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— Je suppose que vous allez vous reposer un peu, dit-il. Allez à l’hôtel Wuich de ma part. Il se trouve près de la station « Elephant and Castle ».

— Merci…

Je lui tends la patte, on s’en serre cinq et me voilà tout seulard au milieu de la purée de pois.

Ce patelin, je vais vous dire, c’est exactement le dernier coin de la terre où j’irais porter mes pieds si je cherchais à m’expatrier. J’ai horreur du brouillard, moi… Mes éponges peuvent pas se contenter de vapeur. C’est lugubre et ça vous imprègne de tristesse jusqu’au plus intime du calbard.

Je danse d’un pied sur l’autre, indécis.

Vais-je suivre le conseil de Brandon et aller me fourrer dans une paire de draps, ou bien au contraire, dois-je décarrer sur le sentier tortueux de la guerre ?

J’opte rapido pour la seconde formule. Je n’ai pas sommeil et la petite cérémonie à laquelle je viens d’assister m’a chaviré le palpitant.

Je me mets à arpenter les rues désertes. Des voitures commencent à circuler. Tout est feutré et gris. Tout est sombre, hostile, farouche… Et moi je me sens comme le petit Poucet au milieu de la forêt après que les zoziaux eurent moufeté les miettes de brignole dont il marquait sa route…

Soudain j’avise un taxi en stationnement.

— Mande pardon, patron, je fais.

Le zig est un grand sec avec une tête comme un plumeau sans plumes.

Il a le regard chassieux.

Je réalise que je lui parle dans une langue qu’il ne connaît pas.

— Je ne parle pas français, récite-t-il avec un accent à découper au chalumeau oxhydrique.

— Et moi, I not speak english je déclare.

Ça le fait marrer. Lorsqu’il rit, on dirait que sa bouche va faire des petits.

Je me cramponne le bocal et je réfléchis.

— Je go to Northampton, dis-je enfin.

Comme dit un pote à moi : je suis polygone, j’habite Vincennes.

Le chauffeur me sort un grand baratin que je ne pige pas et il me fait signe de grimper dans son bahut.

Ça m’étonnerait qu’il me pilote jusqu’à la ville en question, mais enfin, il va peut-être me faire faire un bout de chemin.

Dix minutes plus tard, sa tire stoppe devant un édifice qui ressemble plus à une gare qu’à une pissotière.

— Northampton ! dit le grand mec.

J’ai pigé. Un crétin pigerait, y a pas de mérite !

J’allonge un biffeton d’une livre et il me rend la monnaie.

— Merci, dis-je en m’engouffrant dans la station.

La matinée est déjà assez avancée pour son âge lorsque je débarque à Northampton. Le brouillard s’est fait la valise ou alors il est resté dans la région londonienne.

Vous allez peut-être me traiter de menteur, mais je vous affirme qu’il y a des bribes de soleil sur les toits…

J’avise un policeman avec un casque à impériale et je lui demande l’auberge du « Lion Couronné ». Il me l’indique illico car c’est à deux pas, sur une petite place aux pavés bien égaux.

La ville est construite en briques rouges et, je ne sais pourquoi, me fait penser à Toulouse.

J’entre dans l’auberge. Il faut descendre deux marches. C’est d’un rustique coquet, pimpant. Ça sent la cire et l’encaustique pour cuivre. Ça sent aussi la bière.

Un patron grassouillet, mais avec la figure colorée comme une endive, se tient assis au fond de la salle basse. Il plume une oie.

Il me baragouine un salut obséquieux au milieu d’un nuage de duvet.

— Vous parlez français ? je demande…

Il secoue négativement la trombine.

Me voilà gentil. J’ai bonne mine de vouloir enquêter dans un patelin dont je ne comprends pas le langage.

J’ai l’air à ce point désolé qu’il se met à bramer à la cantonade :

— Mary ! Mary !

Une fille rousse, à l’air sournois, apparaît.

Le taulier me désigne en lui expliquant que je ne pige pas une broque à la langue de Shakespeare.

— Vous désirez ? demande-t-elle.

Son français est à peu près fumable.

— Voilà, expliqué-je, je fais partie de la police parisienne.

Comme preuve de ce que j’avance, je lui montre ma carte. Elle l’étudie très attentivement, avec le même soin qu’un douanier diligent.

— Que pouvons-nous pour vous ?

Elle explique à son patron de quoi il retourne. Lorsqu’il est affranchi, il fronce le sourcil.

— Je viens au sujet du jeune Français qui a été exécuté ce matin, fais-je…

— Oh ! yes, fait la servante. Je me souviens très bien…

— Il a pris un repas ici, le jour de son crime, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Il était avec une jeune fille ?

— Oui.

— Vous aviez déjà vu ce garçon et cette fille auparavant ?

— Il venait ici toutes les semaines, le vendredi… Ils faisaient un repas en tête à tête…

— Aviez-vous l’impression qu’ils… qu’ils s’aimaient ?

Elle rougit comme les fesses d’un nouveau-né.

— Je ne sais pas…

— Enfin, d’après leur attitude…

Elle secoue la tête…

— Non, ils étaient très corrects.

Je la regarde et je lui souris, histoire de la mettre en confiance, mais elle s’était fait porter pâle le jour où la fée Marjolaine distribuait la bonne humeur. Elle est renfrognée comme un pékinois.

— Aucun incident particulier n’a marqué ce déjeuner ?

Elle réfléchit.

— Non, aucun…

— Vous êtes certaine ?

— Oui…

— Voulez-vous demander à votre patron s’il a remarqué quelque chose ?

Elle se tourne vers le gros zig à la peau grise. Elle lui traduit ma question et je le vois qui se met à réfléchir.

Puis soudain, il commence à jacter à tout berzingue. Il en dit épais comme de la gelée de groseille. Il s’anime, ce qui est rare pour un Anglais… Je flaire du bon…

La servante a l’air surpris. Enfin, lorsque l’autre se bouche la valve, elle récite, docilement :

— Mr Benett — je comprends qu’il s’agit du gargotier — dit qu’au cours de ce repas, il y avait un homme assis à la table voisine de celle des jeunes gens. Il a bu de la bière. À un certain moment, le jeune homme français s’est levé pour aller acheter le journal dans la rue à un marchand qui passait. L’homme a lancé discrètement une boulette de papier à la demoiselle. Mr Benett avait le dos tourné, mais il a vu le manège dans la glace…

Tiens, tiens, voilà enfin du nouveau…

— Qu’a fait la jeune fille ? je demande.

La grosse enflure de taulier s’explique.

J’attends la traduction ; j’ai un peu l’impression d’être à l’O.N.U.

— Elle a glissé la boulette de papier dans sa poche. Lorsque son ami français est rentré, tenant le journal, elle s’est excusée et est allée aux lavatories…

Évidemment, pour lire…

Je me mordille la lèvre inférieure.

— L’homme est parti ?

— Presque tout de suite…

— Comment était-il ?

Elle va aux informations auprès du père plume-volaille. Celui-ci fait une description qui m’est livrée mot à mot. Le mec-lanceur de boulettes était grand, jeune, blond. Il portait un complet bleu marine et un gilet de daim marron. C’est tout ce qu’on peut me dire…

— Y a-t-il autre chose pour votre complaisance ? demande la môme.

J’ai envie de lui proposer quelques cours de français supplémentaires, histoire de parfaire son vocabulaire… Des cours du soir pour adulte, de préférence. Mais décidément elle est trop locdue, trop triste.