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— Mon patron, je commence, tu le connais ? Il est chauve comme un pamplemousse avec des idées à part…

Il sourit en évoquant le boss.

— Je le connais, fait Emmanuel.

— Il s’est dit que tu aurais peut-être quelque chose qui te tracasserait en ce moment.

— Tu parles ! gouaille le jeune homme.

Seconde parole malheureuse de ma part.

In petto je me traite de tous les noms possibles et imaginables.

Seulement ça ne sert à rien de vouloir rectifier le tir. Au point où il en est, Rolle se torche bien avec les convenances.

Pas bavard le futur pendu, hein ?

— Alors ? interrogé-je.

— Alors rien, dit-il.

J’attaque.

— Mon chef…

Il sourit…

— Vous êtes de l’espèce mégalomane, remarque-t-il…

— Assez, admets-je… C’est congénital, dans la police… Cette maladie-là se développe comme la coqueluche dans une école maternelle. Donc, pour en revenir à mon chef, il trouve que ton histoire n’est pas claire…

— Voyez-vous…

Pour un condamné à mort qui sera accroché par le cou dans un instant, il a de l’aplomb.

— Il prétend que ça n’est pas ton genre tout ça… que tu n’es pas le type à abandonner un blessé sur la route, et pas non plus le type à cabosser le crâne d’un type qui voudrait te donner une leçon de civisme…

Emmanuel a un petit sourire triste.

— Pas mon genre, rêvasse-t-il…

— Non. Et maintenant, rien qu’à te voir je suis prêt à penser comme lui. Écoute, mon gars, ne finassons pas. Tu vas y aller du cigare et je le regrette. Ton histoire se serait passée en France, ça se tassait sans bobo, mais il est trop tard… Seulement, il se pourrait que tu aies eu des ennuis… Que tu aies agi sous le coup d’une influence étrangère… Je ne sais pas… Bref, il est à penser — et nous le pensons — que quelque chose bougeotte là-dessous. Alors je profite de cet ultime entretien pour te demander quoi…

Il reste immobile. Il est un poil plus pâle que lorsque je suis entré…

Ses yeux sont pleins de je ne sais quoi…

— Je n’ai rien à dire, fait-il… Non, tout s’est passé tel que je l’ai dit… C’est ridicule, mais je paie, alors qu’on me foute la paix…

Je n’ai plus qu’à lui souhaiter une bonne mort.

Sur ce, on frappe à la lourde. Brandon est là, avec des gardiens et un autre zigoto à l’air compassé qui doit être le dirlo de la cabane.

Ce petit trèfle s’annonce dans la cellote. Le directeur bonnit un laïus à Emmanuel. Je comprends que c’est la formule sacramentelle pour lui annoncer que la sentence va s’accomplir.

Emmanuel le regarde bien tranquillement. Ce gaillard-là a un drôle de souffle, je vous le dis !

Les gardes encadrent le condamné. Brandon me fait signe de suivre le cortège. Nous voilà partis en vadrouille dans les couloirs tristes.

La salle des exécutions est dans une aile extrême de la maison. C’est une pièce nue, blanchie à la chaux. La potence est sans majesté. Elle fait même foutriquet. C’est une potence pour pauvre homme. Au-dessous, il y a une trappe, fermée pour le moment. Le bourreau est un homme entre deux âges qui a une tête de comptable et des yeux myopes.

Il est loqué en gris-noir. Il a une chemise blanche et une cravate noire. Il fait très « j’ai perdu ma belle-mère la semaine dernière. »

Les gardiens amènent Emmanuel sur la trappe. Ils lui lient les mains et les jambes…

Pendant ce temps, le bourreau prépare sa ficelle. Mon cœur cogne à plein tube. Des hommes, j’en ai dessoudé des pleins paniers, mais c’était dans le feu de l’action — en situation, comme on dit au théâtre. Cette mise à mort, froide et méthodique me glace…

Je regarde Emmanuel Rolle et il me regarde… Ses yeux sont intenses…

Le directeur s’avance à nouveau et bonnit un nouveau laïus sur l’air des sermons de la B.B.C.

Emmanuel l’écoute sans piper. Puis il secoue négativement la tête et ses yeux reviennent se fixer sur moi.

Je n’y tiens plus. Je m’avance sur la trappe et je le cramponne par le cou. Je l’embrasse fraternellement sur les deux joues.

— Tu as du cran, je lui chuchote, tu es un homme, Rolle. Je leur dirai que tu es mort comme un champion…

Ça lui fait du bien…

Brusquement, je ne vois plus ses yeux. Le bourreau vient de lui passer une cagoule noire sur le visage.

Ça fait une sacrée impression de se trouver face à face avec un type coiffé de ce machin-là et ayant une corde autour du cou.

— Courage ! je dis…

Alors, je vois bouger la cagoule à l’emplacement des lèvres.

— Je suis innocent, émet une voix étouffée.

Brandon qui se tient derrière moi me fait reculer.

La trappe s’ouvre, un éclair noir me passe devant les yeux et je n’ai plus devant moi qu’une corde tendue qui oscille doucement.

Il me semble que je viens de rêver tout cela…

Je reste un instant prostré… Le coup a été rude…

— Venez, monsieur le curé, m’ordonne Brandon.

Je le suis…

C’est encore une fois la morne procession dans les couloirs. Nos pas me résonnent dans le crâne…

Je vais mornement, comme un bœuf va à l’abattoir…

— Cette exécution me paraît vous avoir beaucoup affecté, me dit mon collègue anglais.

— Assez, oui, je murmure… Vous avez entendu ce qu’il a dit, une fois qu’il a eu la cagoule ?

— Non.

— Qu’il était innocent !

Brandon secoue doucement la tête.

— Ils disent tous ça à ce moment-là. Comme s’ils espéraient que cette négation suprême provoque un sursis…

Une fois hors de la prison, je sens que ça va un peu mieux.

— Monsieur le curé, dit Brandon, je suppose que vous aimeriez prendre un peu d’alcool pour vous remettre.

— Volontiers…

Il ouvre la portière de sa voiture carrée et me laisse monter. Après quoi il s’installe au volant.

— Les pubs sont fermés à ces heures, dit-il… Allons à mon club.

Il navigue dans le brouillard comme un poisson dans la flotte. Pour s’y reconnaître dans ce coton, faut avoir une boussole dans chaque œil, je vous le jure !

Dix minutes plus tard, il se range devant la façade d’un grand immeuble et m’invite à le suivre. Nous pénétrons dans un immense hall décoré de plantes vertes et nous nous engageons dans un monumental escalier.

Le club est au premier.

À ces heures il n’y a presque personne. Simplement quatre tordus qui jouent aux brêmes à une table… et deux employés en uniforme qui essayent de ne pas bâiller.

Brandon s’assied au plus profond d’une bergère. Je m’écroule dans un fauteuil.

— Whisky ? demande-t-il…

J’accepte d’un signe.

— Deux scotch doubles, fait-il.

Bien qu’il l’ait dit en anglais, j’ai pigé. Il y a des mots que j’entrave dans toutes les langues !

— Alors, monsieur le commissaire, poursuit-il, que concluez-vous de votre voyage ?

CHAPITRE III

Où il est question de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’os !

Je prends le verre de scotch que le barman ensommeillé mais correct dépose devant moi et je le siffle d’un trait.

Brandon boit le sien aussi, mais lentement, poliment. Enfin je le regarde et j’éclate de rire.

— Vous m’avez reconnu ? dis-je.

Il a un sourire bref.

— Non, fait-il… Mais lorsqu’un chef de la police française m’a demandé d’envoyer un prêtre pour assister Rolle, j’ai tout de suite pensé que ce prêtre-là aurait de larges épaules et qu’il n’aurait pas des manières d’ecclésiastique.