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— Tu en prends souvent ? demanda Malko horrifié.

— Tout le temps, fit Lucrezia avec simplicité. Comme tout le monde ici. Tu ne savais pas que la Bolivie produisait 90 % de la cocaïne mondiale ? Tous les Indiens de l’Altiplano mâchent des feuilles de coca toute la journée.

— Et c’est légal ?

La jeune Bolivienne eut un rire amer.

— Notre peso est sûrement la seule monnaie au monde à être basée sur la cocaïne. Le gouvernement en a des coffres pleins. Quand ils ont besoin d’argent, ils en vendent.

— À qui ?

— À la Mafia américaine. Mais ils n’aiment pas qu’on leur fasse concurrence. Tu n’as pas lu le journal. Avant hier, on a arrêté deux Américains à l’hôtel Sucre en possession de deux cent douze mille dollars. Ils étaient venus acheter de la pichicata…

Étrange pays.

Lucrezia ferma les yeux et, sans transition, prit la main de Malko.

— Caresse-moi, dit-elle d’une voix autoritaire.

Elle souleva les hanches pour venir à sa rencontre et posa la main sur lui, en une caresse possessive. Pendant plusieurs minutes, il n’y eut plus d’autre bruit dans la chambre que la respiration saccadée de Lucrezia.

Tout à coup, elle demanda d’une voix absente :

— Tu as déjà vu des lamas s’accoupler ?

Malko dut avouer que non. En Autriche, on rencontrait très peu de lamas.

— C’est très beau, dit-elle rêveusement, ils ont leurs oreilles toutes droites et ils sautent très haut.

La main posée sur Malko arracha brusquement son dernier vêtement en un geste d’une brutalité masculine. Elle tourna la tête vers lui avec un regard perdu.

— Maintenant, dit-elle, maintenant…

Il était dans un tel état qu’il n’eut aucun mal à obéir. Il en palpitait par anticipation. Quand il la posséda, elle crispa ses mains dans son dos puis elles retombèrent, et elle ne fit plus rien pour l’aider, restant inerte sous son poids.

Grisé par ce corps à la fois passif et brûlant, Malko se déchaîna. Le divan craqua et gémit sous eux.

Lucrezia sembla revivre d’un coup. Elle se mit à grogner des encouragements en anglais et en espagnol.

— Vite, plus vite.

C’étaient les jeux Olympiques ! Trahi par l’altitude, Malko sentit qu’il n’allait pas pouvoir tenir longtemps ce rythme. Ses poumons le brûlaient et son corps commençait à peser du plomb. Il ralentit sensiblement sa cavalcade.

Aussitôt, il sentit les muscles de Lucrezia se relâcher. Elle le maintenait toujours contre elle, mais ce n’était plus la même chose… Honteux et essoufflé, Malko voulut repartir à l’assaut, quitte à cracher ses poumons. Lucrezia le repoussa et lui échappa. Il se retrouva tout bête sur le lit, en tête à tête avec son désir insatisfait, et se laissa aller sur le dos, profitant du répit pour reprendre son souffle.

À quatre pattes sur le lit, Lucrezia farfouillait dans le tiroir de la table basse. Elle y prit quelque chose, éteignit la lampe et revint s’allonger près de Malko.

L’obscurité le surprit. Lucrezia ne sembla pas particulièrement timide. Soudain il sentit ses longs cheveux balayer ses jambes. Aussitôt, les dents de la jeune Bolivienne lui firent mal, mais elle adoucit délicieusement sa morsure. Pendant quelques minutes, elle le caressa ainsi lentement et passionnément.

Un long moment plus tard, Lucrezia se pencha et ralluma la lampe. De grands cernes bistre soulignaient ses yeux, sa bouche avait gonflé, elle semblait calme et détendue.

Malko contemplait les longues jambes de Lucrezia. C’était dommage quelle ne s’épile pas…

Elle suivit la direction de son regard et demanda :

— Tu trouves que j’ai trop de poils ?

— Pourquoi ne t’épiles-tu pas ?

Elle rit.

— Tu n’y penses pas ! Ici, les seules femmes qui n’ont pas de poils ce sont les chutas. Alors, pour montrer qu’on a du sang espagnol, on garde ses poils, quand on a la chance d’en avoir !

Où va se nicher le racisme…

Lucrezia, les cheveux défaits, superbe et impudique, consulta sa montre :

— C’est l’heure d’aller au cimetière.

Chapitre VII

La pelle fit un bruit mat. Lucrezia dirigea le rayon de sa torche électrique vers le trou. Un morceau de bois apparut.

Le cercueil de Klaus Heinkel.

Les deux chulos creusaient avec des pelles à manche court. Le fer de l’une d’elles heurta une pierre et fit un bruit clair. Malko sursauta. Ils avaient beau être à l’extrémité du cimetière, du côté de la montagne, on pouvait les entendre.

— Doucement, recommanda-t-il.

Le taxi les avait déposés au coin de la calle 11, au fond de Copacabana. Le froid était vif et les rues désertes. Comme ils approchaient du cimetière, un sifflement léger s’était élevé d’un coin d’ombre.

Lucrezia s’était avancée la première et, d’un bref éclair de sa torche, avait éclairé deux hommes accroupis, le long du mur du cimetière.

Des Aimaras trapus au visage inexpressif, serrant contre eux des pelles.

Lucrezia avait discuté à voix basse avec eux et s’était tournée vers Malko.

— Ils veulent cinq cents pesos chacun. C’est cher.

Ce n’était pas le moment de discuter. Il avait payé d’avance, et les Indiens avaient empoché les billets.

— D’où viennent-ils ? avait-il demandé à Lucrezia.

— De la Hampa, du quartier des truands, derrière San Francisco.

Cent mètres plus loin, ils avaient tous escaladé le mur du cimetière et s’étaient glissés silencieusement à travers les allées. Malko avait facilement retrouvé la tombe. Les deux Aimaras s’étaient mis au travail sans trop de répugnance. Maintenant, ils touchaient au but.

Un des Indiens enfonça sa pelle d’un coup sec et fit un bruit qui se répercuta dans tout le cimetière ! Il allait réveiller la ville. Malko se précipita et demanda à Lucrezia de leur dire de continuer à creuser avec leurs mains.

Docilement, ils s’agenouillèrent dans la terre grasse et entreprirent de dégager le cercueil. Fasciné, Malko regardait la masse sombre apparaître. Dans quelques minutes, il allait être fixé sur le sort de Klaus Heinkel. De grosses gouttes de pluie commencèrent à tomber. En quelques secondes, elles se transformèrent en un orage d’une violence inouïe. Les deux chulos continuaient à creuser comme si de rien n’était, mais Lucrezia et Malko furent trempés jusqu’aux os, très rapidement. De quoi envier Klaus Heinkel au chaud dans son cercueil…

La pluie diminua aussi brutalement qu’elle avait commencé au moment où les deux chulos arrivaient enfin à dégager l’une des extrémités du cercueil. Saisissant la poignée, ils l’arrachèrent de l’excavation. Il se décolla de la glaise avec un bruit de succion. Lucrezia guidait l’opération par de petits ordres brefs. Malko dut prêter main-forte pour sortir complètement le cercueil qu’ils hissèrent dans l’allée, à côté de la terre extraite. En dépit du froid, Malko était en sueur. Trempé et grelottant, il massa ses reins douloureux. Il ne restait plus qu’à dévisser le couvercle. Par chance, la pluie cessa brusquement.

* * *

La dernière vis du cercueil sauta. Un des Aimaras glissa la lame du tournevis et pesa, faisant glisser le couvercle du cercueil. La pluie avait recommencé. Malko vint à la rescousse, éclairé par Lucrezia.

Le couvercle bascula et tomba par terre. Un des Aimaras jura dans sa langue. Une odeur fade, aigre-douce et écœurante montait du cercueil ouvert. Il y avait bien un corps.