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Vous vous rendez compte un brin de la façon dont je jacte, maintenant ? Quand je vais rentrer à Pantruche mes relations vont être siphonnées.

À propos de rentrer en France, il faut que je prévienne le chef, il doit commencer à croire que je me suis fait naturaliser english ou que le port de la soutane m’a converti.

Un grand coup de bada au père la pilule et je les mets. À trois pas y a un bâtiment avec « Post Office » écrit dessus. J’entre et à grand renfort de dictionnaire, je demande la communication avec Paris.

Il me faut un petit quart d’heure d’attente. Enfin j’ai la voix du boss dans les manettes. C’est pas que je la trouve radiophonique, mais, dans ce bled, elle me fait l’effet d’une douce musique de chambre.

— Allô, patron ?

— Ah ! c’est vous, San-Antonio, alors ?

— Eh bien ! ça y est, le petit copain a eu droit à sa cravate.

— Pénible ?

— Un truc de ce genre n’est jamais rigolo, mais ça ne s’est pas trop mal passé.

Je lui bonnis un compte rendu succinct de l’exécution. Je parle de son murmure suprême concernant son innocence. Je raconte l’histoire de la môme Martha, la petite pharmacienne qui se faisait payer à bouffer et à qui ses voisins de table lançaient des messages.

— Et comme par enchantement elle a disparu, vous ne trouvez pas ça bizarre ?

Un court silence. Lorsque le patron la boucle, c’est que ça se bouscule à son carrefour cérébral.

— Si, dit-il…

— Vous ne pensez pas, chef, que je pourrais m’occuper un peu de tout ça ? Je sais bien que le gars Emmanuel est viande froide maintenant, mais tout de même je bicherais si je pouvais découvrir la vérité.

— Vous croyez qu’il y a une vérité à découvrir ? demande-t-il.

Je le contre très sec.

— Je le crois autant que vous, patron.

Il ne dit rien. Il fout ça dans sa fouille avec son tire-gomme par-dessus.

— Écoutez, San-Antonio, murmure-t-il, je vous accorde quatre jours de vacances, si vous voulez visiter l’Angleterre…

— Merci, patron.

— Seulement, je vous recommande la discrétion et même la prudence. Là-bas, vous l’avez vu, on ne plaisante pas avec les gens violents. Souvenez-vous qu’en cas de coup dur je ne pourrais rien pour vous. RIEN !

— C’est entendu, chef.

— Inutile de me rappeler… Simplement soyez ici dans quatre jours.

Il raccroche.

Cet homme, je le connais comme si je l’avais trouvé à côté de moi dans mon berceau le jour où j’ai ouvert les yeux.

Il m’a envoyé ici parce qu’il avait pigé que ça ne carburait pas normalement. Seulement c’est un monsieur qui tient à son grade et il ne voudrait pas que son cher subordonné ait maille à partir avec la police britannique.

M’est avis que je vais devoir marcher sur la pointe des tiges.

Tout en gambergeant à ces détails intérieurs de la maison poulaga, je parvins à la Fidelity road que m’a indiquée la postière. Le 14 est un petit pavillon de briques à deux étages. Devant se trouve un jardinet grand comme le Larousse illustré. Une grille cerne le tout.

Je tire la sonnette.

Une fenêtre, presque immédiatement, s’ouvre au rez-de-chaussée…

La bonne dame qui encadre sa physionomie par l’ouverture devait me guetter. Elle a dû servir de modèle au mec qui a dessiné la vignette figurant sur les bouteilles de Marie Brizard. Elle est vieille, avec des cheveux abondants, surmontés d’un chignon posé sur le sommet de la tête comme une pomme. Peut-être que c’est Mme Guillaume Tell, après tout ?

— Excuse-me, dis-je courageusement. But I will speak with you…

Ceci éructé, je m’éponge en me votant des félicitations car je sens que mon anglais s’améliore à toute pompe.

La vioque n’y a pas compris grand-chose, pourtant ma bouille ne l’effraie pas car elle vient ouvrir. Elle me pose une question que je renonce à me traduire.

— I am french, je murmure avec un beau sourire… Parlez-vous français ?

Elle me fait risette.

— No…

Je fais claquer mes doigts.

Impossible de tailler une bavette dans ces conditions…

Ah ! je m’en souviendrai de cette enquête. Si un flic ne peut pas poser de questions, c’est la fin de tout. Il n’a plus qu’à aller s’acheter une canne à pêche chez le premier marchand du coin.

Mais la dame n’est pas la moitié d’une truffe. Comprenant que nous ne pourrons avoir aucune conversation et curieuse comme une pie, elle use du même subterfuge que le taulier du « Lion Couronné ».

Elle traversa la rue et appelle :

— Grace ! Grace !

Une fille apparaît. Y a que les filles qui parlent le français, décidément, de ce côté de l’île… Probable qu’elles tiennent à pouvoir discuter le bout de gras avec les petits potes de chez nous lorsqu’ils sont en vadrouille dans leur bled…

La mère Marie Brizard tartine. Grace descend et s’approche. C’est une souris comme vous aimeriez en rencontrer une lorsque vous sortez des Folies-Bergère, un soir que votre bonne femme est chez sa vieille mère.

Elle est mince, blonde, avec des petits seins qu’on a envie de recueillir dans ses mains en creux, comme des petits oiseaux tombés du nid. Elle porte les cheveux longs et pendants, à la Françoise Hardy, vous voyez ? Elle a un visage aigu, pas désagréable au fond, pas joli non plus, mais curieux. Ses yeux marron sont vifs et hardis… Sa voix est rauque et elle dépasse votre tympan pour couler dans vos veines.

Un gentil petit lot, franchement.

— Vous êtes Français ? questionne-t-elle.

— De père en fils, je rétorque.

— Mme Fig demande de ce que vous lui voulez ?

— J’aimerais parler à Martha Auburtin…

— Martha Auburtin n’est plus chez elle depuis plusieurs semaines.

— Je sais… Puis-je… obtenir sa nouvelle adresse ?

Grace pose ma question à la mère Fig.

— Mrs Fig n’a pas sa nouvelle adresse…

Je me rembrunis. Tout ça est bien étrange.

Cette souris qui s’esbigne un beau jour sur la pointe des pieds, sans crier gare, me paraît bien étrange.

— Qu’a-t-elle dît en partant ?

Petit à petit, j’apprends tout : Martha est rentrée du turf, un soir, très excitée. Elle était en compagnie d’un jeune homme pilotant une auto…

J’interromps ma narratrice.

— Vous l’aviez déjà vu ce garçon ?

— Non, jamais.

— N’était-il pas blond et ne portait-il pas un gilet en daim marron ?

— Si fait…

— Continuez…

Martha a dit à sa logeuse qu’elle était appelée au chevet de sa tante : — air connu, voir le pharmago goitreux ! Elle a fait rapidement sa valoche et elle a mis les adjas en disant au revoir. Trois jours plus tard, la Marie Brizard a reçu une bafouille identique à celle du potard : Martha demeurait chez sa tante… Elle disait à la mère Fig de conserver sa malle jusqu’à nouvel ordre et qu’elle l’enverrait faire prendre à l’occasion.

— Cette malle est toujours ici ?

Grace demande la réponse. C’est oui.

Cette conversation a eu lieu dans la petite rue. La logeuse me regarde avec gourmandise, souriant éperdument lorsque mes yeux tombent sur elle. Ma traductrice, au contraire, conserve son sérieux. Sa voix rauque n’arrête pas de me faire frissonner.

— Écoutez, lui dis-je, je suis commissaire de police à Paris, et je travaille ici avec l’accord officieux de la police anglaise. Je suis très handicapé parce que je ne parle pas votre langue… Aussi vous remercié-je pour votre précieux concours.