On y mangeait la meilleure charcuterie allemande de La Paz ou de la viande d’Argentine, servie par des serveuses en collants noirs et super-minis !
Ce soir là, Les Escudos étaient presque vides. Dans un coin, deux hippies en poncho mangeaient des saucisses avec leurs doigts.
C’était pourtant le restaurant en vogue à La Paz tout en haut du Prado, en face de la Comibol. On n’y parlait pratiquement qu’allemand. Depuis le Copacabana, Malko et Lucrezia n’avaient pas reparlé de la mort d’Esteban Barriga. Mais ce nouveau mystère ne cessait de préoccuper Malko. Décidément Lucrezia n’avait pas de chance avec lui. Ce soir encore, elle s’était faite la plus belle possible.
Parée pour le sacrifice.
Ce que Malko avait décidé de lui demander n’avait, hélas, qu’un lointain rapport avec une orgie des sens.
— Lucrezia…
Elle leva les yeux, une lueur joyeuse dans le regard, offerte d’avance. Les yeux immenses soulignés de noir, les cheveux sur les épaules, la bouche entrouverte, elle était superbe. Malko se dit que le Seigneur le punirait un jour de négliger des occasions pareilles.
— À quoi penses-tu ? demanda-t-elle.
Ce n’était pas la peine de lui poser la question à elle.
— J’ai besoin de toi.
Une ombre passa dans les grands yeux noirs, les traits de la jeune femme se crispèrent imperceptiblement.
— Que veux-tu ?
— Aller au cimetière allemand, cette nuit.
Elle eut un haut le corps.
— Au cimetière ! Pour quoi faire ?
Les yeux dorés de Malko fixaient un point lointain.
— Je veux voir de mes yeux le corps de Klaus Heinkel.
La jeune Bolivienne tira une longue bouffée de sa cigarette avant de répondre.
— Je comprends. Mais il faut que je trouve des gens sûrs. Il n’y a que Josepha qui puisse m’aider.
— Allons-y, suggéra Malko.
Lucrezia secoua la tête.
— Non. Je vais y aller et tu m’attendras chez moi.
Elle fouilla dans son sac et lui tendit une clef.
— C’est au numéro 4365. Au premier étage. Le nom est sur la porte. Tu ne rencontreras personne, mon père est à Cochabamba pour le week-end. Je te rejoindrai là-bas.
Malko prit la clef. Lucrezia était vraiment une fille extraordinaire. Avant de se lever, il demanda :
— Pourquoi fais-tu cela ? Tu me connais à peine.
Elle eut un sourire provoquant.
— Devine ?
La clef tourna dans la serrure et Malko sursauta. Ce n’était que Lucrezia qui avait dû garder une seconde clef. Il avait mis un disque de quena – flûte indienne – sur l’électrophone et rêvait. La maison était silencieuse. La pièce où il se trouvait était assez sommairement meublée d’un très large divan de tables basses et du meuble de l’électrophone, le plafond était très bas.
— Tout est réglé, dit Lucrezia, ils nous retrouveront au cimetière dans trois heures.
Malko ne demanda pas qui étaient « ils ». Lucrezia posa son sac et fixa Malko. Il retrouva l’expression à la fois vide et intense qu’elle avait au restaurant. Il l’examina attentivement. Son nez était peut-être un peu long mais lui donnait de la personnalité. Sa bouche était ferme et comme ciselée, la ligne des lèvres nettement dessinée. Elle ne devait jamais mettre de rouge à lèvres.
Son visage était pâle, contrastant avec les yeux très noirs. Le regard de Malko descendit, s’attardant sur les jambes et les hanches. Lucrezia avait des hanches comme il les aimait, qui s’évasaient comme une guitare.
— À quoi penses-tu ?
La voix de Lucrezia était rauque, presque agressive.
— Je te trouve belle, dit doucement Malko.
— Je déteste les euphémismes, dit lentement Lucrezia. Tu mens, tu as seulement envie de me…
Malko eut un sourire :
— Envie de quoi ?
Il se leva, vint vers elle et la prit dans ses bras.
D’abord ses lèvres étaient froides, puis, peu à peu, elles se réchauffèrent, semblèrent s’épanouir. Lucrezia glissa une main derrière la tête de Malko, pour pouvoir l’embrasser plus fort. Leurs dents s’entrechoquèrent.
Sans cesser de l’embrasser, Malko la prit par la taille et l’entraîna vers le divan. Ils basculèrent lentement sur le côté. Le contact du corps de la jeune femme enflamma Malko. Il pouvait sentir le désir monter en lui, inexorable et violent. Il imagina le moment où il allait la prendre. Comme par un phénomène de transmission de pensée, Lucrezia dégagea une de ses mains et la plaqua contre Malko, comme pour éprouver sa réaction.
Puis, elle cessa de l’embrasser, lui prit la tête à deux mains et regarda son visage. Il y avait quelque chose d’infiniment sérieux dans ses yeux.
— Je t’ai blessé, dit-elle doucement. Pardon. Moi aussi je veux t’aimer. Mais je suis tellement dégoûtée de tous ces machos qui traitent les femmes comme des chèvres, sans même leur demander ce qu’elles veulent.
— Tu n’aimes pas les hommes de ton pays ?
Elle sourit, pleine de mépris.
— Dès qu’ils ont fini de faire l’amour, ils se précipitent retrouver leurs copains pour leur dire comment tu fais. Me fait chier, ça !
Par moments, son anglais était curieux.
Elle retira ses chaussures, et regarda Malko, pleine d’espièglerie.
— Tu n’as jamais fait l’amour avec une chula ?
Malko hésitait à répondre. Il avait entendu dire que les Chulas ne se déshabillaient jamais.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu vas voir.
Elle se releva et commença à enlever ses vêtements et ses bottes, ne gardant qu’un slip et un soutien-gorge noir. Sa peau était très blanche, ses jambes et ses bras couverts d’un fin duvet noir. Sans achever de se déshabiller, elle revint vers le divan. Avec des gestes très doux, elle déshabilla Malko au rythme de la flûte indienne.
Il dégrafa son soutien-gorge. Elle eut un mouvement brusque, puis elle s’allongea sur le lit étroit, ses belles jambes serrées l’une contre l’autre. Elle avait un beau ventre, un peu convexe et des seins ronds et fermes, bien que petits. Malko posa une main sur sa cuisse, elle se plaqua tout de suite contre lui et l’embrassa furieusement.
Brutalement, il n’eut plus qu’une idée : la prendre sur-le-champ. Une sourde inquiétude gâchait un peu son plaisir. À cause de l’altitude, il était déjà essoufflé. Comment allait-il tenir tête à cette cavale déchaînée ?
Au moment où il voulut la prendre, Lucrezia serra les jambes, l’arrêtant.
— Attends. Pas tout de suite.
Il sentait pourtant les pulsations de son ventre rivé au sien. Mais elle se dégagea, étendit les bras et saisit une petite boîte oblongue en argent. Elle l’ouvrit, y prit une pincée de quelque chose entre le pouce et l’index qu’elle porta à son nez.
Ensuite, elle renifla violemment et se laissa aller en arrière.
— Tu en veux ? demanda-t-elle.
— Qu’est-ce que c’est ?
Elle rit.
— De la pichicata ! Tiens.
Elle lui tendit la petite boîte en argent Malko aperçut de la poudre blanche et brillante, et comprit immédiatement.
— Mais c’est de la cocaïne !
— Je préfère appeler cela de la pichicata. C’est agréable, tu sais. Je me sens pleine de chaleur et loin de tout.