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Une orgie à cette altitude ! Carmen se leva pour se servir à boire, trémoussant son petit derrière sans aucun complexe. Malko en profita pour venir s’asseoir près de Pedro Izquierdo.

— Je suis à la recherche de l’homme qui se trouve avec votre femme, dit-il. Klaus Heinkel. Si vous m’aidez à le retrouver, je vous promets que votre femme vous reviendra. Car je le ferai arrêter. J’en ai le pouvoir.

Le Bolivien le fixa comme s’il était le Messie.

— C’est vrai ?

— C’est vrai. Avez-vous une idée de l’endroit où il peut se cacher, s’il est vraiment encore vivant ?

Le vieux Bolivien hocha la tête :

— Oui. Je le trouverai, si vous me promettez de le punir.

— Je vous le promets.

Don Izquierdo lui prit les deux mains et les secoua.

— Vaya con Dios. C’est un homme mauvais. Je lui ai prêté de l’argent, je lui ai ouvert ma maison. Il avait toute ma confiance… Demain, venez au restaurant Daïquiri, vers une heure. Je vous dirai ce que j’ai pu apprendre.

Malko se leva. L’humiliation du Bolivien lui faisait mal. Aussitôt, Carmen vint se blottir près de Izquierdo. Elle s’était déjà déchaussée et n’attendait que le départ de ses hôtes pour continuer son strip-tease.

Le Bolivien avait visiblement envie de s’offrir une récréation avec Carmen. Lucrezia et Malko s’éclipsèrent et se retrouvèrent sous le ciel étoilé de La Paz. Il faisait frais, mais pas vraiment froid. Des chiens hurlaient dans la montagne.

— Pourquoi veux-tu tellement retrouver Klaus Heinkel ? demanda Lucrezia. Je pensais que tu étais seulement venu apporter son dossier en Bolivie. C’est ce que m’avait dit M. Cambell.

Malko ne répondit pas immédiatement. Il ne savait pas très bien lui-même pourquoi il se lançait dans ce combat douteux. Puis il repensa à toutes les horreurs débitées d’une voix tranquille par l’homme de Zurich. Et aussi la petite phrase finale : « Ils ont confiance en vous. » Il lui déplaisait que des gens comme Cambell ou d’autres se mettent en travers du destin promis à Klaus Heinkel.

Pour des raisons qui n’avaient sûrement rien d’humanitaires. Tout son atavisme se révoltait contre cela. Il retrouvait son âme slave, avec l’amour de l’acte gratuit. Débusquer Klaus Heinkel, envers et contre tout – si vraiment, il n’était pas mort – être l’instrument du destin, désintéressé, incorruptible, impitoyable, à ses yeux, cela rachèterait certaines missions sans honneur entreprises pour ses vieilles pierres. Cela lui permettrait d’être toujours lui-même, le Prince Malko Linge, Altesse Sérénissime, Chevalier de Malte et gentilhomme autrichien. Et barbouze « hors-cadre » à la C.I.A.

— Je suis un incorrigible romantique, dit-il soudain à Lucrezia.

La jeune Bolivienne leva le bras pour arrêter un taxi inespéré à cette heure tardive. Puis elle regarda Malko avec une expression nouvelle.

— Dans ta langue, dit-elle, macho doit se dire romantique ?

Chapitre V

Les deux hommes entrèrent dans le bureau et refermèrent la porte avant qu’Esteban Barriga ait eu le temps de lever la tête. Lorsqu’il détacha les yeux de ses épreuves, il était trop tard. Ils lui barraient toute sortie. On aurait dit deux frères, avec le même complet élimé noir, l’allure à la fois hargneuse et peureuse, le visage maigre et les cheveux huileux.

Le journaliste les vit s’approcher de lui, paralysé par une peur viscérale. Le plus jeune – il avait une cravate jaune – lui dit d’une voix méprisante :

— Tu n’es qu’un petit vagabond sans vergogne.

Tranquillement, il fit le tour du bureau. Le temps qu’Esteban Barriga contracte ses muscles pour tenter une sortie, l’homme maigre et noir était sur lui. De la main gauche, il saisit le journaliste par les revers de sa veste, recula le poing droit et l’écrasa de toutes ses forces sur le nez d’Esteban Barriga. Celui-ci entendit craquer le cartilage de son propre nez. Il retomba au fond de son fauteuil.

Mais l’instinct de conservation fut plus fort que la douleur. Il sentait que s’il ne sortait pas très vite de cette pièce, il allait mourir. Il ouvrit la bouche pour hurler et avala son propre sang.

L’autre avait plongé la main dans sa poche et agrippé un couteau à cran d’arrêt. Il fit gicler la lame d’une pression de doigt et l’enfonça droit devant lui dans la chemise tendue du journaliste, du nombril au sternum.

Une fois, deux fois, trois fois.

À chaque coup, Esteban grimaçait de douleur. Le couteau qui lui déchirait le ventre semblait l’hypnotiser. Il ne criait pas.

Lentement, très lentement, les deux mains crispées sur son gilet, il s’effondra en arrière dans le fauteuil. Virtuellement mort. Obéissant à un sentiment de pure méchanceté, l’homme qui n’avait rien fait prit la machine à écrire et la disloqua sur la tête du mourant.

Ce qui eut pour effet de précipiter par terre ce qui restait d’Esteban Barriga.

L’homme au couteau fit rentrer sa lame et, avec ferveur, envoya un coup de pied derrière les oreilles de celui qu’il venait de tuer. C’étaient ces petits détails qui distinguaient un professionnel consciencieux comme lui d’un moins que rien. Même quand personne ne l’observait.

Puis, les deux hommes sortirent du bureau et refermèrent la porte derrière eux, passant devant l’huissier aimara qui dormait à poings fermés.

* * *

Malko acheva à tâtons son steak dur comme de la semelle. Le « 21 » était plongé dans une obscurité quasi totale. L’entrée était minuscule, dans la calle Ortiz, une petite rue descendant à droite du Prado. Cela tenait de la boîte et du restaurant, avec un orchestre jouant sans arrêt. Alanguie sur la banquette près de Malko, Lucrezia s’épanouissait à vue d’œil. Encouragés par la pénombre, quelques couples, vraisemblablement illégitimes, s’étreignaient avec une totale impudeur.

— Comment ce nabot d’Izquierdo peut-il avoir une femme aussi belle ? demanda Malko.

Lucrezia eut un rire de gorge.

— Grâce à l’étain. Il avait de grandes mines qui ont été nationalisées et il lui en reste de petites. Il s’est acheté Monica. Son mari était colonel et avait été fusillé lors d’un putsch. À vingt-deux ans, elle avait le choix entre devenir putain ou épouser Izquierdo.

— Mais elle a failli devenir folle avec lui…

— Folle ?

La jeune Bolivienne coula un regard en coin à Malko, la main gauche en l’air, le petit doigt pendant.

— Le señor Izquierdo n’est pas macho. Pas du tout, du tout… Monica racontait à toutes ses amies qu’il se contentait de se frotter sur elle en poussant des petits cris, qu’elle avait l’impression de jouer avec un enfant. Puis, Izquierdo a hébergé Klaus Heinkel chez lui. L’Allemand venait de travailler des mois dans une plantation de quinine. Il était affamé de femme. Monica ne lui a pas résisté longtemps.

Involontairement, Malko effleura sa poitrine du dos de la main et Lucrezia sursauta. Comme si on l’avait reliée à une pile électrique. Aussitôt, elle but une grande rasade de vin bolivien, puis remarqua pensivement :

— Cela me fait comme avec le premier homme que j’ai aimé, dit-elle. Dès qu’il me touchait, j’avais chaud partout.

Malko aussi commençait à éprouver les effets du vin bolivien. Il se leva pour danser, prenant Lucrezia par la main. C’était un tango comme il n’en avait plus dansé depuis des années. Lucrezia s’allongea fiévreusement contre lui. Lors d’une volte-face, leurs lèvres s’effleurèrent et la jeune femme laissa les siennes une fraction de seconde posées contre la bouche de Malko. Comme si ce contact faisait descendre un fluide brûlant en elle. Malko la sentit se coller contre lui avec la souplesse et l’adhérence d’un boa constrictor.