— Tu ne viens pas ?
Lucrezia eut un sourire ambigu.
— Je ne veux pas avoir mauvaise réputation. Je t’attends chez moi. Si tu as encore un peu de force…
Malko eut brusquement envie d’elle. Le taxi démarra.
Carmen se déshabillait lentement, sensuellement, avec une rare perversité naturelle. Tournant le dos à Pedro Izquierdo.
Jamais on ne lui aurait donné son âge. Ses seins faisaient éclater son soutien-gorge et ses cuisses avaient la plénitude de celles d’une femme de trente ans.
Le minuscule Bolivien la mangeait des yeux. Quand il était avec elle, il en oubliait Monica. Dans la triste chambre de ce motel, il se sentait plus à l’aise que chez lui. Carmen, par contre, n’avait pas de ses subtilités. Elle se retourna et s’approcha du lit où il était assis.
Lentement, Pedro Izquierdo passa sa main décharnée sur les seins ronds, puis il descendit, épousant chaque courbe.
La fille contemplait cette main comme si elle avait été une araignée venimeuse.
Quand elle atteignit ses cuisses serrées, elle se tortilla et se dégagea.
— Je n’ai pas envie, dit-elle d’un ton boudeur.
Surpris, Izquierdo leva les yeux. Elle était toujours si docile.
— Pourquoi ?
— J’ai envie que tu me paies des belles chaussures. Comme celles qui sont dans le placard de ta femme.
Il eut une très brève poussée de honte, avec une furieuse envie de gifler cette petite garce, puis céda :
— D’accord. Je te promets. Tout à l’heure.
Aussitôt, elle se détendit, avec un regard moqueur sur le minuscule appendice du vieillard. C’était une fille saine et les choses de la chair ne la dégoûtaient pas. Son amant, un jeune chulo, lui faisait l’amour tous les soirs dans sa cabane de Miraflores. Mais avec Izquierdo, ce n’était qu’un moment désagréable à passer.
La respiration du vieil homme se fit plus saccadée. Ses mains s’agitaient furieusement sans que Carmen ne ressente rien. Elle ferma les yeux pour qu’il ne voit pas son expression indifférente. Il l’attira sur le lit, la renversa en arrière et enfouit son visage ridé entre ses seins. Elle cambra le torse pour mieux se laisser faire. Gentiment, sa main alla au-devant du fantôme de virilité de son vieil amant.
Plusieurs coups violents furent frappés à la porte. Pedro Izquierdo se redressa d’un coup. Furieux et inquiet. Il n’avait pourtant pas donné rendez-vous si tôt à l’homme blond.
Carmen attendait, appuyée sur les coudes. On refrappa encore plus fort. Terrorisé, Izquierdo ne bougeait pas. Il mit un doigt sur ses lèvres. Juste au moment où Carmen criait d’une voix aiguë :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Control politico, répondit une voix d’homme.
Sans hésiter, elle se leva et se dirigea vers la porte. Izquierdo sauta du lit et voulut la rattraper.
— N’ouvre pas ! cria-t-il.
Mais Carmen avait déjà tiré le verrou. La porte fut repoussée brutalement par un malabar en blouson de nylon bleu avec une épaisse tignasse gominée et un visage plat d’Indien. Il bouscula Carmen et fit entrer deux autres chulos. L’un avec des cheveux frisés, très noir de peau, l’autre aussi large que haut, le front bas, avec des lèvres presque négroïdes entrouvertes sur des dents gâtées. Puis il referma la porte et mit le verrou.
Nu comme un ver, le petit Bolivien écarquilla les yeux. Ces types-là n’avaient rien à voir avec le control politico. C’étaient des voyous, des marquesés.
— Qu’est-ce que vous voulez ? balbutia-t-il. Sortez ou j’appelle le gérant.
Les trois autres ne bronchèrent pas. Comme s’ils n’avaient pas entendu. Sans souci de sa nudité, Pedro Izquierdo fonça tout à coup vers la porte. Le malabar étendit brutalement le bras. D’un coup en plein visage, il renvoya le frêle Izquierdo vers le lit. Celui-ci poussa un cri de souris, le nez écrasé. Tranquillement, le malabar s’approcha d’un petit poste de radio et mit la puissance à fond. Ce que faisaient les clients du Motel quand ils étaient accompagnés d’une partenaire trop bruyante.
Tenant son nez à deux mains, Izquierdo recula vers le lit.
Le malabar prit Carmen par le bras. Pour la forme, elle se débattit, se laissant entraîner vers le lit. Pouffant de rire intérieurement.
C’était son amant, Raul.
L’idée de venir troubler leurs ébats et d’emmener ensuite Izquierdo chez lui pour le dévaliser était de lui. Elle y avait souscrit avec enthousiasme. Tous les objets en argent de la villa devaient valoir des milliers de pesos. Elle allait pouvoir s’acheter des robes.
S’il avait été moins ladre, elle n’aurait jamais accepté. Le chulo aux cheveux frisés sortit un couteau de sa poche et vint s’asseoir sur le ventre d’Izquierdo, la lame sur la gorge.
— Ne bougez pas, dit-il en aimara.
Le malabar, d’une poussée, avait jeté Carmen à plat ventre sur le lit. Elle tourna la tête au moment où il tirait sur le zip de son blue-jean.
Elle frémit délicieusement. La séquence n’était pas prévue au programme, mais elle trouvait ça follement excitant.
Quand le tissu grossier du blue-jean frotta contre sa peau nue, elle se mordit les lèvres pour ne pas crier de plaisir. Mais il fallait sauver la face : elle parvint à sangloter tandis que Raul la prenait brutalement et vite. Piqué par de petits coups de poignard, Pedro Izquierdo gémissait, fasciné par le corps de Carmen.
Raul se releva. Le chulo au front bas avait trouvé une bouteille de J & B et buvait au goulot. Il s’approcha du lit et en versa un peu sur les reins nus de Carmen qui poussa un hurlement. Les trois hommes éclatèrent de rire. Le frisé contemplait Carmen avidement. Il appela le trapu, désignant Izquierdo.
— Tiens-le.
Le chulo au front bas acheva de vider la bouteille de whisky et la brisa sur la table de nuit. Prenant le vieillard par les cheveux, il posa le tesson de bouteille sur sa gorge et appuya un peu sur la vieille peau ridée.
Le frisé saisit les poignets de Carmen et l’attira de son côté, la faisant passer par-dessus le corps d’Izquierdo. Puis réunissant ses deux poignets dans sa main gauche, il ouvrit à son tour son blue-jean.
Carmen poussa un cri et chercha le regard de son amant. Elle ne rencontra que deux yeux vides et une face inexpressive. Comme s’il ne l’avait jamais vue…
Ce n’était pas possible ! Il devait vouloir la mettre à l’épreuve. Elle poussa un cri perçant et se débattit. D’un coup sec de genou dans le ventre le petit voyou frisé la plia en deux.
Tandis qu’elle cherchait son souffle, le cœur dans la gorge, il la jeta sur le lit, la tête dans l’édredon sale qui avait vu des milliers de copulations, puis s’affala sur elle, séparant brutalement ses jambes.
D’un coup de reins, il la prit sauvagement. Elle hurla, chercha à lui échapper, brusquement affolée. Son macho était là : il ne pouvait pas accepter de la voir prendre par un autre, même un ami. Ou alors…
Une terreur viscérale la paralysa. Elle comprit qu’elle allait mourir. Agrippé à ses hanches, le frisé ahanait de plaisir. Carmen ne vit pas son amant s’approcher. Elle éprouva juste une chaleur fulgurante dans la poitrine quand la large lame de son poignard s’enfonça entre ses côtes, lui transperçant le cœur. Elle mourut en quelques secondes.
Pedro Izquierdo, les yeux exorbités par la terreur, ouvrit la bouche pour crier. Le chulo au front bas appuya de toutes ses forces le tesson de bouteille. Le verre s’enfonça d’un coup, sectionnant la gorge. De son autre main, le tueur arracha sa montre au mourant.