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Mon knock-down ne dure pas, quelques secondes tout au plus, mais je comprends le parti que je peux en tirer… En effet, voyant que je tombe en digue-digue, les savateurs arrêtent le massacre.

— Il est mort ? demande Gilet-de-daim.

Une main me palpe la poitrine.

— Non, dit la voix de Stone. Il n’est qu’évanoui… Je pense que ce hors-d’œuvre lui ouvrira l’appétit et qu’il se mettra à table après ça…

Il a de l’esprit, le vieux tordu… Et le sens des métaphores par-dessus le blaud !

— Va chercher un cordial pour le remettre en état ! dit-il. Tu me rejoindras dans la cabine, nous choisirons quelques petits instruments qui le rendront bavard…

Ce mot « instrument » me fait courir le long de l’échine un grand frisson glacé. Que vont-ils inventer, ces deux fumiers, pour me forcer à l’ouvrir ?

Je suis mort de fatigue comme si j’avais accompli un exercice physique très pénible… C’en est un que de dérouiller une pareille trempe, moi je vous le dis…

J’ouvre les yeux. Ils ne sont plus là… Le pont est complètement désert. Alors j’appelle à moi mon ange gardien en lui demandant de ne pas jouer au chose. Peut-être ma bonne étoile va surgir. Elle brille toujours dans les cas désespérés… Et comme l’a dit le poète : « Les cas désespérés sont les cas les plus beaux ! »

Oui, c’est le moment d’essayer un petit coup. Tout à l’heure, lorsque le gars blond m’a repassé les poucettes, j’ai, presque instinctivement mis à profit un petit truc qui se pratique couramment dans le milieu. Ce truc en question consiste à tordre légèrement le poignet au moment où on frappe la partie mobile de la menotte dessus. De cette façon, le bracelet d’acier forme une boucle plus large. En ramenant ensuite le poignet dans sa position normale, c’est-à-dire à plat, on peut quelque fois dégager toute la main.

J’essaie de me libérer mes pognes, à tout hasard. Je suis bien décidé à tenter l’impossible…

Vous allez penser que je crois au père Noël. Non, rassurez-vous. Je ne suis pas un locdu et je sais pertinemment qu’un de ces quatre matins un pieds-plats quelconque me farcira pour de bon. Seulement, je tiens à montrer à Stone à quoi ressemble un type nommé San-Antonio lorsqu’il se fout en rogne-je m’escrime comme une mouche sur du papier collant. Je tire désespérément sur ma chaîne. Ma pauvre main décrit un effroyable mouvement de reptation, elle devient toute bleue… Mes muscles se ratatinent, mes jointures craquent… Je continue néanmoins à forcer et ma paluche se dégage. Victoire !

Victoire, très, très provisoire, mais victoire pourtant ! J’ouvre ma dextre et je la referme une douzaine de fois. Tout est O.K. Me voici libre de mes mouvements. Si je rencontre Stone il sera obligé de vider son magasin de quincaillerie sur ma petite personne pour me stopper, car je suis fermement décidé à ne plus me laisser entraver. Je fonce en avant. Je trébuche sur l’aspirateur… Mon équilibre rétabli, je lâche un regard vers le poste de pilotage. Le matelot noir garde toujours le dos tourné… Il se balance de tout, lui. C’est un gars qui vit sa vie sans s’occuper de celle des autres…

Alors, les potes, il me vient la plus riche idée qu’un homme dans ma situation ait jamais eue : constatant que cette partie du pont est toujours déserte, j’ôte ma veste, l’entortille autour de l’aspirateur et je balance le tout par-dessus bord.

Au moment où le paquet touche le bouillon, je pousse un cri et me précipite derrière une manche à air. Là, entre la manche à air et la cheminée, je suis provisoirement paré.

L’aspirateur a produit un gros plouf. Un instant, ma veste a freiné l’engloutissement de l’appareil dans le bouillonnement des flots. On jurerait qu’il s’agit bien d’un homme.

Le nègre-pilote se met à glapir dans sa cabine vitrée… Le barlu ralentit. Des cris s’élèvent, du monde radine… Il y a bientôt une alignée de types le long du bastingage. Ils se désignent une tache claire qui tournoie loin d’ici dans les profondeurs de l’eau grisâtre…

Mes deux tourmenteurs surgissent brusquement.

— Qu’est-ce qui se passe ? demande le blond…

Les matelots leur expliquent. Alors Stone a un geste de rage et commence à engueuler Gilet-de-daim qui n’a pas vérifié suffisamment la fermeture des menottes…

Mon coup a provisoirement réussi !

CHAPITRE XII

Où il est question d’une allumette

Voyez, bande de truffes, comme la vie est étrange… D’une minute à l’autre, les situations se retournent, les intrigues se nouent et se dénouent…

Lorsque je serai retiré sur mon rocher, j’écrirai un bouquin de philosophie là-dessus, et il sera tellement gros qu’on le mettra, sinon entre toutes les mains, du moins sous toutes les fesses d’enfants apprenant le piano.

Je reste immobile derrière ma manche à air… Tant que personne ne m’apercevra, tous les espoirs de salut me seront permis. Seulement, si jamais un membre de l’équipage me repère, c’en sera terminé de ma valeureuse carrière.

Les minutes s’écroulent, puis les heures… J’ai froid, immobile, et la faim me taraude l’estomac. Cela me fait comme si un rat mordait dans mon estomac à pleines dents…

Je regarde la ligne noire de l’horizon et je ne la vois pas grossir. Elle ne s’éloigne pas non plus. Non, le barlu est à une grande distance de la côte et il la suit. Sans doute Stone met-il le cap sur une autre partie de l’Angleterre ?

Bon Dieu, si le voyage s’éternise, je ne peux pourtant pas rester indéfiniment plaqué contre cet énorme tuyau ! Il faut que j’agisse. Je n’ai rien du mollusque ! Il n’y a que les moules qui se plaquent contre les coques de bateaux, pas les San-Antonio !

D’après le soleil — difficile à situer à travers les vilains nuages boursouflés — j’estime que midi approche… Je raisonne : dans peu de temps la cloche de bord sonnera pour l’heure de la bouffe. Il ne restera donc qu’un minimum d’hommes en activité. Juste ceux destinés à assurer la marche du bâtiment et le service.

En tout cas, Stone et son casseur de gueules seront à table. En somme, c’est eux que j’ai à redouter… Il n’est pas prouvé que l’équipage soit au courant de leurs petites affaires, certes, il est composé de truands, mais si je me trouvais nez à nez avec l’un d’eux, et que mon allure soit dégagée, il ne songerait sûrement pas à appeler à la garde. Il me prendrait peut-être — sur le moment en tout cas — pour un passager normal…

Je guette donc avec presque de la dévotion la sonnerie tant attendue…

Elle retentit enfin ! Quelle douce musique ! Les trompettes de la renommée ne me charmeraient pas davantage.

Je compte posément jusqu’à cent pour donner aux convives le temps de se mettre les pieds sous la nappe. Puis je me redresse doucement et, à reculons, afin de ne pas être vu du pilote, je m’éloigne.

À ma gauche, une porte en pitchpin verni s’offre. Francisque, qu’est-ce que tu risques ?

Je m’y introduis. Un escalier raide se propose : je l’accepte… Me voici dans une coursive que j’ai aperçue tout à l’heure. À l’autre bout, des bruits de fourchettes retentissent. Des odeurs de bouffetance titillent mon tarin, je donnerais la photo de mon percepteur pour un sandwich-poulet…

Je suis tellement flic, voyez-vous, que j’adore le poulet ! C’est farce, hein ?

Seulement, vous me voyez radiner dans la salle à manger comme ça, les bras ballants, en disant :

— Vous permettez, les enfants, que je croque avec vous ?

Non, ça ne serait pas sérieux. S’inviter sans revolver à la main, c’est manquer de savoir-vivre…

Je me dis que, d’une seconde à l’autre, un steward va se manifester. Il va me voir, j’aurai à agir…