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Malko fut un peu surpris et déçu : il s’était attendu à trouver un cercueil vide, ou rempli de pierres, à la rigueur.

Surmontant une affreuse nausée, il se pencha. D’abord, il ne vit qu’une masse sombre. Il n’y avait pas de linceul. Rien qu’un corps tassé contre une des parois, couché sur le côté. Malko crocha dans l’épaule pour le retourner et dut reculer, au bord de la nausée. Il avait touché quelque chose de soyeux. Un des Aimaras vint à la rescousse. Il planta une sorte de croc de boucher dans l’épaule du mort et tira, faisant pivoter le corps. Une bouffée d’air fétide se dégagea, qui les fit tous reculer. Puis Lucrezia tendit le bras et la lampe éclaira une barbe sombre.

Elle avait continué à pousser après la mort et atteignait vingt bons centimètres.

Le visage du cadavre était méconnaissable, à cause du sang qui avait coulé d’une blessure au crâne. Avidement, Malko scrutait les traits gonflés, blafards et déformés par l’enflure de la mort.

Le cadavre était celui d’un homme très grand, qui n’avait pas plus de trente ans, avec une chevelure abondante, une moustache et une barbe. À travers la bouche ouverte, on apercevait des dents irrégulières. Le mort était vêtu d’un blue-jean, d’un blouson et de courtes bottes texanes très pointues, en cuir marron.

— Ce n’est pas Klaus Heinkel, dit-il.

Ou alors il avait rajeuni d’un quart de siècle. L’Allemand était un homme de 1 m 68, âgé de cinquante-huit ans, chauve.

— C’est Jim, murmura Lucrezia d’une voix altérée. Jim Douglas, un jeune Américain. Je reconnais ses bottes.

Les deux Aimaras commençaient à manifester une certaine impatience. Malko se redressa. Ce cadavre inconnu ne lui apprendrait rien de plus. Il était visiblement mort de mort violente et ce n’était pas Klaus Heinkel. Ce qui signifiait presque certainement que l’Allemand était toujours vivant.

— Dites-leur de refermer, dit-il, et de remettre le cercueil dans la tombe.

Les deux chulos se remirent à visser le couvercle à toute vitesse. Malko, trempé et bouleversé, ne comprenait plus. Si Lucrezia disait vrai, que faisait cet Américain dans le cercueil de Klaus Heinkel ? Qui l’avait tué ? Il se bénit de ne pas avoir donné les empreintes digitales de Klaus Heinkel à Jack Cambell. Elles risquaient de servir…

En silence, Lucrezia et lui regardèrent les Aimaras redescendre le cercueil dans la terre et boucher le trou. Cela prit vingt minutes.

Puis, ils repartirent tous les quatre par où ils étaient venus. Au pied du mur, il y eut une discussion à voix basse entre les Aimaras et Lucrezia : ils demandaient deux cents pesos de plus. Malko paya.

— Ils ne risquent pas de nous dénoncer ? demanda-t-il.

— Non, fit Lucrezia. Ils repartent immédiatement vers leur village à pied. Ils ont peur de la police.

Les deux Aimaras les quittèrent très vite et disparurent dans l’obscurité. Malko et Lucrezia descendirent à gauche vers le centre. Il n’y avait pas un chat. Ils marchèrent jusqu’au pont sur la rivière de La Paz en silence. Ce n’est que cent mètres plus loin qu’ils aperçurent un taxi. Le chauffeur somnolent les chargea sans même se retourner.

— Si Klaus Heinkel est vivant, dit soudain Lucrezia, Hugo Gomez est sûrement au courant…

Absorbé dans ses pensées, Malko ne répondit pas : il était curieux de voir la réaction de Jack Cambell qui était tellement persuadé de la mort de Klaus Heinkel.

Chapitre VIII

Une affiche à demi arrachée mettait encore en garde d’éventuelles âmes simples :

« N’écoutez pas les rumeurs extrémistes. Faites confiance à la Révolution du 16 Juillet. »

Placardé au coin de la rue du 20 Octobre – commémorative, elle aussi, d’une autre révolution –, l’appel avait un certain humour involontaire. Il y a longtemps d’ailleurs qu’on n’effaçait plus les vieux slogans. On pouvait ainsi lire l’histoire politique de la Bolivie sur les murs de La Paz.

Malko examina le petite immeuble, de trois étages, dans une impasse en retrait de la rue du 20 Octobre. Un endroit calme, pas très loin du Prado. Il avait sonné à la porte du premier, sans résultat. C’est là qu’habitait Jim Douglas, le jeune Américain.

Avant de se retrouver dans le cercueil de Klaus Heinkel… Déçu, il allait repartir, lorsqu’un rideau bougea au rez-de-chaussée.

— Il y a quelqu’un, dit Lucrezia.

Ils rentrèrent et sonnèrent. La porte s’ouvrit aussitôt.

Une femme d’une quarantaine d’années les fixait avec des yeux vides, presque sans couleur. Derrière elle, se pressaient deux gosses, pieds nus, très bruns, assez beaux.

La femme avait les cheveux tirés, ce qui faisait ressortir l’asymétrie de son visage, une bouche à la lèvre inférieure épaisse. Sa robe de toile plaquée contre son corps en moulait les formes épaissies. Ignorant Lucrezia, elle s’adressa à Malko.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Je cherche Jim Douglas. Ça ne répond pas chez lui.

— Jim est parti. Il y a plusieurs jours. Je ne sais pas où il est.

Elle avait répondu avec indifférence et, sans la fascination des yeux dorés, on l’aurait sentie prête à refermer la porte.

— Il vit seul ? demanda Lucrezia.

La femme hésita puis, de mauvaise grâce, laissa tomber :

— Je ne sais pas… Je ne m’occupe pas de ses affaires.

Son regard accrocha celui de Malko pendant une fraction de seconde avec une intensité extraordinaire. Aussitôt, elle se recula.

— J’ai à faire, excusez-moi.

La porte se referma. Malko et Lucrezia sortirent de l’étroit couloir.

— Elle sait quelque chose.

Lucrezia eut un ricanement sec et poli.

— Elle a surtout envie de te revoir seul. C’est la plus grande nymphomane de La Paz. Son mari l’a quittée à cause de cela. Elle a sûrement couché avec Jim. D’ailleurs, quand ça la prend, elle coucherait avec un lama !

Après tout, les Espagnols de Pizarre avaient bien utilisé les lamas, eux aussi.

— Tu ne sais rien de plus sur ce Jim Douglas ?

Lucrezia se tordit la cheville sur le sol inégal et jura avant de répondre.

— On se connaissait comme ça. Je le voyais souvent à l’apéritif au Copacabana. Il parlait beaucoup et m’avait confié une fois qu’il avait eu un rôle actif dans les grèves du M.I.T.[12]. C’était une sorte d’agitateur professionnel, un gauchiste. Il parlait bien espagnol, vivait ici depuis un an, comme professeur d’anglais.

— Tu ne vois pas comment il a pu être mêlé à l’histoire Klaus Heinkel ?

Lucrezia secoua la tête :

— Non. Il ne s’intéressait pas aux Allemands.

Le mystère restait entier. Malko était mal à l’aise. Plus il se rapprochait de l’Allemand prétendu mort, plus il était en danger. Sans qu’il sache d’où il pouvait surgir…

Ils s’arrêtèrent au coin de l’avenue du 20 Octobre, en face de l’immeuble Emoussa.

— J’ai rendez-vous avec le señor Izquierdo, dit Malko. Tu sais où se trouve le motel Turist ?

— C’est là qu’il t’a donné rendez-vous, ce vieux dégoûtant ! C’est la seule maison close de La Paz. Il doit avoir honte d’amener sa putain chez lui.

Malko leva le bras pour arrêter un taxi. Au lieu de monter avec lui, Lucrezia se pencha vers le chauffeur à travers la vitre baissée :

— Maestro, calle Presbytero Medina.

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12

Massachusetts Institute of Technology.