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— Oui, dis-je, il y a une chose que vous pouvez faire pour moi, c’est une paire d’œufs au bacon !

Elle passe la commande en direct à son employeur. Ce dernier, du moment que je deviens client, s’active. Il me désigne une table près d’un grand poêle en faïence, une table coquette avec une nappe à petits carreaux rouges…

Je m’assieds et c’est avec une joie féroce que je crève les jaunes de mes œufs.

En mastiquant allègrement je fais un petit voyage à rebours. C’est de cette salle d’auberge anglaise, qu’est parti le drame… Vous haussez les épaules ? Parole ! mon renifleur n’est pas une betterave. Depuis le temps qu’on se fréquente vous devez savoir que lorsque je démarre sur une piste, même inconsistante, c’est que quelque chose ne tourne pas rond… Je me suis rarement gouré. Là, le boss avec son crâne déplumé et ses manchettes amidonnées a vu juste. Il existe une affaire Rolle. Une affaire beaucoup moins simple que ne l’a cru la police anglaise.

Je bouffe lentement mes œufs frits en regardant la table qu’occupait le mystérieux couple…

CHAPITRE IV

Où il est question d’une souris partie sans laisser d’adresse

« Chemist’s shop », mon tom-pouce français-anglais indique que ça se dit aussi « Pharmacy ». C’est pas ça qu’il y a écrit en caractères dorés au-dessus de la porte, mais le truc de chimiste que je viens de vous bonnir en respectant l’orthographe.

Je pousse le bec-de-cane et je trouve en face de moi une sorte de héron frileux habillé en blanc.

— Mr Standley ? je demande en m’efforçant d’attraper un accent anglais carabiné.

— Yes, me répond cet honorable commerçant.

— Parlez-vous français ?

Toujours ma petite question que je promène comme une sébile sous le nez des naturels d’ici. Faut dire que le petit dico dont je me suis armé pour me permettre de déblayer les barricades du vocabulaire, en cas de nécessité absolue, est un peu sommaire.

— Un petit peu, dit le pharmago.

— À la bonne heure !

Je le regarde. Non, ça n’est pas à un héron qu’il ressemble, mais à un pélican, car il porte un goitre volumineux sous le menton.

— Pourrais-je parler à Mlle Auburtin ?

Il ouvre la bouche et j’aperçois des chicots noirs qui ne font pas honneur à sa profession de marchand de pâte dentifrice.

— Elle m’a quitté ! dit-il…

Je sursaute vachement.

— Quand ?

— Il y a quelque temps. Elle n’est pas venue travailler un matin, elle m’a téléphoné que sa tante de Londres était très malade et qu’elle devait se rendre à son chevet. Une fois à Londres, elle m’a écrit en me disant que sa tante allait un peu mieux mais que, dorénavant, elle demeurerait auprès d’elle. Elle s’excusait et me donnait sa démission…

— Voyez-vous ça…

Il me regarde avec surprise.

— Puis-je vous demander qui vous êtes ? demande le pélican frileux.

— Je suis un policier français. En accord avec Scotland Yard, je fais une petite enquête au sujet de ce drame survenu il y a trois mois sur la route qui va à Londres, vous voyez ?

Il a dû avaler trois ou quatre pacsons de coton hydrophile qui lui sont restés dans le gosier. Il clignote des châsses en me biglant…

— Oui, fait-il, je suis au courant. Il s’agit d’un de vos compatriotes, n’est-ce pas ?

— C’est ça… Et il frayait votre souris…

Il se triture le corgnolon. De ses mains grêles, il masse sa gorge enceinte.

— Je ne comprends pas ce que vous dites, fait-il. Excusez-moi, mon français est très imparfait !

Je réprime mon hilarité.

— Cet Emmanuel Rolle fréquentait, voyait votre assistante, n’est-il pas vrai ?

Si je reste un poil de plus dans ce pays, je vais finir par apprendre le français, ce qui est un comble, car je suis obligé d’utiliser les termes les plus académiques de ma langue d’origine.

Le bonhomme fait un signe affirmatif.

— Il l’attendait, parfois, devant le magasin, dans un petit cabriolet noir.

— Souvent ?

— Pas plus qu’une fois à la semaine…

— Quel effet vous faisait-il ?

Il ne pige pas très bien…

J’explique :

— Quelle impression éprouviez-vous en le voyant ?

— Une impression favorable. Il était très gentleman, j’ai été very surpris en apprenant l’horrible chose…

— Votre assistante, Martha Auburtin, était-elle une fille sérieuse ?

— Sérieuse ?

Je constate avec surprise que nos mots, chez nous, s’installent, prennent leurs aises dans la conversation, tandis qu’à l’étranger ils sont enfermés dans leur sens littéral. Par exemple, sérieux veut dire grave à Northampton, et c’est tout.

Une fille sérieuse c’est une fille qui ne rigole pas, et non une fille qui n’a pas les jambes en brancards.

— Voyait-elle d’autres hommes ?

— Je ne m’occupais pas de sa vie privée…

— Cette discrétion vous honore, Mr heu… Standley, pourtant, de même que vous avez eu connaissance des relations Auburtin-Rolle, vous auriez pu, sans le vouloir, découvrir des relations Auburtin-X, vous pigez, pardon, vous entravez, Mr Standley ?

Il palpe son goitre comme on palpe un pneu de vélo que l’on gonfle. Mais la protubérance n’est pas à point car il hausse les épaules tristement et laisse retomber sa main.

— Non, je ne connaissais pas d’autres amis à Martha.

— Vous ne l’avez jamais vue en compagnie d’un homme jeune, grand, blond, portant un gilet de daim ?

Il réfléchit.

— Je ne crois pas.

— Vous n’en êtes pas certain ?

— Je ne me souviens pas d’un homme répondant à ce signalement.

— Bon. Martha Auburtin est une fille comment ?

— S’il vous plaît ?

— Est-ce une bonne employée ?

— Très bonne.

— Sur le plan travail ?

— Très travailleuse…

— En somme vous la regrettez ?

— Très beaucoup…

— Monsieur Standley, avez-vous encore en votre possession la lettre de démission de cette jeune fille ?

— Certainement.

— Puis-je vous demander de me la montrer ?

Il fait un signe affirmatif et s’éloigne dans son arrière-boutique. Tandis qu’il est absent, j’examine l’endroit. La « Pharmacy » est vieille comme les rues. Il ne doit pas y avoir lerche de clients dans ce magasin. Les rayonnages sont poussiéreux, les bocaux sont constellés de chiures de mouches…

— Now, dit le goitreux, voilà la lettre.

Je me saisis du papelard et alors je rigole. Comme un gland je m’imaginais qu’elle était écrite en français. Inutile de vous dire que je ne pige rien de rien à cette missive.

— Puis-je la conserver ? je demande.

— Sorry, répondit-il, mais c’est une pièce dont je ne puis me dessaisir puisqu’elle m’apporte la démission de mon employée…

— Parfait. Mais gardez-la précieusement. Il se peut que la police anglaise vous la demande un de ces jours…

Il opine du bonnet.

— J’aimerais avoir l’adresse de Martha Auburtin…

— Je ne l’ai pas…

— Comment ? Elle ne vous la donne pas sur cette lettre ?

— Non, un oubli sans doute…

— En ce cas, donnez-moi son ex-adresse, celle d’ici.

— 14, Fidelity road.

J’inscris ça sur mon calepin-maison, celui qui a une couverture en moleskine noire.

— Très bien. Pardonnez-moi de vous avoir importuné, Monsieur Standley.