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Si vous pouviez voir cette belle flamme haute et claire, ça vous réjouirait le cœur en vous rappelant les bonnes flambées dans les cheminées de votre enfance… En quatre secondes, le couloir est un brasier et pourtant le bruit des convives n’a pas changé de tonalité. Ils continuent de bâfrer, ces tordus, alors que le barlu flambe…

J’émets le petit ricanement diabolique (genre Lagardère viendra-t-à toi) convenant à la circonstance et je m’élance dans l’escalier…

Cette fantaisie va peut-être me coûter cher, mais tant pis, du moins aurai-je la satisfaction de boire la tasse au milieu de ce nid de frelons !

C’est bon de crever quand on supprime par la même occasion les gens à qui l’on doit sa mort…

Une fois sur le pont, je bondis au poste de pilotage. Le nègre est toujours là, fidèle au poste…

Je lui saute sur le poiluchard avant qu’il ait eu le temps de piger…

Je lui brandis mon soufflant sous le nez et il me semble qu’il devient gris comme un premier novembre.

Comment dit-on terre en anglais ?

Si au moins j’avais encore mon petit dico… Mais il est resté dans ma veste.

— Terre ! je lui dis en montrant la ligne sombre de l’horizon…

Il ne pige pas… Je fais un effort mnémonique terrible.

— Ground !

Cette fois il entrave. D’un signe de tête, il me fait oui… Il tourne la roue de son gouvernail et je constate que le navire change de position.

Peu à peu, il décrit un vaste cercle…

Nous piquons lentement, trop lentement à mon gré, sur la terre.

Je regarde derrière moi. Le feu n’est pas encore apparent.

Voyons, un barlu met combien de temps pour flamber ?

À cet instant, des cris retentissent.

Le feu est découvert !

CHAPITRE XIII

Où il est question d’une partie de cours-moi après je t’attrape !

Cette rumeur qui enfle et grossit rapidement indique plus explicitement qu’un graphique que mon incendie a pris et bien pris.

D’ailleurs, de la fumée sort de toutes les ouvertures ! Puis ce sont des hommes qui, brusquement, jaillissent de partout. Ils gueulent, ils gesticulent. Un officier prêche l’appel au calme… Quelques matelots mettent une pompe en batterie. Grâce à ceci je suis assuré d’avoir la paix pendant un bon petit bout de temps.

Dans le tube acoustique placé dans la cabine de pilotage, une voix angoissée jette un ordre… Le nègre fait machinalement un signe d’acquiescement. Je comprends qu’on vient de lui dire de mettre le cap sur la terre… Comme ça il n’a fait que précéder les directives de ses supérieurs.

Il jette de temps en temps un regard à l’automatique que je tiens braqué contre lui. Il sait que je tirerai…

Il est très calme, malgré son angoisse. Voilà une boule de neige qui sait dissimuler ses sentiments.

La panique, sur le pont, est à son comble… Le va-et-vient continue… Et, soudain, je fais la grimace… L’officier que j’ai estourbi surgit… Il est en compagnie de Stone et de Gilet-de-daim. Il doit les affranchir sur les causes du sinistre…

Stone est d’un calme olympien. On dirait que ça n’est pas son barlu qui flambe et que la situation se présente bien pour lui. Par contre, mon compatriote ne partage pas cette réserve. Il gueule, il gesticule, il court sur le pont en tous sens, une pétoire grosse comme un canon antichar à la main… S’il m’aperçoit, je suis assuré d’avoir ma ration de pruneaux pour cet hiver !

Heureusement, le poste de pilotage est très surélevé et moi je me tiens accroupi de façon à n’être point visible du pont.

Il ne reste qu’à attendre… Une petite brise active le foyer. Maintenant, c’est du sérieux. Je crois que tout le bateau va griller comme s’il était en celluloïd… Quel incendie, madame ! Cecil B de Mille verrait ça, il voudrait reconstituer le même dans ses studios… Du reste, ça vaut le coup d’œil…

Au-dessus de ma tête, la radio grésille vilain… Il y a du S.O.S. à tous les étages, les gars… Et du sauve-qui-peut idem !

Malgré que l’heure soit vachement grave, j’éprouve une espèce de sombre jouissance. Tous ces caïds sont pareils à des rats. Ils ont les copeaux pour leur vilaine peau ! L’incendie prend des proportions terrifiantes. Plus besoin du chauffage central. La moitié du barlu grille et les flammes montent très haut dans l’air, je vous prie de le constater.

Soudain, la porte du pilotage s’ouvre à la volée et je découvre le visage convulsé par la rage de Gilet-de-daim. Il est méconnaissable, on dirait une manifestation de l’enfer… Son visage est vert et sa bouche est tordue comme s’il avait pris une attaque de paralysie. Ses yeux fous lancent des éclairs.

— Fumier ! gronde-t-il, je savais bien que c’était toi !

Il a son feu à mufle court.

Pan ! Pan ! Pan !

Trois bastos voltigent dans le poste de pilotage…

Je n’ai eu que le temps de me jeter par terre et c’est le nègre qui déguste… Il pique du nez sur son gouvernail et répand son bon raisiné sur le linoléum.

Je ne perds pas mon temps à lui demander si ça va. À mon tour de cracher de la mitraille ! Après les trois coups de feu du blond, il y a eu ce petit clic ridicule que font les rigolos pour annoncer que le magasin est vide.

Je ne me presse pas, moi… Je vise soigneusement entre les châsses de cette saloperie. Je pense très fort à la môme Grâce. Le moment de la justice a sonné, pour employer un langage fleuri. L’autre andouille est déjà mort de frousse. Il sait qu’il s’est précipité trop vite, qu’il a raté son coup et qu’il va incessamment et peut-être avant, passer à la casserole.

Mon feu fait un petit bruit comparativement à son canon de marine.

Soudain, un troisième œil lui naît au milieu du front. Un œil tout rouge, comme celui de Moscou.

Il ne profère pas le moindre mot. Il reste un instant debout, très droit, immobile comme si on l’avait statufié. Puis il s’écroule en arrière et débaroule l’escalier.

M’est avis que, cette bonne chose étant réglée, il faut penser à la situation… Elle devient critique… Nous sommes loin de la terre et il n’y a pas un bateau en vue… Quant au nôtre, vu de loin, il doit ressembler à une omelette flambée.

Le feu a gagné le pont et c’est le grand sauve-qui-peut ! Les chaloupes à la mer et chacun pour soi, Dieu pour tous !

Le tumulte est à son comble… Ça se bouscule au portillon ! Ça piétine, ça se fout des gnons sur la tomate ; ça gueule…

C’est pas beau à voir des hommes qui ont peur ! croyez-moi !

Bientôt, j’avise deux grandes chaloupes qui s’éloignent du bateau à force de rames…

J’ai un triste sourire… Me voilà seulard sur le yacht en flammes. Mon astuce s’est retournée contre moi… Je vais claquer comme un rat dans l’immense brasier flottant.

Je descends sur le pont.

C’est alors que j’ai une secousse… Une forte, une vraie… Droit devant moi, sur la passerelle, il y a Stone. Un Stone implacable, très calme, très sûr de soi… Il tient un revolver à la main…

— Ah ! vous voilà ! dit-il. Je ne savais pas où vous vous cachiez mais je pensais bien que vous vous montreriez…

Il a un feu, j’en ai un…

Nous sommes seuls sur le barlu… Au lieu de nous occuper de notre salut, nous ne pensons qu’à nous bousiller. Chacun a besoin de la mort de l’autre…

Je fais un saut de côté pour le dérouter et je presse la détente de mon arme. Mais il n’a pas été dupe. Lui aussi a fait un saut de côté. Ma balle lui siffle aux oreilles et va se perdre dans les flots.