— Merci, fit la voix mélodieuse de l’étrangère.
Au même moment, Antonio Mendieta la vit accomplir un geste inouï.
Tranquillement, elle défit le zip de son blue-jean et le fit glisser sur ses jambes, ne conservant que son petit slip blanc, opaque et triangulaire. Puis, elle plia le blue-jean sur le lit et fit face à Antonio. Il discernait l’ombre et le renflement à travers le léger tissu. Le chulo resta cloué au sol, la bouche sèche, le regard irrésistiblement attiré par quelques poils follets et blonds qui dépassaient du slip.
— J’avais vraiment trop chaud, expliqua la fille avec une moue charmante. Cela ne te gêne pas ?
Antonio Mendieta n’avait jamais vu d’aussi jolies jambes. Les cuisses étaient fuselées, longues et pleines, les genoux ronds et les mollets bien galbés. Sans compter cette merveilleuse couleur de peau… La fille se rassit sur le lit et recommença à se couper les ongles.
Assise face à lui, les jambes ouvertes, elle avait la tête un peu penchée. Puis elle mit un talon sur le lit pour se couper les ongles de pied. Le tissu translucide et tendu la moulait avec une précision anatomique. Le cerveau simple d’Antonio bouillait. Jamais il n’avait imaginé qu’une femme puisse se conduire de cette façon. Il se dit que les étrangères avaient peut-être des mœurs différentes, et que cela n’avait aucune signification particulière. En tout cas, c’était bien agréable… Il avait un peu honte parce que son désir s’était éveillé et se manifestait d’une façon éhontée. Il se tortilla, mal à l’aise, les bras ballants.
La fille leva les yeux et sourit, le regard posé sur le pantalon verdâtre.
— Viens ici, dit-elle gentiment.
D’une main, elle tapotait le lit à côté d’elle. Comme un automate, Antonio Mendieta vint s’asseoir, dilatant ses narines pour sentir l’odeur du jeune corps mince et rempli de courbes. De profil, les seins semblaient encore plus pleins. Il essaya de suivre le mouvement des ciseaux, mais ses yeux revenaient toujours au slip blanc.
Pendant un temps qui lui parut infiniment long, il ne se passa rien. Puis, la fille tourna la tête vers lui et lui adressa un regard trouble. Antonio n’avait pas une grande expérience des femmes, mais, subitement, il se dit que cette étrangère avait envie de lui, qu’il allait rater une occasion unique… Une grisante bouffée de joie balaya sa timidité. Il allongea le bras et posa ses doigts sur la cuisse de la fille.
Elle ne réagit pas, détourna la tête et continuant à couper l’ongle de son gros orteil. Antonio n’osait plus bouger sa main. Puis, retenant son souffle, il avança l’autre main et effleura le sein. Le contact élastique et tiède le fit palpiter furieusement. Il mourait d’envie d’arracher le soutien-gorge. Sa main se crispa sur la cuisse.
Après un dernier claquement de ciseaux, la fille se redressa et s’appuya au dos du lit. Son regard se posa sur l’Indien, volontairement provocant. La main d’Antonio remonta sur la cuisse et sentit sous ses doigts une tiédeur moite et élastique. Il n’osa pas soulever le slip, se contentant de masser le tissu translucide maladroitement.
Ce fut trop pour lui. Il ressentit un picotement délicieux entre ses jambes et comprit qu’il avait trop présumé de ses forces. La fille devina ce qui se passait à la fixité soudaine de son regard. Gentiment de la main gauche, elle lui caressa ses cheveux noirs, lui relevant la tête. Antonio Mendieta ne bougeait plus, les doigts crispés.
Quand la main gauche de la belle étrangère blonde crocha dans ses cheveux, il se laissa docilement tirer la tête en arrière.
Alors de l’autre main, elle lui planta la petite paire de ciseaux en plein dans l’œil droit, de toute sa force.
Le major Gomez examinait avec haine Antonio Mendieta prostré dans un coin de la pièce, un énorme pansement sur l’œil droit. Le sang avait filtré et formait une rigole descendant jusqu’à son cou. Dehors, dans un grand remue-ménage, des hommes du control politico faisaient sortir d’une Jeep trois suspects et un blessé de l’E.L.N. La journée avait été bonne ; pourtant le major Gomez bouillonnait d’une rage aveugle. On n’avait toujours pas retrouvé Martine, la fiancée de Jim Douglas ; donc elle avait dû réussir à monter dans un véhicule allant à La Paz. Son désir frustré le disputait à l’inquiétude. Si la jeune Belge allait raconter à son ambassade qu’elle avait été kidnappée et violée par lui, cela risquait de créer un incident désagréable. Même pour un homme aussi puissant que lui.
Il aurait dû la liquider après s’en être servi une fois. Mais en pensant à son corps mince et élastique, il en était malade. Cela le changeait des filles du Maracaïbo, la boîte à strip-tease de La Paz.
Il s’approcha d’Antonio Mendieta et lui allongea un coup de pied. Le soldat leva la tête avec, dans un œil valide, une expression de terreur résignée. Gomez sortit de son étui son Herstall à 14 coups, avec une crosse allongée, et appuya l’extrémité du canon sur la tempe du malheureux.
— Dis-moi où elle est partie avant que je te tue.
Le chulo secoua la tête. Le cerveau noyé de rage, Gomez appuya sur la détente de l’Herstall. Sans réfléchir. La tête de Mendieta fut projetée contre le mur par le choc de la balle et il glissa contre le mur, la bouche ouverte. Une voix, derrière Gomez, dit calmement :
— Venez, major, il y a du travail dehors.
C’était celle du « Docteur » Gordon, conseiller américain auprès de l’armée bolivienne. En dépit de son titre, son seul crédit dans le domaine médical était d’avoir désossé fort proprement les deux poignets de « Che » Guevara afin de garder ses mains pour les empreintes.
« Béret Vert », Gordon assurait la liaison entre le control politico et l’ambassade U.S. Spécialiste de l’école anti-guérilla de Manaus, au Brésil, il accompagnait les unités chargées de la répression, veillait à ce qu’aucune vaine sentimentalité n’entrave les opérations.
La séquestration de Martine, la jeune Belge, n’avait pas eu son approbation, mais c’étaient les affaires du major Gomez. Il avait seulement veillé à ce qu’elle ne l’aperçoive pas.
Gomez le suivit, sa rage un peu tombée. Puis, il pensa à Don Federico. L’Allemand allait être furieux.
— Il faut retrouver cette Martine et la liquider, dit-il à Gordon.
— C’est une solution possible, fit prudemment le « Béret Vert ».
Entre abattre des paysans incultes et assassiner une étrangère, il y avait une marge. Le major Hugo Gomez manquait de nuances…
— Don Federico risque d’avoir des ennuis à cause de nous, insista Gomez. Nous lui devons beaucoup.
Si ses hommes avaient enlevé Martine, c’était pour liquider le seul témoin permettant de lier Don Federico Sturm à la disparition du jeune Américain.
L’Allemand, un an plus tôt, avait caché dans sa propriété toute l’équipe du control politico, alors traquée, et leur avait fourni des armes achetées à Panama. Ce sont des services qui ne s’oublient pas.
Le major et Gordon s’approchèrent d’un guérillero en uniforme étendu à terre. Un gros pansement autour de sa jambe gauche. Il grimaçait de douleur. Gordon annonça :
— Il a tiré sur nous. Nous l’avons interrogé, il ne sait rien.
Sans rien dire, le major Gomez prit son Herstall et tira une balle en pleine poitrine du blessé. Celui-ci eut un sursaut et commença à râler, l’aorte éclatée.
— J’en ai assez de ces cochons de l’E.L.N… fit Gomez.
Gordon ne dit rien. On aurait dû encore un peu torturer le blessé. Mais Gomez pensait toujours à Martine.