à ceux de ces lièvres qu’on voit à l’étalage des marchands de venaison.

— Tu as ton compte, hein, ma carne ? je lui demande…

Mais je n’attends pas la réponse…

Presto je me baisse pour ramasser le soufflant.

Je n’ai pas besoin de me relever. Ici, c’est une maison où l’on vous facilite le boulot. Je prends un de ces gnons sur la théière qui compte dans la vie d’un flic…

Je pige que le père Stone vient de prendre part aux réjouissances. Si ça n’est pas son dessus de bureau en marbre qu’il m’a téléphoné sur l’occiput, c’est un duvet de canard !

Je dodeline comme un taureau touché à mort, puis lentement je me précipite à l’avance du plancher.

Un long moment j’ai l’impression d’être allongé en pleine mer, sur un radeau pneumatique moelleux comme du Montbazillac.

La mer est bleue… Bleue à dégeuler…

Et elle danse, madame !

Je ferme les yeux et je lâche la rampe.

TROISIÈME PARTIE

CHAPITRE XI

Où il est question d’un aspirateur

J’ouvre les yeux. Sous mon cuir chevelu un moteur d’avion se déclenche aussitôt. Alors je me hâte d’abaisser mes stores.

Chose curieuse, cette sensation de tangage mou que j’éprouvais a repris et je me crois toujours sur la grande bleue…